dixième séance.

L’audience est ouverte à 2 h ½ de l’aprês-midi sous la présidence de M. Matzen.

M. le Président. La parole est à l’agent des Etats-Unis de l’Amérique du nord.

Mr. Ralston. With the permission of the counsel for Mexico, I want to make a slight explanation with regard to the territorial limits of California and to present a map to the court. The honorable members of the court will have noticed in the treaty of Guadalupe-Hidalgo, a reference to the map which accompanied the treaty and which is really made part of it. I telegraphed to Washington for a certified copy of this map and I have it here, it having arrived this noon. I desire to file it with the court and at the same time to invite the attention of the court to it, so that no misunderstanding might arise out of anything that I stated yesterday with regard to the limits of California. According to the map which I have before me [Mr. Ralston indicates on the map], the northern limit of the territory ceded by Mexico is the 42d degree, and the 42d degree is carried as the northern limit out into the State of Wyoming. The exact point is a limit difficult to determine. And then, proceeding southward, it follows the line of the Colorado River substantially so far—it goes about here—[indicating on the map] and so on down to the Gulf of California. So that the territory actually obtained from Mexico by the treaty of Guadalupe-Hidalgo was the State of California, Nevada, Utah, Arizona, part of New Mexico, and a slight part of Colorado and Wyoming—and all of that, according to this map, passes under the name of “Alta California.”

I have also a map which occurs in an official publication of the Governncnt, and which I have just received, which shows the limits of the various acquisitions of territory by the United States; and which I will take the liberty for the moment of handing to the court, with the permission of the agent of Mexico. I am compelled to return this [Page 668] volume, so I simply present it for your examination a moment. [Shows the book to Mr. Pardo and the court.]

I will add just one word. At one point in the record—I can not for the moment refer to it—it is stated on behalf of Spain that their discoveries went from the southern point of Lower California a distance of seven hundred leagues to the north. Seven hundred leagues carry the discoveries about to this line [indicating on the map], which would include both Washington and Oregon, both large States; so that we may regard the benefactions from our point of view as covering the whole territory of Washington and Oregon and the country adjacent, although the Alta California described by Mexico and referred to in the map (of the treaty) only includes California, Nevada, Utah, part of Wyoming, part of Colorado and New Mexico, and all of Arizona.

M. Beernaert. La Cour sait que les délais fixés par le protocole sont très courts et que nous n’avons eu que peu de temps à consacrer à l’étude de cette affaire. Nous n’avons done pu songer à répondre par un mémoire développé au mémoire de la partie adverse; mais nous avons fait imprimer des conclusions qui résument en termes succincts mais complets tous les éléments de notre système de défense. Je vais avoir à Pinstant l’honneur de faire distribuer ces conclusions à la Cour, des exemplaires en ay ant été déjà remis à la partie adverse.

Je me permets, Messieurs, d’ajouter: Tout en sachant le plus grand gré à la cour de nous avoir mis à même, Son Excellence M. Pardo et moi, de prendre part demain à Bruxelles aux funerailles de ma regrettée Reine, je dois faire remarquer que les devoirs qui nous incombent à cette occasion nous rendront extrêmement pénible l’obligation de repartir pour La Haye le jour même. S’il pouvait entrer dans les convenances de la cour de ne siéger que vendredi après-midi, M. Pardo et moi lui en serions fort reconnaissants et elle répondrait en même temps au désir manifesté par notre honorable contradicteur, M. le Sénateur Descamps.

M. le Président. Par suite de la demande d’ajournement qui vient d’être faite, après cette séance le Tribunal s’ajournera à vendredi 2h. ½.

M. Beernaert. Je remercie vivement la cour, au nom de Son Excellence M. Pardo et au mien.

M. le Président. La parole est au conseil des Etats-Unis mexicains pour la continuation de sa plaidoirie.

suite de la plaidoirie de m. delacroix.

Messieurs: Au moment où Paudience a été levée, j’avais eu l’honneur de donner lecture à la cour d’un document qui, je crois, méritait son attention, et qui porte la date du 13 novembre 1744. C’est par erreur que nous avions indiqué 1734; vous trouverez à la page 196 du volume rouge le texte espagnol de ce document et il porte en eifet la date de 1744; ainsi que l’a fait fort sagement remarquer Pun des membres du siège.

Messieurs, nous avons examiné ce matin si les demandeurs pouvaient puiser un titre à leur prétention dans les actes de donation primitifs. Nous avons constaté que ces actes donnaient les droits les plus absolus aux Jésuites de Californie, que ces droits étaient exclusifs, dans la pensée des donateurs, de toute intervention de l’église comme de toute intervention du pouvoir civil. Ces actes avaient été faits en [Page 669] vue d’avantager les missions, oeuvres de conquête, et les missions de Californie. Nous avons dit, documents en main, ce qu’était la Californie à l’époque où les donations ont été faites, quel était le pays, quel était le territoire que ces donateurs pouvaient avoir eu en vue.

Nous avons ajouté, messieurs—et j’en étais arrivé à cette question lorsque l’audience a été levé—que si les donateurs avaient attribué aux béneficiaires de ces donations, c’est-à-dire aux Jésuites, tous les droits, tous les pouvoirs qu’ils pouvaient leur conférer, si de leur part il n’y avait aucune restriction dans cette attribution de droits, il y en avait ime qui dérivait de la loi, du pouvoir souverain.

C’est ici que se place une indication que j’avais fugitivement donnée à la cour: un édit de Charles Quint du 10 novembre 1520; reproduit dans les Placards de Brabant, le partie, p. 80 à 84, et reproduit dans les Placards de Flandre, 8e Partie, p. 10 à 17, disait ceci:

Chez nous les mainmortes ne pouvaient acquérir à cause de mort et entre vifs, il fallait l’autorisation du prince et des gens de loi.

C’est-à-dire que déjà du temps de Charles Quint, qui était le souverain tant des Pays-Bas que d’Espagne, on considérait qu’il y avait à se préoccuper de l’envahissement de la mainmorte, et que le souverain devait intervenir pour limiter le droit de posséder de ces personnes civiles, c’est-à-dire de ces entités morales qui ne trouvaient leur existence que dans la loi elle-même.

Cet édit, Messieurs, fut ratifié par Marie-Thérèse le 28 septembre, 1753, et c’est à l’occasion de cette ratification par Marie-Thérèse que nous trouvons la citation que je viens de faire et qui est reproduite dans les placards de Brabant et dans les placards de Flandre aux pages que j’ai indiquées.

Voici donc, Messieurs, que la loi déjà depuis le 16e siècle était intervenue, en concurrence en quelque sorte avec les droits des bénéficiaires de mainmortes. Ce qui est intéressant dans ce débat c’est que si à côté du droit du donataire il y a un autre droit qui vient se mêler à celui-là, ce n’est pas le droit de l’église, c’est le droit du souverain, le droit de celui qui représente la nation, l’ensemble de la collectivité.

A ce point de vue il est intéressant de signaler ce qui suit: Lorsque la présente question a été soumise à la commission mixte, l’honorable surarbitre à estimé que les biens dont il s’agit devaient être des biens ecclésiastiques, des biens de l’église, uniquement parce que la pensée qui avait dicté ces donations était une pensée pieuse, c’est-à-dire une pensée dont le but pieux devait prédominer sur le but politique. Eh bien, Messieurs, nous croyons qu’il ne suffit pas qu’une donation ait été faite dans une préoccupation pieuse pour que le bien appartienne à l’église, c’est là à notre sens une confusion absolue. En effet, lorsque nous regardons de près cet acte de donation de 1735, ne voyons-nous pas que ce qui a déterminé la donation c’était sans aucun doute une pensée pieuse, mais que c’était également une pensée politique?

Ce n’est pas le mobile que nous devons considérer, c’est le fait, c’est l’objet de la donation. Eh bien, je vous le demande, je suppose qu’on fasse une donation à une personne déterminée, je dis à telle personne: je vous donne mon bien, je vous donne un domaine qui m’appartient, je vous le donne en propriété absolue, mais je désire que vous l’employiez de telle et telle manière, je désire que vous y receiviez telle ou telle congrégation, telle ou telle personne, que vous entreteniez tels ou tels pauvres, que vous fassiez un établissement de bienfaisance, que [Page 670] vous y recueilliez des vieillards pauvres; je suis guidé, en un mot, par une idée de bienfaisance quelconque; je donne à cette personne le pouvoir absolu en ce qui concerne ce bien, sauf que je lui fais une recommandation.

Dans notre législation moderne, une telle disposition serait dangereuse parce qu’il pourrait se faire que l’on dît que cette donation sera nulle, étant en contrariété avec certaines dispositions législatives positives; mais, d’une manière absolue, et laissant de côté cette question de nullité qui n’intéresse pas le débat actuel, n’est-il pas évident que cel ui qui serait le bénéficiaire de cette donation serait incontestablement l’individu lui-même et non pas l’église? Est-ce qu’il est possible de sanctionner par un arrêt que toute donation qui aurait été determinée par un mobile religieux entraînerait une propriété de l’église? Ce n’est pas possible, ce n’est pas juridique.

Je me permets à ce point de vue d’en revenir à ce qui s’est passé lors de la Révolution Franchise et lors de la sécularisation qui s’en est suivie. Je vous parlais du decret du 2–4 novembre 1789 disant:

L’assemblée Nationale décrète:

Que tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la Nation, à la charge de pourvoir d’une maniere convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres, sous la surveillance et d’après les instructions des provinces; que dans les dispositions à, faire pour subvenir à l’entretien des ministres de la religion il ne pourra être assuré à la dotation d’une cure moins de 200 livres.

Puis, l’ouvrage que je tiens en ce moment à la main, le “Répertoire de l’Administration” dit:

Le droit que l’ Assemblée Constituante reconnaît à la Nation de disposer des biens ecclésiastiques n’est pas un droit nouveau qu’elle a créé tout exprès pour la circonstance; il préexistait; il est inhérent à toute nation comme la souveraineté dont il dérive; l’Angleterre, l’Autriche, l’avient exercé avant elle, l’Espagne l’a exercé depuis, et chaque peuple exercera losque la nécessité lui en fera un devoir.

Et plus loin:

Vainement dirait-on que la nation n’avait pas le droit de supprimer le clergé; la noblesse etle tiers-orde comme corps politiques; ce serait refuser à une nation le droit de se constituer comme elle l’en tend, ce serait inféoder les peuples à une forme de gouvernement qui une fois établie ne pourrait plus être changee quels que fussent les changements survenus dans les mceurs, les besoins et les intérêts de la société, ce serait saper la principe sur lequel reposent toutes les Constitutions anciennes et modernes. Disons done avec assurance que la nation à le droit de supprimer tout ce qui n’existe que par sa volonté expresse ou taeite, et que le elergé une fois supprimé comme corps, les biens ecclésiastiques a, sa disposition ne pouvaient plus appartenir qu’a l’Etat.

Il est bien entendu que je ne discute pas ici la légitimité au point de vue politique de telle ou telle mesure, telle par exemple que la suppression d’un corps ou d’une communauté religieuse, mais je dis ceci: c’est que de même que toutes les institutions gouvernementales sont sujettes à changement parce que les mceurs changent, parce que les besoins, les nécessités se modifient, tout ce qui est une institution gouvernementale, quelle qu’elle soit, est appelé à disparaître et à être remplacé par une autre; ce sont toujours des entités juridiques qui sont des émanations de la nation, qui n’existent que par la volonté de la nation, et par conséquent il appartient à celle-ci de les faire disparaitre, que ce soit une faute ou non, et chaque fois c’est la nation qui rentre dans le dominium complet dont elle avait abandonné une part à une main-morte, à une personne civile.

Eh bien, messieurs, c’est cette éventualité que les donateurs primitifs [Page 671] n’avaient pas prévue, ou, s’ils l’ont prévue ils l’ont acceptée avec toutes ses conséquences fatales, c’est-à-dire notamment avec cette conséquence que les biens devaient rentrer dans le dominium général.

Si j’ai insisté sur ce fait, messieurs, c’est qu’au point de vue de ma démonstration j’ai désiré être complet, parce que je ne pense pas que cette question ait dans le litige une importance essentielle. En effet, les actes de donation primitifs ont cessé d’avoir leur effet, leur vertu juridique, à partir du jour où le Roi y a substitué des actes nouveaux, c’est-à-dire des actes d’appropriation ou de confiscation.

J’ai cru devoir vous démontrer ce principe qui est à la base de toutes les législations, c’est que les biens sans maître appartiennent à l’Etat; mais je n’avais pas besoin de faire cette démonstration parce que le fait est la: un acte du souverain à declare qu’il en serait ainsi, et cet acte du souverain, messieurs, vous le connaissez, il se trouve dans le decret de Charles III de 1767 et dans le décret d’exécution de 1768. A partir de ce moment, les biens, quels qu’ils fussent, quelle que fût la légitimité de leur possession antèrieure, sont entrés dans le domaine du Roi, qui représente la nation, parce que le Roi, qui à cette époque surtout avait tous les droits, a estimé que ces biens qui étaient entre les mains des Jésuites devaient rentrer dans son domaine. Dès lors, comme je vous le disais, à mon sens les actes de donation primitifs ne pourraient en aucun cas être invoqués par nos honorables contradicteurs. Ils ne pouvaient pas l’être, messieurs, et en fait ils ne l’ont pas été. Cet argument n’est pas sans importance dans l’espèce, car si les demandeurs revendiquent une succession, une hérédité, s’ils appuient leur soutènement sur les actes de donation primitifs, à quelle époque, je vous le demande, devaient-ils faire valoir leur revendication ou leur petition d’hérédité N’est-ce pas au moment où les Jésuites cessaient d’exister, ou les biens ne pouvaient plus appartenir aux Jésuites? N’était-ce pas alors que celui dans le domaine de qui les biens devaient rentrer devait immédiatemente apparaître? Est-ce l’Eglise? est-ce le Roi? Si c’est l’Eglise ou si l’Eglise y prétend, elle ne va pas laisser passer ces biens dans le domaine du Roi sans protester. Elle ne proteste pas . . . . “qui ne proteste pas consent” . . . . elle acquiesce, elle accepte, c’est à-dire, messieurs, qu’elle ratifie tout ce que j’ai l’honneur de dire ici.

Ceci est done le jugement de l’Histoire, le jugement de l’Eglise le plus solennel et le plus puissant, parce que, ne l’oublions pas, ce jugement date de plus d’un siècle.

Et dans quelles conditions cet acquiescement se présente-t-il? Jene veux plus y revenir parce que vous connaissez les faits, et la bienveillante attention que vous m’avez accordé ne me permet assurément pas de revenir sur ce que j’ai dit. Mais je me permets cependant de vous rappeler combien à notre sens la bulle du pape Clément XIV qui supprimait Pordre des Jésuites six années après le decret de Charles III, lequel à amené la confiscation des biens des Jésuites, avait son importance, et combien j’avais raison, me semble-t-il, de vous dire à une précédente audience que si l’Eglise avait une protestation à formuler elle devait la formuler dès 1767 et avant 1773, et qu’à partir du moment où le pape avait sanctionné ce décret plus personne ne pouvait au nom de l’Eglise formuler une revendication quelconque?

Donc, messieurs, à notre sens, la demande à pour objet de réviser un acte souverain, un acte de Charles III, et cette révision, outre qu’elle n’est pas admissible en droit, aurait dû amener une protestation à [Page 672] l’époque, cette protestation n’a pas été produite alors, elle est tardive aujourd’hui.

Mais, messieurs, Facte de Charles III, qui prend la place de l’acte de donation, comprenait, comme je l’ai dit à la précédente audience, une réserve. Charles III disait dans son décret de 1767 qu’il prenait les biens saus préjudice aux charges qui sont imposées par les donateurs”—ce que mon honorable contradicteur traduisait en disant qu’il prenait les biens “cum onere.”

Eh bien, messieurs, la traduction latine ne me paraît pas exacte, parce qu’elle implique une idée de droit civil, et qu’à notre sens des idées de droit civil ne pouvaient pas prendre place dans un décret de droit public.

Ce décret de 1767 est incontestablement un acte du pouvoir souverain. Le soverain, qui chasse les Jésuites, agit comme souverain, et l’acte qui décide, qui décrète que les biens appartenant à cette mainmorte seront au Eoi est incontestablement aussi un acte du pouvoir souverain. Et voici que dans la thèse des adversaires, dans cet acte ayant à ce double titre le caractere d’acte souverain se serait glisèe une disposition de droit civil? Non, jamais personne ne Fa cru, et certainement le Roi ne l’a pas voulu.

En effet, messieurs, qu’est-ce qu’une dispostion de droit civil? Elle suppose le transf ert d’un droit qui appartenait à l’Etat dans le chef d’un autre sujetdu droit; elle suppose done la création d’une créance dans le chef d’un tiers à charge de l’Etat. Quel est ce tiers? et conçoit-on d’abord que le Roi, qui avait alors les prétentions que l’on sait, qui agissait avec cette toute-puissance qu’il s’attribuait de droit divin, ait admis qu’il se créait un créancier et que quelqu’un aurait pu l’actionner devant les tribunaux d’alors pour lui reclamer l’exéeution de cet engagement? Ah non! c’était une disposition qu’il prenait de droit souverain, o’était une volonteé qu’il exprimait, qui était destinée dans sa pensée à donner satisfaction à la population; mais il n’entendait pas aliéner ou diminuer ses droits.

D’ailleurs, messieurs, si j’y insiste maintenant, c’est que cette même idée va revenir lorsque nous analyserons les décrets du 19e siècle. Il ne peut pas se concevoir qu’une créance soit ainsi créée à charge de l’Etat dans la forme que nois connaissons. Une créance ne résulte pas d’un décret, d’un acte unilatéral du pouvoir souverain; le pouvoir souverain énonce une volonté politique. Est-ce que quelqu’un aurait pu venir devant les tribunaux discuter la manière dont le pouvoir souverain exercerait cette intention ou cette volonté? Evidemment non.

D’ailleurs, quel serait le créancier ainsi créée? Serait-ce l’Eglise catholique? Mais, messieurs, nous ne la voyons pas intervenir; comme je le disais, s’il y à un bien donné à l’Eglise nous devons toujours voir apparaître une autorité ecclésiastique pour l’accepter. Il en est si peu ainsi que le Roi, au lendemain du décret va instituer des commissaires royaux pour administrer les biens; puis il les donnera aux Franciscains, ensuite aux Dominicains; il donnera à Fun ce qu’il à retire à Fautre. Cela se pourrait-il s’il y avait un droit civil? Non.

J’ai tort d’insister sur des notions aussi élémentaires et essentielles du droit.

Au surplus comment se produit le droit des demandeurs? d’où procède-t-il? quelle est sa filiation?

Les demandeurs, aujourd’hui, formuleraient une revendication au nom de l’Eglise en se fondant sur les actes de donation primitifes ou [Page 673] sur le décret de Charles III; ils seraient héritiers à travers le Gouvernement mexicain, à travers le Roi d’Espagne, pour remonter jusqu’aux Jésuites. C’est une succession d’assez longue haleine, et on imagine difficilement que cette période de plus d’un siecle qui s’est écoulée entre le moment où la donation aurait été constitutée et le moment où la revendication s’est produite, n’ait pas laissé une trace, l’affirmation d’un droit au profit de l’Eglise, que jamais un acte quelconque n’ait marqué son intervention, son droit, sa possession.

Je crois doncpouvoir conclure sur ce premier point que les demandeurs ne peuvent déduire ni de Facte de donation ni du décret de Charles III aucun titre, aucun appui. Mais j’ajoute—et je termine sur ce point:—Pourquoi serait-ce l’Eglise de Californie qui pourrait réclamer plutôt que l’Eglise universelle? Il semble que ce soit l’Eglise universelle a certains égards qui revendiqué, ou qui ait revendique, puisque nous voyons que lors du précédent débat et de la précédente condamnation c’est le chef de l’Eglise universelle qui a réparti, qui a distribué le montant de la condamnation, et nous voyons que le produit de cette condamnation, a servi à différents pays et non pas seulement à la Californie.

Alors je me demande: où est done le titre que l’on veut puiser dans les actes de donation, puisque nous savons que ce que l’on pouvait avoir en vue à cette époque ce n’était que la Californie de l’époque, c’est-à-dire la péninsule, que la veille encore on croyait une île; ce n’était done pas la Haute Californie d’aujourd’hui.

Mais il y a plus. Les donateurs entendaient donner aux missions des Jésuites, et les Missions des Jésuites ont existé mais n’ont existé que dans la Basse Californie. Sans doute les donateurs disaient que les sacrifices qu’ils faisaient pourraient advantager aussi les Missions d’autres pays si elles étaient fondées par les Jésuites, c’est-à-dire que c’était une faculté laissée aux Jésuites de faire servir ces biens à des Missions d’autres pays, mais si les Jésuites n’ont pas usé de cette faculté, s’ils ont restreint leurs Missions à la Basse California, on se demande vraiment comment aujourd’hui l’on pourrait trouver un tire dans Facte de donation de 1735 pOur dire que c’était la Haute Californie, un pays où jamais les Jésuites n’ont créé une Mission, qui pourrait revendiquer le bénéfice des donations.

On a dit aussi, messieurs, que l’Etat, le Roi d’Espagne, aurait occupé ces fonds en qualité de trustee. C’est exact dans un sens, mais c’est erroné dans un autre sens. Il est incontestable que les biens en question—je parle de la notion juridique du fait—appartiennent à la nation, à l’Etat comme tel, ou a l’Eglise comme telle, que le Roi peut done être considéré comme le commissaire, l’administrateur, le trustee comme l’evêque serait l’administrateur ou le trustee; mais on ne peut tenir compte de cette notion de trustee; le Roi comme tel, e’est-à-dire l’Etat espagnol qui était concentré dans la personne du Roi alors, avait tous les pouvoirs, il avait les pouvoirs les plus absolus; pourquoi? Parce que l’on ne m’indiquera pas quelq’un qui ait un droit privatif ou exclusif du sien. S’il y a une restriction dans ce droit de l’Etat, il faut qu’elle existe au profit de quelqu’un. Quel serait ce quelqu’un? On ne pourrait pas Findiquer. Par conséquent les droits du Roi sont absolus, exclusifs. Et il ne s’agit pas d’un mandat; le Roi mandatire de qui? De la collectivité des Indiens? Ce n’est pas un être juridique!

J’en arrive ainsi, messieures, aux décrets de 1836, 1842 et 1815.

[Page 674]

La situation juridique était done à cette époque ce que je viens d’indiquer; je crois avoir démontré—et pour le moment je suppose que ma démonstration est complète—qu’en 1836 l’Eglise n’avait aucun droit sur ces biens, que les pouvoirs les plus absolus résidaient dans la personne du Roi ou de l’Etat, et des lors cette démonstration étant faite, ou supposée faite, examinons la portée du premier décret qui est invoqué, celui du 19 septembre 1836. Ce décret vous le connaissez, il a pour objet l’institution éventuelle d’un évêchés. Vous connaissez les raisons politiques qui avaient déterminé cette institution: il y avait là des curés intérimaires, les anciens Franciscains, qui n’avaient pas de chef, il fallait un évêque, on en avait senti la nécessite, car on voyait déjà poindre a l’horizon l’intervention de l’étranger.

On décide done qu’il faudra un évêque, qu’on demandera l’intervention du pape. Tout cela se trouve réalisé en 1840; on alloue à cet évêque un traitement de 6,000 piastres, 3,000 piastres de frais de déplacement, etc, et on dit que le produit des propriétés sera administré et employé par lui suivant les vues des donateurs.

Qu’est-ce que cela? C’est un décret, n’est pas un contrat synallagmatique.

Eh bien, messieurs, je vous disais que lorsqu’un décret confie à un fonctionnaire un service public—et assurément on considerait en 1836 que les Missions de Californie constituaient un service public et un service public du plus haut intérêt puisqu’il était le moyen d’eviter l’intervention de l’etranger—il ne lui transfère pas de droits civils. En Belgique, il existe un partie des impôts dui est affectée aux villes, aux communes, c’est le Fonds communal; il y a certaines recettes de l’Etat qui sont affectées aux communes et qui sont distributées entre dies; mais cette appropriation suppose-t-elle un droit civil? Non. Eest-ce que le gouvernement beige ne pourrait pas par une loi nouvelle changer demain ce qui a été décidé aujourd’hui? Si aujourd’hui il a convenu que le Fonds communal, que telles recettes du trésor, seraient affectés aux communes et distribués entre elles pour leurs besoins—les communes ont cependant bien la personnalité civile—est-ce que c’est une créance de droit civil qu’on leur donne? est-ce qu’elles pourront actionner l’Etat en paiement? Mais non! parceque c’est un acte des pouvoirs publics; c’est un décret, ce n’est pas un contrat, c’est un acte unilatéral, et que plus est, unilatéral du souverain qui décide, qui édicte.

Je suppose, messieurs, par impossible, que le gouvernement de 1836 ait eu l’intention de transférer à l’évêque de Californie les droits que lui Etat possédait jusque-là, qu’il ait voulu lui donner un droit civil, lui faire un abandon de propriété; je suppose cela; est-ce qu’il n’aurait pas eu soin de faire alors un contrat? Quand l’Etat aliène une de ses propriétés au profit d’un particulier il fait un acte de vente; s’il reconnaît une créance vis-à-vis d’un particulier il le fait dans une forme qui implique la reconnaissance d’obligations réciproque; cela se fait toujours dans une forme distincte d’un décret. Pourquoi? Parce qu’il faut des conditions, parce que si l’on vend, parce que si l’on abandonne un droit on demande quelque chose en retour, on impose des conditions, des obligations.

Concevez-vous, messieurs, que ce décret qui ne nommait pas encore l’évêque, qui ne l’instituait pas encore mais qui annonçait l’intention de de l’instituer, aurait eu pour objet un transfert de propriété ou la transmission [Page 675] d’une créance civile au profit de l’évêque de San Francisco, ou au profit d’une personne que n’existait pas encore? C’est inadmissible:

D’ailleurs le texte du décret lui-même dit que les biens appartenant au Fonds Pie sont placés à la disposition du nouvel évêque pour être administrés. Ce sont les deux mots que j’ai indiqués; je ne puis plus y revenir, mais je vous ai dit que nous avions trouvé dans la legislation française les mêmés mots lorsqu’on decidait dans le décret du 26 messidor, an IX, article 12:

Toutes les églises métropolitaines, cathédrales, paroissiales on autres non aliénées sont mises à la disposition des évêques.

Est-ce que quelqu’un a jamais pensé que les évêques devenaient propriétaires des cathédrales parce que le Concordat en avait décidé ainsi? Mais non! Messieurs, et nous voyons dans l’article 91 de la loi de 1793, qui est postérieure:

Les habitations et emplacements nécessaires aux services de la commune, qui sont employés comme tels, comme les prisons, les presbytdres ne peuvent cesser d’appartenir aux communes.

Vous voyez done toujours dans le droit public cette notion de mise a la disposition de quelqu’un en vue de Pexercice d’un service public, comme le culte dans le cas que j’indique, et jamais on n’estime que c’est un transfert de propriété.

Nous avons d’ailleurs à ce point de vue des autorités irrécusables et qui ne seront certes pas récusées par nos honorables contradicteurs. En effet, je vous ai dit hier que nous avions pour nous l’autorité et l’aveu de l’évêque lui-même; je vous citais son aveu exprès par l’organe de l’avocat qui avait été chargé de protester en 1842 contre des mesures dont je vais avoir à vous parler. Mais je vais maintenant vous indiquer son aveu tacite, car si un décret du 19 septembre 1836 avait mis les biens à la disposition de l’évêque un autre décret du 8 février 1842 lui reprenait ce qui lui avait été concédé. Ceci, à mon sens, est tout a fait décisif, parce que cela vous montre, d’abord ce que pensait le Gouvernement mexicain. C’est lui qui a fait le décret de 1836; s’il estime qu’il a renoncé à ses droits, qu’il les a abandonnés au profit de l’évêque, qu’il les lui a attribués, il ne peut pas reprendre ce qu’il lui a donné. Mais, avec la plus grande facilité, de même que ce décret avait été signé en 1836, un autre décret va reprendre ce qui été concédé, et on va dire que l’Etat va se charger directement de l’administration du Fonds et de Papplication des produits de ce Fonds.

Comme je l’indiquais hier, si tant est qu’un droit civil fût né dans le chef de l’évêque, une expropriation était necessaire. Or, non seulement l’Etat ne fait pas d’expropriation mais l’évêque n’en réclame pas, parce que l’évêque reconnaît que c’est le droit de l’Etat, qu’il n’a été investi de droits que dans la mesure du service qui lui était confié.

En 1842 l’Etat charge le général Valencia d’administrer le Fonds. Le 24 octobre 1842 le gouvernement va décider cette fois que les biens vont être nationalisés, incorpores au Trésor—ce sont les termes dont se sert le décret. C’est-à-dire que s’il pouvait rester encore un doute dans cette affaire, cet acte du pouvoir souverain du 24 octobre 1842 va le dissiper et l’anéantir définitivement. Et l’Etat annonce qu’il va affecter une somme représentant un intérêt de 6 pour cent du produit du Fonds à “des buts de bienfaisance et nationaux” conformes aux volontés des donateurs.

[Page 676]

Ici, Messieurs, j’aurai vite fini, parce que je n’ai à me poser qu’une question: Est-ce que ce décret du 24 octobre 1842 aurait donné naissance à une créance civile que l’on pourrait faire valoir aujourd’hui?

Il faut se demander d’abord quel est ce créancier; serait-ce l’évêque? Mais, c’est impossible, puisque la loi de 1842 a eu prEcisEment pour objet de retirer à l’évêque l’administration et la disposition qu’on lui avait données. Ce n’est qu’en 1845 qu’il sera question de lui rendre une partie de cette administration, mais en 1842 le décret du 24 octobre comme celui du 8 février nationalisaient, c’est-à-dire qu’on reprenait à l’évêque ce qu’on lui avait donné; ce n’est done pas lui qu’on va créer créancier de l’Etat. Si ce n’est pas l’évêque, si ce n’est pas l’église, alors qui est-ce? Ce ne sont pas les Indiens; j’ai difc, en effet, individuellement ils n’ont aucun droit, collectivement ils ne sont rien ou ils sont représentés par la nation. Donc, Messieurs, il est impossible d’imaginer, d’indiquer le créancier que l’Etat se serait créé en 1842.

Ce décret, qui est l’expression d’une volonté unilatérale du pouvoir souverain, va être remplacé par le décret du 3 avril 1845. A cette Epoque l’on décide de rendre a Pévêque une certaine administration, l’administration de ce qui reste, de ce qui n’est pas aliéné.

Sur ce point, Messieurs, il n’y a pas de demande; mes honorables contradicteurs ne réclament pas de droits dérivant du décret de 1845 en tant qu’il aurait restitué à l’évêque l’administration des biens qui n’avaient pas été aliénés parce que ce serait la revendieation d’un capital; or, cela on ne nous le demande pas.

Qu’est-ce qui reste alors dans le décret du 3 avril 1845? L’affirmation du pouvoir souverain, du droit du congrès de disposer du Fonds comme il l’entend, en tant que celui-ci a été aliéné. Or, en tant qu’il avait été aliéne, ce qui pouvait subsister c’était un revenu de 6 per cent que l’Etat avait indiqué comme devant être affecté à des objets de bienfaisance; on réserve au congrès le droit d’en disposer, il n’en a jamais disposé.

Mais cela ne suffit pas. Quelles que soient les conséquences de cet acte, quelle que soit la disposition qui est prise et que nous n’avons pas à discuter ici, ce que vous avez à rechercher et à proclamer c’est le caractère souverain de tous ces décrets, et cela, Messieurs, me paraît indiscutable et incontestable. Est-ce que nous ne voyons pas dans cette succession même de décrets l’affirmation constante du pouvoir souverain au sujet de ce Fonds? Est-ce que ces modifications successives permettent ericore que l’on vienne dire qu’il existait un droit privatif en dehors de l’Etat et contre l’Etat? Cela n’est pas possible.

Messieurs, la question avait déjà été examinée et résolue dans le procès auquel je faisais allusion dans l’audience d’hier, le procès relatif a la succession de Dona Josepha Arguelles. Vous vous souvenez que le Conseil des Indes, par une sentence du 4 juin 1783, avait décidé que les biens dépendant de cette succession, en tant qu’ils avaient été attribués aux missions des Jésuites, étaient à la disposition du Roi et à son bon plaisir. Est-ce que, Messieurs, une sentence pareille a pu intervenir sans contradiction de la part de l’autorité religieuse, et est-il possible qu’une autorité religieuse dise aujourd’hui que faisant valoir des droits de son auteur elle a des droits contraires a ceux qui ont été proclamés alors?

Il me paraît, Messieurs, que cette décision a une importance capitale à ce procès. Il y avait un quart qui a été abandonné par les Jésuites, auquel ils ont renoncé, qui était destiné aux collegès et qui ne leur a [Page 677] pas été attribué: n’en parlons plus. Mais il y avait les ¾ de la succession qui de par la donation étaient destinés aux missions des Jésuites. Le procès était considérable. Eh bien, voici que les Jésuites sont expulses depuis 1768, qu’ils ont disparu, la famille conteste la donation, elle demande que ces biens lui soient attribués; alors si l’église est l’heritiere des Jésuites, si elle est aux droits des Jésuites, n’est-ce pas elle qui va intervenir, et conyoit-on que sans protestation de la part de l’autorite religieuse la Cour Suprême d’alors ait pu décider que ces biens, par le fait qu’ils étaient donnés aux missions des Jésuites, appartenaient originellement au Roi et qu’ils devaient être mis à sa discretion? Est-ce que cette absence de protestation n’est pas l’aveu le plus complet qu’on puisse souhaiter?

Je ne parle plus, parce que je vous en ai dit un mot ce matin, mais vous en retiendrez l’importance, du procès jugé dans l’Amérique même, dans la Haute Californie, depuis la suppression des Jésuites, et dans lequel nous avons vu cette affirmation formelle que les missions étaient des œuvres politiques et non pas des oeuvres religieuses; et cela a été jugé depuis la séparation de la Californie.

D’ailleurs peut-on concevoir que quelqu’un puisse dire encore aujourd’hui: il y a des sommes qui ont été données aux missions et je les revendique au nom de la Haute Californie? Quelle serait la signification d’une telle demande? Le Gouvernement mexicain, le 16 Janvier 1839, par l’organe de son ministre des affaires ecclésiastiques—c’est un document qui se trouve reproduit dans la défense de M. Azpiroz, page 393 du livre rouge—s’était exprimé dans les termes suivants:

La Basse Californie doit maintenant devenir l’objet de toute la sollieitude du Gouvernement, en ce qui concerne ses besoins tant civils qu’ecclésiastiques, parce que ce territoire ayant été démembré en vertu du traité de Guadalupe Hidalgo la part qui nous reste a besoin de législations spéciales pour assurer son administration. Elle ne peut pas évidemment seule constituer l’évèche” qui fut créé par décret du 19 septembre 1836. Le Gouvernement dirige son attention sur les intérêts des habitants de la région et il fera usage de tous ses pouvoirs constitutionals dans ce but, sauf à demander au besoin aide et appui aux représeiitants de la nation.

C’est-à-dire, Messieurs, qu’en 1849, au lendemam du traité qui avait définitivement enlevé au Mexique les territoires du Nouveau Mexique et de la Haute Californie, le ministre des affaires ecclesiastiques, qui avait dans ses attributions le Fonds Pie, disait: Il faut maintenant s’appliquer a defendre, à protéger la Basse Californie. Le ministre d’alors se rendait compte de la faute politique que j’indiquais hier; on n’avait pas assez tenu compte des nécessités de ces pays de la côte; il y avait maintenant à se préoccuper avant tout de la Basse Californie, parce que la lecon avait profité.

Eh bien, je vous le demande, Messieurs, alors que le Gouvernement du Mexique comme pouvoir souverain va affecter toutes les disponibilités qu’il aura pour soutenir la Basse Californie et qu’il demandera même l’aide de la nation dans ce but, il sera permis à un tiers, à un étranger, de venir lui dire: Non, vous allez employer le produit de ce fonds Pie à la Haute Californie? C’est inadmissible. Et comme je le disais, est-il possible de fonder une réclamation pareille sur la volonteé des donateurs primitifs, sur la volonteé des Mexicains d’alors, de ceux qui devaient avant tout se préoccuper du territoire du Mexique, de la race mexicaine, de la race espagnole, de ceux qui ne pouvaient alors connaitre que la Basse Californie? Et n’y a-t-il pas, par conséquent, en dehors de toutes les considérations juridiques que je viens de vous présenter, une antinomie absolue ô venir réclamer au nom d’un Etat [Page 678] étranger ou plutôt au nom d’évêques étrangers, l’application du produit du Fonds Pie au profit de la partie étrangère du territoire ancien au detriment de la partie du territoire restée nationale.

C’est important, parce que vous voyez immédiatement le caractère de la demande, qui est un caractère d’immixtion: on veut en somme empêcher le Gouvernement mexicain, qui a toujours été propriétaire outitulaire de ce Fonds, de l’employer pour la Californie, Haute ou Basse, comme il l’entend; il n’a plus que la Basse Californie, on lui a conquis l’autre, et il ne pourrait pas y employer les fonds qu’il a à sa disposition.

Je passe, Messieurs, à l’examen d’un point tout différent, mais qui constitue à mon sens, elle aussi, une réponse décisive et péremptoire à la demande que est formulée devant vous. Cette réponse est puisée dans le traité de 1848.

Je n’ai plus à revenir sur les circonstances dans lesquelles ce traité a été conclu, vous les connaissez; mais je dois indiquer à le cour ce qui a été la pensee des parties au moment ou elles ont conclu ce traité, et surtout ce qu’elles ont abandonné, les décharges qu’elles se sont donnés et qui sont incompatibles avec la demande actuelle.

Comme je vous l’ai dit, Messieurs, de la part du Gouvernement américain une réclamation serait tout a fait impossible. Lorsque le traité a été débattu il l’a été pied a pied; il avait en grande partie pour objet une question d’argent; la conquête était réalisée depuis 1846, les territoires devaient être abandonnés, c’était entendu, les Etats-Unis vainqueurs n’admettaient plus la discussion de ce point; mais il y avait une question d’équité, il y avait une question d’argent à débattre. Comme vous l’avez vu, Messieurs, c’était en somme au point de vue superficiel la plus grande partie du territoire du Mexique qui Etait cédée aux Etats-Unis; c’était un abandon considérable qui avait pour conséquence de laisser toutes les charges du Mexique à la partie qui n’était pas détachée. C’est ce que se sont dit les plénipotentiaires qui sont intervenus à la conclusion de ce traitE. lis ont dit: il y a la une chose raisonnable, il faut que nous intervenions, non pas pour acheter le territoire comme on l’a dit—il n’en était pas question—mais pour rembourser une dette qui affectait ce territoire et qui serait laissée à la charge du pays vaincu. Par conséquent, il faillait fixer cette indemnité. Tous les éléments en ont été débattus; il y a eu naturellement des préliminaires nombreux, on a dû faire des calculs, établir des chiffres, et c’est ainsi que l’on est arrivé à fixer définitivement une somme de 15 millions de dollars qui a été payée. L’on a été plus loin encore, l’on a donné décharge au Gouvernement mexicain au nom des eitoyens américains qui pouvaient être ses créanciers.

Quelle devient, je vous le demande, la prétention actuelle, dans ces conditions?

A ce moment-là les deux parties, après deux annèes de debats en arrivaient a un accord, a une décharge réciproque absolue; elles allaient aussi loin que possible dans les efforts tentés pour supprimer tout sujet de conflit dans l’avenir et elles auraient voulu réserver cet élément de discorde actuellement débattu? Est-ce possible?

Il y aurait eu quelqu’un a qui on aurait réservé un droit vis-à-vis du Mexique! quiétait-il? Assurément s’il y avait eu quelqu’un qui eût pu prétendre à cette réserve? C’était l’Etat américain seul; il aurait pu tenir au Mexique ce langage: Vous avez un Fonds, vous avez des biens qui ont été donnés jadis pour l’ensemble du territoire mexicain [Page 679] et plus spécial emeu t pour la Californie, nous prenons une partie du territoire, donnez-nous une partie de ce Fonds. Ce à quoi probablement le Mexique aurait répondu: Pardon, je prends toute la dette, je prends toutes les charges, et je n’ai pas à vous donner ime partie du Fonds.

Concevrait-on d’ailleurs qu’une telle prétention ait été formulée alors qu’il s’agissait de déterminer la somme que les Etats-Unis avaient à payer. Ils auraient pu faire valoir cette circonstance lorsqu’on débattait le chifl’re de l’indemnité, je ne sais si cette prétention a été formulée, jepense qu’elle ne l’a pas été; mais dans tous les cas c’est alors et alors seulement qu’elle pouvait être produite utilement. Mais, si ce débat terminé la déchargé était donnée réciproquement, que pouvait réclamer encore le Gouvernement des Etats-Unis, qui représentait naturellement la collectivité soit d’Indiens soit de catholiques qui aurait eu des droits vis-à-vis du gouvernement mexicain?

Or, messieurs, le Gouvernement américain donne quittance, il donne décharge sans réserve aucune; comment imaginer encore que le Mexique ait une dette soit vis-à-vis du Gouvernement américain soit vis-à-vis des collectivités qu’il représente? Vis-à-vis des citoyens américains il n’en pouvait avoir davantage. Sur ce point les adversaires ne eontesteront certainement pas ce que j’ai dit ce matin, parce que c’est le texte de l’article 14 du traité qui le dit expressément:

Le gouvernement donne décharge au nom des citoyens des Etats-Unis.

Et le texte de l’article 15 confirme cela de plus pres puisque le Gouvernement Américain se charge de toutes les dettes que le Gouvernement Mexicain pouvait avoir vis-à-vis des citoyens des Etats-Unis moyennant la remise d’une somme de 3.250 000 dollars.

Dés lors, ni l’Etat ni les citoyens américains ne pouvaient avoir un droit résérve contre l’Etat mexicain.

Que restait-il? On nous dit: l’Eglise. J’ai répondu déjà en vous disant: l’Eglise, la collectivité des catholiques ou la collectivité des Indiens, c’était la nation, c’était le gouvernement qui les représentait qui devait faire une réserve pour eux. Mais à partir du traité de Guadalupe Hidalgo de 1848, le Gouvernement mexicain s’étant affranchi de toute dette vis-à-vis des citoyens et de l’Etat américains, il n’avait plus de dettes de l’autre côté de la frontière et il n’en pouvait plus avoir.

Que peut-il rester si l’Etat et ses sujets n’ont plus de créance? Il ne reste plus rien!

Mais on dit: ce ne sont pas des citoyens, c’est une personnalité civile. Non, elle n’existait pas, puisque l’Eglise comme personnalité civile dans la Haute Californie ne va naître qu’en 1854 en vertu d’une loi américaine; done en 1848 elle n’existe pas, elle ne peut par conséquent pas être sujette du droit et conséquemment avoir une créance contre l’Etat mexicain.

Je vous ai rappelé, messieurs, cette circonstance caractéristique que dans un premier projet de traité il avait été stipule que les communautés jouissant de la personnalité civile jusqu’en 1848 auraient momentanément continue a en jouir après 1848, e’est-à-dire apres l’incorporation américaine: mais le Sénat de Washington n’a pas voulu de cette disposition et l’a remplacee par une disposition platonique que n’était que la confirmation du principe de la liberté de conscience de tous.

De telle façon, messieurs, que je mets encore ici mes honorés contradicteurs au défi de dire quelle était lors du traité de 1848 la [Page 680] personne qui pouvait avoir un droit contre l’Etat mexicain? Si en 1848 l’Etat mexicain n’a plus de debiteurs, il ne peut appartenir à personne de l’autre côté de la frontière de lui réclamer l’exécution d’un engagement comme étant aux droits d’un débiteur de 1848.

Si le gouvernement mexicain n’a plus pris d’engagements depuis le traité de Guadalupe Hidalgo, s’il n’est plus intervenu pour se créer une charge en Haute Californie après 1848, il faut qu’on me démontre qu’à la date du 2 février 1848 il existait quelqu’un qui eût un droit; ce quelqu’un on ne me le nommera pas parce qu’il n’existait pas, parce qu’il ne pouvait pas exister!

Dans les préliminaires de ce traité de 1848 je trouve dans des documents officiels, dans des rapports qui étaient adressés au Gouvernement mexicain, les indications que voici:

Les 15 millions eonvenus à l’article 12 et les stipulations des articles 13 et 14 sont l’indemnisation las plus claire que nous puissions obtenir comme compensation des dommages soufferts par la République; celle ci, diminuée par l’aceroissement de territoire acquis par sa voisine, les mêmes obligations qu’elle avait auparavant vont peser sur un nombre moindre d’ habitants et sur un pays moins grand et sont par conséquent plus onéreux. Ainsi, notre Dette intérieure et extérieure devra être satisfaite en entier par la partie du peuple mexicain qui concerve ce nom, tandis que sans la cession elle s’étendrait sur toute la République telle qu’elle était auparavant. Ce sont des dommages de cette nature qui dans la mesure du possible son réparés par l’indemnisation.

Vous voyez, messieurs, que ce que je vous disais tout-à-l’heure n’est pas neuf, mais que c’était la pensée due traité puisque je le trouve dans les travaux préparatoires. C’était une pensée d’ailleurs normale: Lorsqu’un territoire est détache d’un autre à la suite d’une conquête il y à un compte a faire, et si la réclamation actuelle avait eu une valeur elle aurait dû prendre place dans ce compte. Mais aujourd’hui que ce compte est liquidé on ne conçoit plus qu’une nation vienne dire à l’autre: Nous avons traité, nous avons débattu, nous avons fait un compte, nous sommes arrivés à une somme de 15 millions de dollars, et nous exigeons encone aujourd’hui de nouveaux millions. C’est impossible.

Dans les mêmes travaux préparatoires je lis ce qui suit:

La véritable utilité, disait le plénipotentiaire mexicain, des arrangements contenus dans les trois articles ne consiste pas précisément en ce que la République soit exonérée dupaiement des sommes auxquelles il se réèfere, quel qu’en soit le montant, petit ou élevé, mais dans le réglement de tous ses comptes avec la nation voisine, et á ce que rien ne reste pendant, susceptible d’altérer la bonne intelligence entre les deux gouverneménts et de donner lieu à des contestations embrouillées et dangereuses. Cela est bien d’une importance capitale.

C’est-à-dire, messieurs, que la pensée qui avait animé les plénipotentiaires était cette pensee qui doit toujours guider ceux qui ont l’honneur de discuter un traité entre deux nations jadis en guerre: Il faut supprimer toute cause de conflit, il faut non seulement aplanir les difficultes du passe mais encore faire en sorte qu’il n’en puisse plus naitre. C’est cette pensée que nous retrouvons ici, et c’est contre cette pensée que se heurte la demande actuelle.

Quelles sont les objections que l’on formule? car enfin cela semble si évident que l’on se demande comment l’on peut soutenir que le traité de 1848 a maintenu à la charge du Mexique une dette vis-à-vis de la nation ou d’une partie de la nation des Etats-Unis.

Il y a une double objection qui nous est faite; la première est celle-ci, on nous dit: Mais, les demandeurs, ce sont les évêques de Californie [Page 681] ou plutôt ce sont les évêchés de Californie; ils n’existent comme personne morale que depuis 1854, ils n’existaient pas en 1848, par conséquent ils n’ont pas pu donner une décharge à cette date.

Ah! messieurs, j’allais dire et je m’en excuse: Le bon billet! … Comment! lorsque nous recherchons si lors du traité il y avait une réserve, c’est-à-dire s’il y avait encore un sujet de droits qui pût avoir une créance quelconque contre le Mexique, et qui pût recevoir par conséquent une obligation du Mexique, je démontre qu’il n’y en avait pas et qu’il n’en pouvait pas exister, et voici que les honorables contradicteurs qui doivent contester ce que je viens de dire invoquent les mêmes circonstances mais pour prétendre qu’ils ne pouvaient pas renoncer à un droit parce qu’ils n’existaient-pas! Ce qui fait, messieurs, qu’après avoir reconnu ainsi implicitement la valeur de notre argument lorsque nous disions: vous ne pouvez pas avoir un droit parce que vous n’étiez pas encore; ils éludent l’argument en disant: nous n’avions pas de droits et nous ne pouvions done pas y renoncer.

Mais vous ne pou viez pas renoncer parce que vous n’a viez pas de droits et vous n’aviez pas de droits parce que vous n’existiez pas. Nous en revenons done toujours à ma thèse primitivé, a savoir que lors du traité de 1848 il n’y avait personne qui eut un droit privatif vis-à-vis du Mexique.

L’autre objection, est celle-ci: on nous dit: Nous n’avions pas de créance en 1848, notre créance n’a pris naissance que postérieurement. Et pour donner une apparence de fondement à cette thèse on nous fait observe que ce que l’on demande ce sont des intérêts et non le capital; “comme les intérêts coulent d’annee en annee, on peut ne pas avoir de créance en 1848 et avoir des droits aux intérêts en 1849!”

Je n’ai pas besoin, messieurs, de vous démontrer combien cette these me paraît—sauf le respect que je dois à mes honorés contradieteurs—peu juridique, parce qu’il me paraît impossible, si vous n’avez pas de droits de créance réservés en 1848, et si depuis lors le Mexique n’est pas intervenu pour vous en conferér, que vous puissiez en avoir un. Si vous n’aviez pas de créance en 1848 comment en auriez-vous acquis depuis, et comment est-il possible de dire que parce qu’on ne réclame que les intérêts et non le capital on ne se trouve pas atteint par la décharge de 1848? N’est-il pas evident, messieurs, que si des intérêts sont dus c’est en vertu d’un droit préexistant a 1848? Cela est apparu d’autant plus a l’evidence lorsque j’ai demandé tout-é-l’heure à mes honorables contradicteurs le titre, le fondement de leur créance, ce titre, ils ne le puisent que dans les décrets de 1836 à 1845 ou dans les actes de donation primitifs, c’est-à-dire dans des documents, dans des droits antérieurs a 1848. La créance devait exister, à terme ou non avant 1848, et si elle n’existait pas alors elle ne pouvait plus naître.

Notez que la thèse des adversaires revient à dire ceci: C’est que leur titre serait fondé sur une loi américaine, et que sans l’intervention due Mexique ce serait la loi américaine qui aurait donné naissance à la créance dont ils se prévalent aujourd’hui.

Et, messieurs, c’est bien leur thèse puisqu’ils d’isent qu’ils n’existaient pas avant 1854, que leurs droits ne pouvaient naître qu’é partir de la loi américaine qui leur a donné la personnalité civile.

Il en résulte d’abord ceci: c’est que s’il avait plu à l’Etat américain de ne pas mettre au monde cette entité juridique nouvelle, nous n’aurions pas eu de créanciers. Mais, s’il lui a paru avantageux de créer [Page 682] cet être nouveau, s’ensuit-il que nous en devenions le par rain obligé et que nous devions alimenter perpétuellement cet être qu’il lui a plu de créér? Ce n’est pas possible.

Est-il plausible qu’une loi d’un Etat étranger puisse avoir cette conséquence de créer une obligation civile privée à la charge d’un autre Etat? Si vous n’aviez pas de droits avant 1848 vous ne pouviez plus en acquérir et si vous en aviez un il est couvert par le traité de 1848 qui emporte la décharge la plus absolue.

Dans la thèse même des demandeurs les intérêts sont la contreprestation de l’exonération de la volonteé des fondateurs: les fondateurs primitif s auraient eu la pensée que le revenu des biens qu’ils donnaient serait appliqué annuellement à une pensée de bienf aisance et religieuse, à l’exoneration d’une Mission. Or, ils doivent reconnaître qu’ils n’existaient pas de 1848 à 1854; ils sont donc impuissants à être sujets du droit comme ils sont impuissants à exonérer une fondation, et malgré cela ils auraient droit année par année à ces intérêts, même pendant la période où ils n’existaient pas!

Vous voyez, messieurs, à quelle erreur juridique la these des demandeurs me paraît se heurter. En 1848, disons-nous, le Mexique avait le droit de croire qu’il n’avait plus de dette de l’autre côté de la frontiere, il n’y avait plus d’être pouvant formuler une revendication civile vis-à-vis de lui, il avait obtenu une décharge, il avait même pris le soin de constituer un débiteur a sa place et ce débiteur c’était le Gouvernement des Etats-Unis; il lui avait remis une somme de 3,250,000 dollars pour qu’il se chargeât de payer à sa place toutes les dettes qu’il pouvait avoir de l’autre côté de la frontière. Conçon-on que dans ces conditions un être puisse dire: Je n’existais pas, je n’avais pas de droits, et parce qu’une loi postérieure m’a donné naissance je puis puiser dans cette naissance le fondement d’une revendication? Messieurs, c’est impossible!

Nous croyons done qu’à ce second point de vue encore la thèse des demandeurs n’est pas fondée, qu’il y a dans le traité a côté d’un élément juridique qui doit faire ecarter la demande un élément moral dont la haute portée n’échappera pas à la Cour d’arbitrage.

Il y a une appréciation du traité qui doit être faite par vous. Vous devez vous rendre compte des difficultés qui ont pu naître au lendemain de conflits aussi aigus que ceux qui ont existé entre le Mexique et les Etats-Unis, de la pensée qui doit guider ceux qui font de tels traités, et vous devez vous dire, même s’il doit rester un doute dans vos esprits, que les auteurs du traité ont du avoir la pensée de mettre fin a tout sujet de conflit.

Nous croyons avoir pu vous démontrer que c’était non seulement la pensée du Mexique mais aussi celle des Etats-Unis. Je vous ai indiqué en effet, lorsque j’ai eu Phonneur de vous exposer les faits, que la demande actuelle avait été déjà agitée par les honorables avocats de la Haute Californie à partir de 1852 ou 1859, qu’alors ils l’avaient étudiée, qu’ils l’avaient préseatée aux Etats-Unis; et, messieurs, le gouvernement des Etats-Unis n’aurait certainement pas attendu que les intéressés lui adressassent des communications officielles s’il avait cru qu’il y avait eu un oubli dans le traité, s’il y avait eu une réserve qui n’avait pas été exprimée mais qui était implicite.

Messieurs, il ne fait rien pendant vingt années. Dix années après le trait, les évêques addressent à leur Gouvernement une réclamation, et il va encore se passer dix années sans que le gouvernement des Etats-Unis [Page 683] formule une réclamation quelconque vis-à-vis du gouvernement du Mexique; il a fallu le hasard de Pinstitution d’une Commission mixte qui précisement avait été destinee à régler toute une série de conflits nés posterieurement a 1848, pour que les demandeurs trouvassent un Tribunal devant lequel ils pussent porter leur demande, sinon le gouvernement des Etats-Unis ne la prenait pas en main et par conséquent acceptait cette interpretation large mais cette interprétation rationnelle que nous donnons au traité de 1848.

Je passe, messieurs, à une autre proposition. Il s’agit d’une troisième réponse que nous faisons à la demande; nous disons: Les lois mexicaines sont applicables au Fonds Pie de Californie et elles ont nationalisé les biens ecclésiastiques. Ces lois de 1857 et 1859 ont été distributées à la Cour ou se trouvent dans les documents du dossier.

Aux termes de cette législation, postérieure au traité de 1848, il y a au Mexique une interdiction absolue pour les communautés religieuses de posséder, elles ne peuvent avoir la personnalité civile. La loi de 1857 dont vous verrez les termes, est d’une violence—je puis bien m’exprimer ainsi—extraordinaire. Nous avions des lois de la Révolution Frangaise qui s’étaient exprimées au sujet des biens eeclesiastiques dans des termes énergiques, mais les lois du Mexique de 1857 et de 1859 sont absolument radicales: c’est une interdiction absolue de posséder des biens, qu’il s’agisse de communautés religieuses, d’églises, d’ecclésiastiques séculiers ou réguliers.

Ce sont à des lois sur le mérite ou l’pportunité politique desquelles nous n’avons pas à nous prononcer, c’est la loi; une loi guidée par une pensée d’ordre public, bien ou mal entendue, opportune ou inopportune, mais la loi, ne sera-t-elle pas applicable au Fonds Pie?

Constatons tout d’abord que d’apres les demandeurs eux-mêmes le Fonds Pie appartiendrait pour partie a l’Eglise de la Haute Californie et pour une autre partie à l’Eglise de la Basse Californie; on a partagé par moitié naguère; on réclame actuellement près de 9/10.

Et voici done que la loi mexicaine serait nécessairement applicable à la partie du Fonds Pie qui serait affectée à la Basse Californie: l’évêque de la Californie ne pourra se présenter devant le Gouvernement mexicain et lui dire: j’ai une créance à votre charge, vous me devez telle somme, et pour l’obtenir, je m’adresse aux institutes pour juger le Governement mexicain. Sans aucun doute soumis à la loi mexicaine, les fonds qu’il réclamerait devraient être soumis à l’application de la loi de 1857; une telle demande de sa part serait done certainement non recevable. Aussi n’a-t-elle pas été formulée.

Des lors concevrait-on la logique du système qui consisterait à dire que cette loi ne serait pas applicable à l’autre partie du Fonds? Il s’agit d’un Fonds qui était composé autrefois d’immeubles réalisés pour la plus grande partie et aujourd’hui représentés par une créance hypothécaire. Je dis hypothécate parce que le décret de 1836 affecte le revenu des Tabacs à la garantie du paiement de la somme à titre d’hypotheque; c’est-à-dire que le gouvernement a transformé un meuble en immeuble par destination et fait une créance réelle de ce qui aurait pu être une créance personnelle.

Voici done en tout cas qu’il s’agit d’un fonds mexicain, qui d’après la théorie même des adversaires reste dans le chef du Mexique, dont le Mexique doit le produit dans l’hypothèse des adversaires; eh bien, je vous le demande, est-ce que cette loi ne sera pas applicable?

Sir Edward Fry, Où se trouve cette loi?

[Page 684]

M. Delacroix. Elle doit être entre les mains de M. le Secrétaire général, elle est parmi les documents du dossier que nous avons déposé.

Donc, messieurs, cette loi devrait recevoir son application générale parce qu’elle est d’ordre public; elle devrait être appliquée par les tribunaux mexicains dont vous avez pris la place, auxquels vous êtes substitués. Il est certain que le défendeur étant le Mexique, la créance étant à sa charge, les fonds qu’on revendique étant mexicains, cette loi devrait être appliquée.

Ah! messieurs, j’ai dû le dire en commenpant, il est de ces lois dont l’opportunité peut être critiquée, et l’on peut admettre qu’il y ait quelque chose de froissant à ce qu’une loi d’un pays puisee nuire à des intérêts de l’étranger; cela donne lieu alors à des représentations diplomatiques; seulement il n’en est pas moins vrai que dans la rigueur de la justice cette loi doit être appliquée. Est-ce qu’il n’existe pas dans certains pays une interdiction par exemple aux juifs de posséder, et dans d’autres pays d’une manière générale une interdiction aux étrangers de posséder? Eh bien, je vous le demande, si un étranger, par ignorance de ces lois ou par suite de certaines circonstances se trouvait en possession de biens, si la loi devait lui être appliquée ce serait dur, mais enfin elle devrait l’être. Tout au plus cela pourrait-il entraîner une intervention diplomatique, mais il n’en est pas moins vrai qu’on ne pourrait pastrouver la justification juridique de cette loi dans l’exclusion de son application au Fonds en question.

Comme je vous’le disais, il y a ici un principe de droit international privé, c’est pourquoi des le début j’indiquais à la Cour qu’il y avait à se préoccuper du droit qui régissait la créance; ce’st une créance privée que l’on fait valoir, c’est un droit civil qui fonde la demande des demandeurs, et par conséquent c’est un droits civil que vous devez apprécier d’après les lois civiles.

Cette loi a été prise dans des termes généraux; elle est d’une application générale et spécialement en ce qui conceroe le Fonds Pie il est impossible qu’elle ne soit pas appliquée. Cette loi est intitulée “Loi de nationalisation des biens ecclesiastiques,” et s’il y a dans ce fait qu’une loi étrangère peut être ainsi appliquee a un fonds revendique partiellement par des étrangers une anomalie, cette anomalie disparaît si l’on songe pour quelles raisons ce Fonds prétendûment appartenant à des étrangers se trouve encore entre les mains du Mexique.

Mais messieurs, n’est-il pas évident—et ceci vient confirmer ce que je vous disais tout à l’heure a propos du traité de Guadalupe Hidalgo—que si les Etats-Unis avaient eu un droit à prétendre sur le Fonds, soit pour eux-mêmes soit pour des collectivités qu’ils répresentaient, ils devaient le faire valoir de suite? Est-ce que de la part des Etats-Unis ce n’était pas, si je puis m’exprimer ainsi, une imprudence tout au moins que de laisser ce Fonds Pie qui appartenait a eux ou a leur collectiviteé entre les mains du Mexique? Le fait qu’ils le laissaient à la disposition ou à la discrétion du Mexique devait aboutir à cette conséquence, que plus tard le Mexique pouvait adopter une législation funeste aux étrangers.

Donc, messieurs, s’il y a qulque chose dans cette argumentation, dans ce moyen, qui peut être froissant—le fait d’une législation aussi radicale étant imposée a un étranger et pouvant nuire à ses intérêts—cela dérive du fait des Etats-Unis eux-mêmes, qui s’ils avaient eu un droit en 1848 auraient du prendre ce Fonds etl’administrer eux-mêmes immédiatement, le faire valoir, de façon à empêcher que le Mexique [Page 685] prît plus tard une législation qui n’était d’ailleurs pas prise pour ce cas exceptionnel et qui pût nuire à des étrangers.

J’ajoute qu’a l’époque où ces lois mexicaines étaient adoptées il n’y avait pas encore de réclamation au sujet du Fonds Pie. La première réclamation n’a été adressée au Mexique—sauf une réclamation verbale sur le caractère de laquelle nous ne sommes pas édifiés—qu’à ladate de 1870 ou 1871; de telle façon que lorsqu’en 1857 et 1859 le Mexique adoptait ces législations qui excluaient toute espèce de revendication il le faisait dans la plénitude de son droit, parce que cette législation lui apparaissait comme opportune, comme conforme aux intérêts de sanation. Voila donc, messieurs, une législation qui, spéciale au Mexique devait avoir pour conséquence d’interdire la réclamation actuelle, c’est pourquoi, lorsque le Mexique s’était présenté devant la première Commission mixte, il avait fait valoir cette circonstance que les évêques de Californie ne jouissaient de la personnalité civile que dans certaines limites, que le décret qui leur avait donné la personnalité civile limitait leurs pouvoirs aux biens situes dans leurs diocèses, que par conséquent ils ne pouvaient pas avoir de droits sur des biens qui auraient été situés a l’étranger.

Nous ne reproduisons pas ce moyen comme tel parce qu’il nous paraît qu’il devient inutile. La législation des deux pays se trouve en concours non en contradiction; de même que le Mexique dit: aucun ecciesiastique ne peut posséder, ne peut même administrer, de même aux Etats-Unis il avait été décidé que la personnalité civile qui avait été donnée aux évêques était limitée à l’exercice des droits situés dans leurs diocèses.

Ici, messieurs, je répare une omission qui s’est produite dans la plaidoirie que j’ai eu l’honneur de vous faire. J’ai oublié de vous dire que les Jésuites n’ont pas, d’après leur ordre, le droit de posséder; les Jésuites, d’après leur règle ne peuvent pas posséder de biens. Si done ils ont eu des biens a un moment donne, s’ils ont recu cette permission exceptionnelle et contraire aux règles de leur ordre ce n’était done pas pour l’Eglise, en supposant qu’ils eussent qualité pour représenter l’Eglise, c’était pour l’œuvre à laquelle ils étaient spécialement attachés, et je vous ai démontré que cette œuvre avait un caractère politique et national de conquête militaire. Je crois done vous avoir démontré que par les trois raisons que j’ai développées jusqu’ici la réclamation des demandeurs ne peut être accueillie.

M. de Martens. Permettez-moi de vous poser une question: Est-ce que le Mexique a refusé de discuter ces prétentions devant les deux Commissions qui ont été nominees en vertu de l’arrangement de 1868 ou plus tard? Est-ce que le Mexique est entré en discussion de ces prétentions? Est-ce qu’il a refuse nettement ou bien est-ce qu’il a admis la possibilité de discuter cette question, qui est à présent portée devant ce Tribunal?

M. Delacroix. Quelle question?

M. de Martens. C’est-à-dire justement la prétention des évêques de Californie.

M. Delacroix. Lors de la Commission mixte le Gouvernement a résisté, il a discuté, il a plaidé, il s’est défendu et il a succombé.

M. de Martens. Vous dites que d’après le traité de Guadalupe Hidalgo le Mexique était en droit de refuser toutes les prétentions avant 1818 …

[Page 686]

M. Delacroix. Parfaitement.

M. de Martens. Maintenant, cette prétention a été portée devant la commission?

M. Delacroix. Parfaitement.

M. de Martens. Est-ce que le Gouvernement mexicain a refusé d’entrer en discussion? Il pouvait refuser nettement, dire que c’était une prétention n’ayant pas une force légale.

M. Delacroix. Voici la réponse. Comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, le traité de 1848, d’après nous, excluait toute réclamation pour des faits antérieurs. Mais les demandeurs, au lieu de réclamer, comme cela se trouvait indiqué dans la lettre de 1859 comme aussi dans celle du 13 mars 1870, le capital, c’est-à-dire le Fonds lui-même, la créance dont Porigine évidemment était antérieure à 1848, ont réclamé seulement l’intérêt en disant: l’intéràt a une naissance postérieure à 1848, et par conséquent nous sommes recevables a en poursuivre la réclamation devant la Commission mixte. C’est ce point qui était débattu, il s’agissait de savoir si on pouvait demander les intérêts comme ayant une origine posterieure a 1848 et comme n’étant pas couverts par le traité. Ce point a été débattu devant la Commission mixte; la question de la créance ne pouvait être utilement discutée par la raison que la partie adverse avait dit d’avance: ce n’est pas la créance que je réclame, ce sont les intérêts d’année en année postérieurement à 1848.

M. de Martens. Merci.

M. Delacroix. J’ai maintenant à examiner, messieurs, quelques moyens subsidiaires que j’indique parce qu’ils dérivent de la nature des choses, qu’ils sont profondément juridiques, et je ne serais pas complet si je ne les avais pas indiqués.

Il s’agit d’autres lois mexicaines, de 1885 et de 1894. Vous savez, messieurs, que dans la première moitié du siecle le Mexique avait traversé une période de trouble et d’agitation, des gouvernements successifs avaient occupé le pouvoir, il y avait eu dans l’administration certaines lacunes comme cela peut se concevoir lorsqu’il s’agit d’un gouvernement jeune, âgé de quelques années seulement. En 1885, le Mexique a estimé qu’il ne pouvait pas arriver à avoir de bonnes finances s’il n’y mettait pas de Pordre, et pour cela il a estime qu’il était néeessaire qu’il appelat tous ses créanciers pour qu’ils vinssent affirmer quel était le montant de leur créance. Le Mexique a alors, aux termes de cette législation spéciale que vous posseéez également—lois de 1885 et de 1894—institué un Tribunal spécial—je crois même que Son Excellence M. Pardo était président de ce Tribunal—qui Etait chargé de juger toutes les créances existant à charge du Gouvernement mexicain, de telle manière que le gouvernement pouvait connaitre exactement le montant de sa dette et pouvait se convaincre qu’il n’avait pas de dettes en dehors de celles qui avaient été reconnues. Comme il existait un certain désordre dans l’établissement de la dette, c’était le moyen radical d’établir des finances nettes et claires.

Le Gouvernement, en vue de sanctionner la mesure qu’il prenait ainsi, avait décidé que ceux qui n’auraient pas produit leurs créances dans un certain délai, fixé d’abord à 8 mois, ensuite à 11 mois, seraient déchus de leurs droits de débiteurs. C’Etait radical mais c’Etait un acte du pouvoir souverain. L’Etat mexicain avait estimé que c’était pour lui une nécessité et de même que nous avons vu certains gouvernements se trouver à un moment obligés de tiercer leur dette, c’est-à-dire de diminuer la dette qu’ils avaient primitivement contractée, en [Page 687] vue de consolider leurs finances, de même ici le gouvernement pouvait prendre cette mesure, qui pouvait être critiquée si elle affectait des étrangers et qui pouvait amener, comme je le disais précédemment, une intervention diplomatique, mais qui devait être en tout cas appliquée par les tribunaux.

Cette loi a été appliquée à des étrangers: il y avait de la dette vis-à-vis d’Anglais, vis-à-vis d’habitants de la Haute Californie, tous ont dû accepter cette loi et s’y soumettre, c’est-à-dire faire reconnaître leur dette au bureau constitué pour etablir le bilan des dettes de l’Etat.

A cette législation les demandeurs ne se sont pas soumis; et il est d’autant plus étrange qu’ils ne s’y soient pas soumis que précisément je vous indiquais à une précédente audience qu’il était incroyable que si les demandeurs estimaient qu’ils avaient une créance annuelle aussi considérable à la charge de l’Etat mexicain, ils ne l’aient pas revendiquée à chaque échéance, et que depuis 1870 jusqu’à 1891 aucune demande n’ait été formulée.

Cet argument, que je vous citais en termes généraux à une précédente audience, est renforcé par cette circonstance qu’il existait au Mexique des lois de déchéance pour ceux qui n’auraient pas formulé leurs réclamations dans un certain délai. Vraiment, peut-on les plaindre de n’avoir pas fait ce qui était nécessaire pour maintenir, protéger et conserver leurs droits?

Mais, messieurs, cette législation est-elle done si exceptionnelle? Est-ce que dans tous nos Codes nous n’avons pas une prescription de 20 ou 30 ans, qui exclut les revendications tardives? Nous avons aussi dans la législation mexicaine une prescription quinquennale affectant les annuités qui ne sont pas réclamées. De telle façon, messieurs, qu’à tous égards nous constatons ici l’existence de prescriptions successives qui constituent des fins de non recevoir contre la réclamation actuelle.

Vous voyez qu’il nous est à peu pres indifferent que l’on invoque ces dispositions générales de tous les Codes civils, de toutes les législations, ou que l’on invoque cette législation spéciale mexicaine de 1885 et de 1894. Vous voyez que tout cela entame par la base la réclamation des demandeurs. Est-ce que tout cela ne vous prouve pas que la créance n’était pas dans le patrimoine des demandeurs comme le serait une créance ordinaire?

Et quand on songe que les demandeurs ont plaidé que non seulement ils avaient une créance, mais que cette créance était reconnue par un jugement international, qu’il y avait chose jugée sur la question! et ils ne la produisent pas, et ils laissent malgré ce jugement atteindre leurs réclamations par ces prescriptions successives, spéciales et générales que je viens d’indiquer!

Tout cela vous démontre, messieurs, que la réclamation manque de fondement à tous egards et se heurte aux moyens divers que je viens de vous indiquer.

M. Asser. Je voudrais demander à M. Delacroix quelle est la date de la loi qui inscrit les prescriptions.

M. Emilio Pardo. 1884.

M. Delacroix. Tous les articles auxquels je viens de faire allusion ont été remis par M. le Ministre Pardo dans le dossier que possède le Tribunal et que détient Fhonorable secrétaire général. Je n’ai pas donné lecture de toutes ces dispositions parce que je suis déjà confus d’abuser des moments de la Cour; elle les trouvera dans le dossier, [Page 688] nous en avons d’ailleurs des copies. Vous trouverez toutes ces dispositions, qui sont, je le répète, communes à la plupart des législations.

M. Asser. Avant ce Code Civil de 1884 est ce que la prescription n’existait pas pour les rentes?

M. Delacroix. Le premier Code civil qui a été promulgué au Mexique date de 1871; le Code de 1884 ne fait pas autre chose que de réduire le délai de la prescription.

M. Asser. Je vous remercie beaucoup.

(Le Tribunal s’ajourne a vendredi à 2½ heures de relevée.)