neuvième séance.

La séance est ouverte à 10 heures du matin, tous les Arbitres étant présents.

M. le Président. La parole est au conseil des Etats-Unis mexicains.

suite de la plaidoirie de m. delacroix.

Messieurs: Je continuerai, avec la permission de la Cour, l’exposé que j’ai commencé hier.

La Cour aura remarqué par la revue des faits que nous avons rapidement passée hier, que tant que les Jésuites sont restés à la tête du Fonds Pie ils en ont disposé seuls, et que l’intervention du Roi, du souverain, ne s’est produite que pour les autoriser, les diriger, tout au plus les contrôler. Mais à partir du moment où l’ordre des Jésuites à été aboli, ou les Jésuites ont été expulsés, alors le Roi, le pouvoir souverain dispose, lui, des biens des Jésuites comme les Jésuites en avaient disposé antérieurement.

Un autre fait qui ne vous aura certainement pas échappé, c’est que tandis que nous voyons constamment cette intervention du Roi déjà lorsque les Jésuites disposent du Fonds, par un contrôle, une surveillance, une intervention, une autorisation, et plus tard par un droit de disposition et d’affectation, l’Eglise d’autre part n’intervient jamais, ni à la naissance de l’ordre des Jésuites en Californie, ni à la suppression, ni à aucun moment par la suite.

Nous en arrivons ainsi, messieurs ô la période qui à son point final en 1844.

Je dois ici exposer à la Cour la succession des faits relatifs à l’incident appeié affaire des îles Philippines. Vous vous souvenez que doña Josepha Arguelles, qui avait disposé au profit du Fonds Pie à concurrence d’une somme que l’on chiffre par 800,000 piastres, avait divisé sa fortune en quatre parties; toutes les quatre parties étaient donées aux Jesuites, mais un quart était destiné à leurs collèges tandis que les trois autres quarts étaient destinés pour moitié aux Missions des Philippines et pour l’autre moitié aux Missions de Californie. En 1827, lorsque l’indépendance du Mexique a été proclamée, lorsque le Mexique s’est séparé de l’Espagne, le Gouvernement mexicain a trouvé cet ensemble de biens qui a reçu le nom de Fonds Pie, qui avait été constitué par des mexicains et qui se trouvait composé de biens situés au Mexique. Le gouvernement mexicain s’est approprié ces biens, c’est [Page 648] à-dire que de son propre mouvement il s’est substitué au roi d’Espagne dans les droits que celui-ci pouvait avoir sur ces biens.

Mais, messieurs, si le roi d’Espagne avait laissé faire, il n’avait pas encore ratifié cette situation. Il s’est produit alors des réclamations de la part des Dominicains chargés des Missions des îles Philippines. Ceux-ei faisaient valoir—et il faut bien reconnaître qu’ils le faisaient valoir à juste titre—que si le roi d’Espagne avait la disposition de l’ensemble du Fonds Pie pour des Missions situEes dans deux parties de ses Etats, d’une part en Californie, d’autre part aux îles Philippines, si alors la Californie attenant au Mexique était détachée de I’Espagne, et si on pouvait admettre que le Gouvernement mexicain prît la place du roi d’Espagne dans ses droits sur le fonds en tant qu’ils affectaient les missions de Californie, il ne se concevrait pas que le roi d’Espagne abdiquât ses droits sur ces fonds en ce qui concerne la partie qui affectait les îles Philippines. Le roi d’Espagne avait l’ensemble des droits sur l’ensemble du Fonds Pie, mais il avait en même temps l’ensemble des Missions à diriger, à entretenir; il pouvait done se concevoir que puisque e’étaient des biens mexicains d’un fonds mexicain constitué par des Mexicains, le nouveau Gouvernement de Mexique se substituat au roi d’Espagne, mais seulement pour autant que ces biens n’eussent pas été affectes aux Missions des Philippines; le roi devait conserver cette partie puisqu’il avait l’intégralité des droits jusque-là.

C’étaient là, messieurs, il faut bien le dire, des raisons profondément juridiques et profondément justes que faisaient valoir les Missions des Philippines par l’organe du Ministre du roi d’Espagne. Le Gouvernement mexicain le comprit … que dis-je? le gouvernement mexicain fut heureux de ce que le roi d’Espagne voulait bien reconnaître que le gouvernement mexicain se substituait à lui pour cette partie du Fonds Pie qui concernait la Californie, à la simple condition qu’on reconnut au roi d’Espagne la conservation de la partie du Fonds qui était destinée aux îles Philippines. Aussi, messieurs, le gouvernement mexicain a-t-il accepté de faire le traité du 14 octobre 1836 par lequel il a reconnu au roi d’Espagne le droit sur la partie du Fonds destinée aux îles Philippines.

Ce n’était que juste: le roi d’Espagne était maître du tout, il conservait une partie de la charge, il conservait par le fait la propriété, la disposition d’une partie du fonds. Cette raison seule eût du suffire pour que le Gouvernement mexicain s’empressât d’accepter les propositions qui lui étaient faites par I’Espagne sous la forme d’une revendication. Mais il y était d’autant plus incite que d’autres considérations d’ordre politique venaient appuyer ces propositions. Le Gouvernement mexicainqui s’était déclaré indépendant depuis 1827 était toujours préoccupe de faire reconnaître cette indépendance par le roi d’Espagne, par le Gouvernement espagnol dont il s’était affranchi, dont il s’etait séparé, et voilà pourquoi il était pressé de faire cet accord, qui devait être suivi de l’accord relatif à la reconnaissance de son indépendance.

Cela est si vrai, messieurs, qu’à peine le traité du 14 octobre 1836 est-il intervenu au sujet du partage du Fonds Pie que le 28 décembre 1836, c’est-à-dire deux mois et demi après, un traité reconnait l’indépendance du Mexique. Vous le voyez, ces deux négociations étaient concomitantes et le Gouvernement mexicain avait trop de raisons pour ne pas s’empresser de donner cette satisfaction pécuniaire au Gouvernement espagnol.

[Page 649]

Mais, messieurs, si ce traité du 14 octobre 1836 reeonnaissait ainsi les droits du Gouvernement espagnol—lequel s’était déchargé des missions aux Philippines sur les missionnaires Dominicains—sur tous les biens qui avaient été destinés aux missions des Philippines, cette tradition des biens ne s’était pas effectuée d’une manière définitive, elaire et effective dès 1836, et c’est ainsi que nous allons voir que quelques années après, l’un des biens qui étaient destinés aux Missions des îles Philippines, qui appartenaient à ces Missions ou au roi d’Espagne pour ces missions, l’un de ces biens avait été vendu. Alors en vertu de la déclaration de principe, de la reconnaissance existant dans le traité du 14 octobre 1836, le Gouvernement espagnol représenté par son ministre et les Missions dominicaines représentées par le pèpre Moran, ont réclamé à Mexico en disant: Voilà un bien qui Stait destiné aux îles Philippines, vous l’avez reconnu, or vous l’avez vendu, c’est un tort—et c’était incontestablement un tort.

Aussi, messieurs, par une convention du 7 novembre 1844 le Gouvernement mexicain a consenti à transiger, et il a remis pour les missions des îles Philippines une somme principale de 115,000 piastres et une somme accessoire de 30,000 piastres à titre d’indemnitté, soit en tout 145,000 piastres. C’était une transaction.

Tout ce que je dis ici, messieurs, se trouve notamment rapporté dans le mémoire de M. Azpiroz, page 397 du livre rouge, sous le N°. 136.

Quelle était l’importanee des îies Philippines? Je ne connais pour ma part comme biens du Fonds Pie spécialement affectés aux îies Philippines que la moitié des trois quarts de la succession de Madame Arguelles. Cette succession, vous disais-je tout-à-l’heure, devait s’élever à plus de 800,000 piastres, et si je le dis, c’est parce qu’un rapport du 23 auût 1871, un inventaire de ces biens, amène à cette constatation qui était faite par le notaire de l’époque. De telle fapon que si un quart appartenait aux Jésuites pour leurs collèges et trois quarts pour leurs missions, il y avait une somme de 600,000 piastres au moins qui devait être partagée par les Missions de Californie et par celles des Philippines. C’est sur cette base qu’une transaction est intervenue.

Il y avait, paraît-il aussi—mais ici la précision n’est pas possible—d’autres petits biens qui auraient été donnés également à la fois pour la Californie et pour les îles Philippines et qui auraient été compris dans cette transaction dont je parlais il y a un instant. Dans tous les cas ce point n’a d’intérêt qu’au point de vue de la chronologie des faits. Mes ho no rabies eontradicteurs en ont parlé parce qu’ils y voyaient un argument, ils disaient: Nous sommes, nous, dans la situation des îles Philippines, nous sommes dans la même situation que les missions dominicaines, et puisque le Gouvernement mexican a reconnu le droit des Missionnaires des îles Philippines, pourquoi ne reconnait-il pas celui des Missionnaires de Californie?

Je n’ai pas besoin de vous démontrer, messieurs, que l’analogie dont on fait état n’existe absolument pas. La situation est toute différente, parce que d’abord je pourrais déjà dire: Vous argumentez d’une transaction, et le caractere essentiel d’une transaction c’est précisénent d’écarter la reconnaissance du droit qui pouvait être discuté.

Mais, messieurs, en dehors même de cette considération qui vous aura frappés, vous vous serez dit assurément que la situation n’est pas différente parce que celui avec lequel on transigeait avait tous les droits; il voulait bien en abandonner la plus grande part, on lui en laissait une faible partie pour les Missions dont il conservait la charge. Ce n’est [Page 650] pas assurément la situation aujourd’hui des demandeurs, qui, eux, n’auront pas tous les droits puisqu’ils n’ent ont aucun, et qu’ils revendiquent des droits que certes ils ne possédaient pas autrefois.

C’était là, messieurs, le fait qui avait eu sa conclusion par la convention du 7 novembre 1844. Vous vous souvenez qu’à cette époque la législation qui régissait cette question des Missions se trouvait dans les deux décrets de 1842, des 8 février et 24 octobre. Aux termes de ces décrets le Gouvernement mexicain avait repris à l’évêque de Californie l’administration qu’il lui avait confiée due Fonds Pie, il la lui avait reprise en disant qu’il se chargerait lui-même des besoins de ses Missions ou qu’il se chargerait lui-même des nécessités de la situation en Californie; il avait annoncé également qu’une somme de 6 pct. sur la valeur de ce Fonds serait ainsi affectée par lui.

Mais, messieurs, en 1845 un revirement se produit dans la législation. J’ai tout-à-l’heure argumenté de cette circonstance que les formes de gouvernement ne sont pas perpétuelles, qu’elles ne sont pas étérnelles; assurément le Mexique nous en donne un exemple dans cette période de l’histoire. Voici done que l’on va revenir en 1845 à la situation que l’on avait créée en principe en 1836, et fait en 1840, et que l’on avait abolie en 1842.

Le 3 avril 1845 intervient un nouveau décret; aux termes de ce décret le gouvernement va rendre à l’évêque l’administration du Fonds Pie, c’est-à-dire l’administration de ce qui reste du Fonds Pie, car, il ne faut pas l’oublier, en 1842 le gouvernement avait décidé la vente des biens, de telle façon qu’il ne pouvait plus disposer en 1845 que de ce qui restait des biens du Fonds Pie. Aussi dit-il qu’il confie à l’évêque l’administration de ce qui reste, sans préjudice du droit du Gouvernement de disposer en ce qui concerne le surplus.

Le surplus, qu’était-ce? Mais, le surplus, ce n’était que les 6 pct. qui restaient encore, dont le Gouvernement avait indiqué l’intention d’employer le montant aux besoins des Missions de Californie. C’était là ce qui restait encore. En bien, quant à ce reste-là, quant à ces 6 pet., il annonce que le Congrès en disposera comme il l’entendra.

C’était done un décret d’une importance secondaire ou d’une conséquence relative puisque ce décret du 3 avril 1845 ne restituait en réalité à l’évêque que la disposition ou l’administration des biens qui n’étaient pas aliénés.

Ce décret, messieurs, n’eut pas une application bien longue, parce que nous nous rapprochons de la date finale de la conquête de la Californie par les Etats-Unis.

Déjà en 1842, les moyens de communication n’étant pas rapides comme ils le sont aujourd’hui, on avait cru à un certain moment que les Etats-Unis avaient déjà pris la Californie; c’était un faux bruit; mais en 1846 ce fut une réalité; Monterey fut occupé par les troupes des Etats-Unis, et par conséquent ce fut le fait qui fut consacré par le droit plus tard; à partir de 1846 la Californie était occupé par les Etats-Unis, était considérée comme une conquête des Etats-Unis.

Cette situation de fait, cette conquête de la Californie par les Etats-Unis, réalisée en 1846, fut consacrée légalement le 2 février 1848 par le traité de Guadalupe-Hidalgo.

Ce traité avait été naturellement l’objet de discussions préliminaires nombreuses. C’était un traité important. Déjà depuis plusieurs années existaient des ferments de discorde nombreux entre les Etats-Unis et le Mexique; or voici que la conquêt s’était produite. … J’ai [Page 651] lu dans un document qui émane de mes honorables contradicteurs que la Californie avait été achetée par les Etats-Unis au Mexique; c’était une de ces ventes où la partie venderesse n’a pas la faculté de disposer ou de choisir. … L’on avait conquis, puis il fallait bien voir à quelles conditions on voulait faire ratifier la conquête, mais la conquête était faite, le fait brutal, le fait de la force primant le droit était accompli. Mais on fait un traité.

Ce traité devait prendre in place de bien d’autres conventions internationales qui avaient été signées entre les deux pays ou avaient été proposées pour régler les conflits entre eux. On avait constaté qu’il existait entre les deux pays une série de conflits pécuniaires qui venaient encore aggraver la situation irritante des rapports entre ces deux Etats, et pour y mettre fin l’on débat d’abord une indemnité pécuniaire à payer par les Etats-Unis au Mexique. Le fait de la conquête, le fait du détachement du Mexique de toute cette partie de territoire qui était le Nouveau Mexique et qui comprennait la Californie, était un fait qui s’était produit de la part des Etats-Unis par la conquêté et sur lequel ils n’admettaient plus la discussion; ces états seraient détachés du Mexique pour être incorporés par les Etats-Unis, mais il fallait traitér, ratifier, conclure. On admet la discussion sur une indemnité.

J’aurai l’honneur dans une autre audience de vous indiquer ce que furent les préliminaires de ce traité, mais dès a présent je vous dis qu’on avait indiqué quelle devait être la bas de la fixation de cette indemnité. La Californie et les états détachés du Mexique constituaient une charge pour le Mexique et aussi une source de revenus; c’était cette considération qui devait être la base de la discussion. Ainsi, par exemple, le Mexique avait une dette nationale, cette dette nationale avait été créeé pour les besoins de l’ensemble du territoire, c’était l’ensemble du territoire qui en avait profité, et il allait de soi que si une partie de ce territoire était détachée il fallait que cette dette nationale qui pesait alors sur la partie restante reçût un soutien, une contribution de la part du pays qui avait conquis le nouveau territoire. C’était là une notion profondément juste et juridique. Il fallait pour déterminer le chiffre de cette contribution tenir compte non pas seulement des charges que le Mexique restreint allait supporter seul, alors qu’il pouvait autrefois les répartir sur l’ensemble de son territoire, mais il fallait aussi tenir compte des avantages que pouvait en retirer le Nouveau Mexique, c’est-à-dire les charges dont il était débarrassé et dont il passait la main au nouveau gouvernement conquérant.

Voilà, messieurs, ce qui fit l’objet de la discussion, et ce débat amena le traité du 2 février 1848. On fixa une indemnité: 15 millions de dollars. Le gouvernement des Etats-Unis voulait bien dire: finissonsen, en ce qui concerne ce que peuvent être les rapports pécuniaires d’Etat à Etat, ces rapports pécuniaires qui peuvent être la conséquence du détachement d’une partie du territoire du Mexique pour son incorporation dans le territoire des Etats-Unis, nous allons fixer une somme debattue, chiffrée, 15 millions de dollars, et moyennant cette somme c’est fini, d’Etat à Etat il n’y a plus de rapports pécuniaires, il n’y a plus de dettes ou de créances parce que ces dettes ou ces chances entre les deux Etats se trouvent liquidées par le paiement de la somme qui constitue la différence entre ce que peuvent être le doit et l’avoir.

Voilà la première stipulation essentielle de ce traité du 2 février 1848: liquidation des droits d’Etat à Etat.

[Page 652]

Mais, messieurs, les parties voulant aller plus loin encore, voulant faire en sorte qu’il n’y eût plus de sujet de conflit entre les deux Etats, ont dit: nous allons créer ici une situation exceptionnelle.

La situation que j’indiquais tout-à-l’heure était logique, elle était normale, elle est dans la plupart des traités; mais voici qu’ici on veut aller plus loin et on dit: Il y a des citoyens d’un Etat qui ont des droits individuels civils ou privés, vis-à-vis de l’autre Etat, c’est asussi un sujet de conflit parce que ces citoyens créanciers d’un Etat sollicitent l’intervention diplomatique ou les bons offices de leur gouvernement vis-à-vis de l’autre Etat; encore une fois, c’est un sujet de discussion, une cause d’acrimonie entre les deux pays. Pour y mettre fin, on decide que le Gouvernement des Etats-Unis donne decharge au gouvernement mexicain pour toutes les créances que des citoyens des Etats-Unis peuvent avoir vis-à-vis de l’Etat Mexicain.

C’était une chose anormale, car les Etats-Unis n’avaient pas qualité pour donner décharge des créances civiles que leurs citoyens pouvaient avoir vis-à-vis des citoyens d’un autre Etat, mais ils acceptent de prendre la place de l’Etat mexicain vis-à-vis d’eux, c’est-à-dire qu’ils disent: Vous allez, vous, Etat mexicain, me payer une somme de, un forfait de 3,250,000 dollars, et moyennant cette somme je me charge de payer touts les créances que des citoyens américains peuvent avoir vis-à-vis de vous.

C’est done une décharge absolue par la substitution d’un débiteur à un autre; c’est, si je puis employer cette expression de droit civil, une novation qui est opérée, et qui implique une décharge absolue—la décharge se trouve d’ailleurs dans l’article 14 du traité de 1848.

Voici done que les deux Etats voulant aplanir toutes les difficultés, supprimer tous les sujets de conflit, avaient fait des choses extraordinaires, le Gouvernement des Etats-Unis acceptant de payer les dettes, quelles qu’elles fussent, du Gouvernement mexicaine vis-à-vis des citoyens américains. Le Gouvernement américain acceptait cette charge et de par le traité lui-même il était entendu qu’il aurait institué une commission américaine qui aurait été chargée de juger la valeur des créances produites par les citoyens américains vis-à-vis de l’Etat mexicain, de les apprécier, d’en fixer le chiffre, et le Gouvernement américain les aurait réglées quel qu’en fût le montant.

Est-ce que le Mexique, en présence, de cette double décharge, décharge de la part de l’Etat, décharge de la part des citoyens Américains, pouvait croire encore, en signant ce traité, qu’il conservait une dette vis-à-vis de cet Etat abandonné, detaché de son territoire, vis-à-vis de l’Eglise de la Haute Californie? Nous examinerons plus tard ce traits, et nous verrons que s’il y avait des droits appartenant à une collectivité quelconque dans la Haute Californie, c’était assurément le gouvernement américain, qui prenait le soin de ce nouvel Etat, qui en prenait la charge, alors qu’il prenait cet Etat sous sa tutelle, qu’il representait cette collectivité de la nation nouvelle, lui qui assurément aurait dû faire valoir ses droits lors du traité de Querétaro.

Messieurs, le Gouvernement mexicain devait être d’autant plus rassuré que dans un premier texte du traité, dans l’article 9 notamment, il avait été indiqué que les associations, communautés ecclésiastiques ou autres, les institutions jouissant de la personnalité civile au Mexique, auraient continué à en jouir dan’s le nouvel Etat, mais que le Sénat américain n’a pas accepté cette formule. Le Sénat américain n’acceptait pas d’être lie par une législation qui n’était pas la sienne, il n’acceptait [Page 653] pas que des eitoyens du nouvel Etat de Californie pussent encore se réclamer d’une législation qui n’était plus la leur parce qu’elle leur était devenue étrangère; le Sénat américain exigea done que le texte définitif du traité fût celui que vous possédez entre les mains, et tout ce qu’il consentit à dire e’est que chacun aurait le droit d’avoir les croyances, la religion qu’il lui conviendrait, sans que la liberié de conscience fût atteinte; mais quant à reconnaître une personnalité civile en vertu d’une législation étrangere, le Governement américain ne le voulut pas.

Dès lors, messieurs, il semble que le Gouvernement mexicain devait être de par le traité de Querétaro à l’abri de toute espéce de préoccupation; il devait se dire: je ne puis plus avoir de créanciers qui puissent faire valoir de crérances, et s’il existait encore un citoyen américain qui pût avoir une créances vis-à-vis de moi elle se trouve supprimée par le traité de Querétaro et par la volonté du. Gouvernement américain; e’est done fini. Il devait le croire, il l’a cru, et tout le monde Pa cru.

Je continue. En 1850 un être nouveau va apparaître, l’Eglise américaine, un évêché d’abord, puis un archevêché américain dans la Haute Californie. Cet être nouveau va devoir son existence à la légistion américaine naturellement. A partir de 1848 le Gouvernement des Etats-Unis agissait comme il l’entendait dans le nouveau territoire conquis, il y appliquait la législation qu’il lui convenait, il y appliquait ses lois, et e’est en vertu de ses lois qu’il a créé des êtres nouveaux, c’est-à-dire de ces fictions légales, de ces entités juridiques qui sont une portion de la nation nouvelle.

C’est ainsi que l’Eglise américaine de Californie prend naissance en 1850.

A cette époque le nouveau prélat qui était a la tête de l’Eglise nouvelle de Californie a du nécessairement se renseigner sur ses droits, sur l’etendue de ses droits, parce que pour un prélat ses droits sont en même temps ses devoirs; il devait done se renseigner. C’est ce qu’il fait. Il paraît même qu’il se serait rendu en 1852 é Mexico et qu’il y aurait formulé une réclamation verbale. Il le dit, il l’affirme, ce doit done être exact. Mais, messieurs, c’était évidemment une de ces réclamations assez extraordinaires en matière administrative où les réclamations se font toujours par écrit et où les autres n’ont pas de valeur.

Quoi qu’il en soit, de 1850 à 1859 il n’y a pas de réclamations, et il n’y en aura pas encore jusqu’en 1870. Mais, s’il n’y a pas de réclamations de la part des évêues nouveaux de Californie vis-à-vis de l’Etat mexicain depuis 1850 jusqu’en 1870, il peut y avoir de leur part une préoccupation: ils se demandent s’ils n’ont pas des prétentions à faire valoir.

Je dis qu’ils se le demandent parce qu’ils essaient de présenter une réclamations vis-à-vis des autorités américaines. C’est ainsi qu’il y avait dans la Haute Californie des biens qui ne faisaient pas à proprement parler partie du Fonds Pie de Californie, il y avait notamment des terrains qui avaientété acquis paries missionnaires, les Franciscains, dans la Haute Californie; les Franciscains ay ant été supprimes, l’évêque nouveau de la Haute Californie dit: Ces biens acquis par les Franciscains, c’est moi qui en suis l’héritier.

Il y a eu un procès en Haute Californie, procès américain auquelle Mexique est resté absolument étranger. Ce procès relaté à la page [Page 654] 343 du livre rouge s’est terminé en octobre 1856; c’était un procès intitulé “Nobile versus retman.” Je lis seulement la notice de la décision qui se trouve en tête du paragraphe:

Les missions établies en Californie avant son acquisition par les Etate-Unis étaient des établissements politiques et n’avaient en aucune manière de relations avec l’Eglise. Le fait que des moines ou des prêtres étaient è la têté de ces institutions ne prouve rien en faveur de la réclamations de l’Eglise au sujet de leur propriété universelle.

Eh bien, qu’est ce que cela veut dire? C’est qu’en 1856 les Etats-Unis d’Amérique représentés par leurs institutions nationales avaient jugé la prétention de l’Eglise et avaient dit: Comment! vous vous prétendez les successeurs des missionnaires, des apôtres, de ceux qui étaient des conquérants? mais non, c’est une erreur, le fait que des moines ou des prêtres étaient à la tête de ces institutions ne donne pas à ces institutions la nature de propriétés ecclésiastiques, pas plus que quand Richelieu ou Mazarin étaient à la tête du Gouvernement ce qu’ils touchaient n’acquérait la valeur de biens ecclésiastiques, c’étaient des agents du roi, des agents du gouvernement.

Voilà, messieurs, un appréciation qui a été formulée par des institutions américaines, et qui condamne naturellement la prétention des demandeurs actuels; c’était une appréciation de tribunaux.

Ah! je sais que l’on nous à dit a la précédente audience que eependant les archevéques et évêques de Californie avaient presénté a un bureau institué par la loi américaine l’indication des propriétés qu’ils revendiquaient, qu’ils considéraient comme étant les leurs comme successeurs des missionnaires, et que leurs droits ont été reconnus. Je n’en disconviens pas; cependant, messieurs, si je donne cette indication de décision c’est parce que vous voyez qu’en Amérique, où les droits eussent été, semble-t-il, sanctionnés en faveur des évêques américains, ce que je dis ici a été jugé par les tribunaux américains.

Cette circonstance, messieurs, comme d’autres que je vais vous indiquer, devait faire écarter la prétention des évêques américains si elle avait été présentée devant une juridiction américaine. Et quelle juridiction américaine? Nous croyons que la juridiction qui était competente au prémier chef pour juger cette question, c’était la commission américaine à laquelle je faisais allusion il y a quelques instants. Je vous disais que le traité de Guadalupe-Hidalgo avait prévu l’institution d’une commission américaine charge de juger les conflits entre les citoyens amérieains et l’Etait mexicain et chargée de les régler moyennant une somme forfaitaire. C’eût été alors les Etats-Unis qui eussent été les défendeurs ou les intéresses dans ce débat. Les évêques américains auraient dû dire: Nous sommes les successeurs des évêques mexicains, ceux-ci avaient une créance qui a son origine dans le décret de 1842 ou dans celui de 1845 ou encore dans celui de 1836, nous avons une créance qui a son origine dans un droit antérieur à 1848 et nous étions alors les créanciers de l’Etat mexicain, puisque vous, Etats-Unis, vous vous étés substitués par une novation aux obligations de l’Etat mexicain, vous allez nous régler la créance, et c’est la commission chargée d’en juger qui va en être saisie. Ils ne l’ont pas fait.

Mais nous apprenons qu’en 1859 l’honorable M. Doyle, qui était le conseil des avocats d’alors, presenta au secrétaire d’Etat des Etats-Unis la réclamations actuelle; cette réclamations fut présentée par M. Doyle à la date du 20 juillet 1859 par une lettre qui est la première du livre rouge (page 5 et suivantes). Cette lettre de réclamations était accompagnée d’un mémoire assurément admirablement Concorde dans [Page 655] lequel toute la réclamations avec tous les éléments qui pouvaient en asseoir le fondement étaient produits. Les Etats-Unis cette fois étaient juges, ils allaient voir si la pretention des évêques avait une valeur. Il était temps de reclamer: nous sommes en 1859, le traité est de 1848, si une réclamations est encore fondée de la part de eitoyens devenus américains, de la part d’une institution ou d’une collectivité de la Haute Californie, e’est-à-dire de ce territoire détaché, les Etats-Unis vont s’empresser de se retourner vis-à-vis du Mexique et de lui dire: Ah: pardon, nous avons fait un traité en 1848, nous nous sommes donne une decharge absolue, mais il y a encore quelque chose, il y a la une obligation qui ne peut pas même être déterminee en chiffres, mais qui va faire l’objet de notre part de négotiations; nous avons dans la nouvelle Californie la charge d’un service public qui est le budget des cultes, il y a là par conséquent quelque chose; vous avez jadis repu des fonds que vous avez nationalisés et dont la destination antérieure était précisément l’entretien du culte; nous vous avons payé 15 millions de dollars, mais vous nous devez encore quelque chose.

Les Etats-Unis comme gouvernement, je le démontrerai, auraient eu seuls qualité pour réclamer, ils auraient dû immédiatement prendre la place des évêques et réclamer en leur nom s’ils avaient un droit vis-à-vis du gouvernement mexicain. Mais, messieurs, c’est par le silence qu’on accueille cette réclamations, du moins à notre connaissance nous ne savons pas si une suite quelconque a été donnee a cette lettre du 20 juillet 1859; si j’en juge par les documents qui ont été fournis, le Gouvernement des Etats-Unis n’aurait pas repondu ou n’aurait donné aucune suite à la réclamations. Dans tous les cas, ce qu’il y à de certain c’est que le Gouvernement des Etats-Unis n’a pas songé pendant plus de dix années à réclamer quoi que ce soit à l’Etat mexicain. La réclamations aurait du naître en 1848, elle aurait dû apparaître tout au moins en 1850, en 1859 il était peut-être déjà trop tard; mais comment pouvaiton encore attendre dix ans avant même qu’une représentation diplomatique quelconque fût faite au Mexique?

Nous voyons alors que c’est le 30 mars 1870, par une lettre qui se trouve dans le livre rouge à la page 8 qu’un autre avocat des évêques, M. Casserly, adresse au Secrétaire des Etats-Unis américains, l’honorable Hamilton Fish la réclamations qui fut ensuite, je le suppose, par l’intermédiaire de la commission mixte présentée au Mexique. Je dis que je le suppose parce que je n’ai pas trouvé dans le livre la lettre par laquelle le Gouvernement américain se serait adressé au Gouvernement mexicain.

M. Emilio Pardo. Il n’y en a pas eu.

M. Delacroix. Alors cela explique que je ne Pai pas trouvée.

Dans cette lettre du 30 mars 1870 la réclamations était présentée dans la forme que vous verrez: elle avait pour objet les propriétés du Fonds et elle avait pour objet la creance intégrale, le capital comme les intérêts.

Ainsi présentée, la réclamations devait se heurter à une exception d’incompétence de la part de la commission mixte et à une fin de non recevoir que je vais indiquer.

Je dis à une exception d’incompétence, parce que la commission mixte instituée par la convention du 4 juillet 1868 ne pouvait être saisie que des réclamationss qui avaient une origine postérieure au traité de 1848; jamais le Mexique n’aurait apposé sa signature au bas d’une convention qui aurait permis de remettre en question une prétention [Page 656] ou un droit antérieur à 1848; il aurait dit: Mais pardon, nous avons fini, j’ai une décharge, le traité de 1848 me permet de ne plus écouter de réclamations venant de l’autre côté de la frontiùre et qui aurait son origine dans un fait antérieur à 1848.

Mais, je le veux bien, il y avait des réclamationss d’origine postérieure à 1848, il y avait un enchevêtrement dans les relations entre les citoyens de ces deux Etats, des citoyens américains prétendaient constamment avoir des réclamationss à formuler vis-à-vis de l’Etat mexicain; et il faut dire que la séparation entre les deux pays, la séparation des deux territoires n’avait pas mis fin à ces diffieultés. Il y a done des faits postérieurs à 1848 qui, prétend-on, vont donner des droits à des citoyens americains vis-à-vis du Mexique. Alors on fait une convention par laquelle on charge une commission mixte composee de commissaires ou de délégués des deux Etats et chargée de juger les différends de la nature que je viens d’indiquer, e’est-à dire de juger les différends de citoyens d’un Etats vis-à-vis de l’autre gouvernement et réciproquement, mais pour autent que les réclamationss aient toujours une origine postérieure au 2 février 1848.

Donc, messieurs, si la réclamations avait été maintenue telle qu’elle était présentée dans la lettre du 30 mars 1870 par M. Casserly, avocat des évêques, cette réclamations se serait heurtée à une exception d’incompétence parce que la commission mixte aurait dû dire: Vous demandez le capital, vous demandez les propriétés du Fonds, vous vous fondez sur des décrets antérieurs à 1848, c’est impossible, je ne suis pas compétente.

Elle aurait ajouté: mais, votre réclamations n’est même pas receivable parce que ayant une base antérieure au traité de Queretaro, les Etats-Unis ayant donné décharge au Mexique pour toutes réclamationss antérieures à 1848 tant de la part du gouvernement des Etats-Unis que des citoyens américains, votre réclamations se heurte à une exception d’incompétence et à une fin de non recevoir. Voilà ce qu’aurait dit la commission mixte.

Aussi, alors, la réclamations ne fut pas définitivement présentée dans ces termes, et les demandeurs d’alors se bornérent è demander les intérêts annuels; c’était, pensaient-ils—je crois qu’ils se trompaient—le moyen d’écarter et l’exception d’incompétence et la fin de non recevoir, puisqu’ilsdisaient: nous demandons les intérêts échus chaque année, le droit naît chaque année, nous n’étions done pas créanciers en 1848 et nous n’avons pas pu donner décharge d’une créance qui n’existait pas, done nous demandons les intérêts. Et comme il y avait en 1870 21 années d’intérêts échus on ne demandait que les 21 années d’intérêts. C’est conformément à cette thèse qu’aujourd’hui on demande 33 années d’intérêts, mais on ne demande pas le capital.

Voilà, messieurs, comment la réclamations fut présentée en 1870 à la commission mixte: demande de 21 années d’intérêts.

Alors la commission mixte statue. Vous le savez, chacun des délegués des Etats émet un avis contradictoire. Il fallait recourir à un troisième arbitre: c’est Sir Edward Thornton, ministre plénipotentiaire d’Angleterre à Washington, qui est chargé de vider le différend; il vide le différend relatif a ces 21 années d’intérêts en faveur des demandeurs.

Je vais lire immédiatement, pour ne plus avoir à y revenir, cette sentence qui ne doit pas, pensons-nous, être discutée ici par la raison que nous croyons que la Cour d’arbitrage actuelle a son independence [Page 657] la plus absolue, qu’elle est saisie d’une question nouvelle et d’éléments nouveaux sur lesquels elle aura à statuer. Mais, messieurs, il m’est imposible en passant de ne pas faire remarquer que l’honorable arbitre de 1875 commençait sa sentence en disant:

L’arbitre se trouve dans l’impossibilité de discuter les divers arguments qui ont été formulés par les deux parties sur la réclamations de Amat, évêque de Monterey et Alemany, archevéque.

Cet honorable surarbitre dit en commenpant: je ne puis pas examiner tous ces arguments. Peut être n’était-il pas jurisconsulte, je l’ignore, mais dans tous les cas il n’a pas examiné les arguments; mais il va nous dire sur quoi il a fondé sa conviction.

Il s’est dit! le seul point que je doive examiner est celui-ci: est-ce que les donateurs primitifs qui ont constitue le Fonds, qui ont donné des biens en vue d’un but déterminé, en vue d’une conquête spirituelle et temporelle, en vue d’une oeuvre pieuse et nationale, ont eu plutôt une pensée politique? L’honorable surarbitre a voulu peser les mobiles qui avaient détérminé les donations primitives, il a voulu sectionner ces mobiles, et il s’est dit: Est-ce que c’était une pensée pieuse? Est-ce que c’étaient des chrétiens avant d’être des patriotes, ou étaient-ce des patriotes avant d’être des chrétiens?

Eh bien, messieurs, je crois qu’ils étaient à la fois patriotes et chrétiens, que le but qu’ils avaient en vue était une conquête spirituelle et temporelle, que par conséquent on ne pouvait pas sectionner ces mobiles, qu’il était en tout cas difficile de les deviner et de savoir quelle était la prépondérance que les uns devaient avoir sur les autres.

Nous croyons qu’il y avait d’autres éléments qui devaient être pris en considération par le Tribunal d’alors comme par le Tribunal d’aujourd’hui pour déterminer sa conviction; ce sont ces éléments que nous avons l’honneur de vous soumettre.

Done, les demandeurs ont eu gain de cause, ils ont obtenu satisfaction: une condamnation à 904,000 dollars.

Le montant de la condamnation a été régié, et par conséquent ceci me permet une rectification en passant. L’un de mes honorables contradicteurs disait à la précédente audience que le Mexique acceptait un arbitrage en vue de s’y soumettre s’il lui était favorable et en vue de s’y soustraire s’il aboutissait à un échec. Non, il y avait là un litige relatif a une somme de 904,000 dollars, nous avons été condamnés, nous avons payé, mais nous disons que c’est tout ce qui a été jugé.

Messieurs, je m’excuse de faire en quelque sorte une incursion dans ce domaine de la chose jugée, je ne vous en parlerai pas car cette partie de la discussion voudra bien être traitée exclusivement par mon éminent confrère M. Beernaert.

Lorsque la somme a été payée il a fallu partager; comment a-t-on partagé? Nous le savons aujourd’hui par la communication que nos honorables contradicteurs ont bien voulu nous faire. Dans une petite brochure qui vous a été distribuée, vous trouvez à la page 5 l’indication du partage qui a été fait sur l’intervention de Sa Sainteté le 4 mars 1877. On a recouru à cette haute autorité pontificale pour intervenir et faire le partage de la somme qui avait fait l’objet de la condamnation. Nous voyons alors que la Congrégation sur laquelle le Pape s’était decharge du soin de l’etude de cette question et de l’iridication du partage a effectué ce partage de la manière que voici.

[Page 658]

Il y a d’abord, après déduction des frais, une somme de 26,000 dollars qui est payée à la famille de Aguirre—je ne sais pas pourquoi. Il y a ensuite une somme de 24,000 dollars qui est allouée aux Missions de l’Orégon … pourquoi de l’Orégon? Puis une somme de 40,000 dollars allouée aux pères Franciseains et aux pères de la Société de Jésus … Jadis ils avaient tout, aujourd’hui on leur donne 40,000 dollars. Le reste est divisé en sept parties: il y a 1/7 qui est donné aux Missions du territoire d’Utah, et les six autres septièmes sont attribués par 1/7 à chacun des évêchés de la Haute Californie.

Voilà, messieurs, une répartition qui a sans doute provoqué chez vous un point d’interrogation: Pourquoi le Fonds Pie de Californie est-il partagé entre des Missions d’autres territoires? C’est un point d’interrogation sur lequel nous reviendrons.

Donc, messieurs, en 1877 le partage fut effectué, la répartition eût lieu, le paiement fut réglé.

Mais, lors de ce paiement est-ce qu’on s’est dit: ah mais! nous sommes en 1877, les 21 années sont expirées depuis 1870, il y a déjà six autres années, il faut les payer en même temps? Non, et on vous dira, messieurs, quel fut le seul mot prononcé à ce sujet, ce fut l’ffirmation par l’avocat du Mexique que moyennant le réglement des 904,000 dollars c’était fini in toto, que c’était un réglement final, qu’il n’y avait plus de réclamations à formuler au sujet de ce Fonds Pie. Les Etats-Unis ont-ils répondu: non, vous nous devez les six années éeoulées puis le capital et un intérêt perpétuel? Non Le Gouvernement américain a dit: je ne veux pas discuter la portée de la décision de la commission mixte et je n’entends pas que l’on mette en discussion cette portée; et le Gouvernement mexicain a dit: nous n’entendons pas discuter la portee de la décision de la commission mixte.

Messieurs, après cet échange de vues, jusqu’au 17 août 1891 il n’a plus été formulé de réclamations; le Gouvernement des Etats-Unis n’a plus réclamé, il n’a pas dit: vous me devez tous les ans 43,000 dollars. Il devait dire déjà en 1877 lorsqu’il recevait le réglement des 904,000 dollars pour 21 années dont la dernière arrivait à échéanceen 1870: il y a encore 7 années qui font sept fois 43,000 dollars en plus. Il ne le dit pas, et non seulement il ne le dit pas mais il ne va pas réclamer jusqu’au 17 août 1891. C’est à cette époque seulement que la réclamations va reparaître, alors que l’on prétend aujourd’hui qu’il y avait une somme annuelle qui était due en vertu d’un jugement définitif et sur lequel il n’y avait plus à revenir.

J’arrive ainsi, messieurs, a la fin de cet exposé.

Le 22 mai 1902 un tribunal arbitral a été constituté pour juger et décider les différents points entre les deux pays et juger ces deux questions, d’abord s’il y avait res judicata quant à la sentence arbitrate quant au droit perpétuel, et en second lieu si la réclamations était fondée.

Je vais maintenant, beaucoup plus brièvement parce que je me suis peut-être un peu trop étendu sur l’examen des différents faits dont la succession doit appeler votre attention, je vais maintenant examiner les fondements de la demande, les demandeurs, leur titre, leur pretention.

La question qui vous est soumise, je vous l’ai déjà dit, est intéressante a ce point de vue spécial que la même question peut apparaître dans tous les Etats, et spécialement dans tous les Etats d’Europe. Il [Page 659] n’y a pas un Etat, ni en Angleterre, ni en Allemagne, ni en Espagne, ni en France, ni en Prusse ou a un moment donné on ne s’est pas approprié des biens de personnes civiles, de communautés religieuses, militaires ou autres. Cela s’est fait presque toujours dans les mêmes termes comme je vous l’ai indiqué et comme j’y reviendrai. Aujourd’-hui, la question qui se pose est celle de savoir si ces actes accomplis par les Gouvernements peuvent être mis en discussion, s’ils peuvent être révisés, s’il appartiendra à un tribunal d’aibitrage de réviser ces actes du pouvoir souverain et par le fait de réviser l’histoire.

La question est grave à un autre point de vue, parce que, messieurs, telle qu’elle est présentée, il faut bien le dire, elle doit créer a la charge du Mexique une charge morale beaucoup plus que pécuniaire qui sera toujours pénible. Le Mexique n’a pas de budget des cultes chez lui, il estime que les fidèles de la religion catholique sont suffisamment généreux pour entretenir leur culte, et le Mexique, qui n’a pas de budget des cultes chez lui, devrait perpetuellement entretenir un budget des cultes à l’étranger! Ce sera toujours une charge morale à laquelle il aura toujours beaucoup de mal à se soumettre, surtout lorsqu’il se souviendra que ce budget étranger qu’il devra alimenter est celui d’un pays conquis!

La réclamations, quelle est-elle? Avant d’employer un terme juridique je verrai ce qu’elle est. Les demandeurs nous disent: Nous avons un droit perpétuel, un droit absolu, un droit irrévocable sur le Fonds Pie.

Droit perpétuel: c’est leur prétention, il faut qu’annuellement et indéfiniment la somme de X dollars leur soit payée. Droit absolu: pas de contrôle de la part du Mexique, plus de volonté mexicaine intervenant dans la disposition de ses fonds, plus d’administration de la part du Mexique. Droit absolu, sans conditions, et droit irrévocable puisque, quelles que soient les législations mexicaines postérieures, d’après les demandeurs l’obligation doit subsister indéfiniment.

Qu’est-ce que c’est, messieurs, que ces trois attributs que je viens de vous indiquer? Ce sont les attributs de la propriété, ce sont les attributs des droits civils, de la créance civile, et je puis mesurer quelle en est la conséquence. Ainsi, non seulement les demandeurs prétendent pour eux à tous les droits sur les produits du Fonds Pie mais même ils dénient au Mexique un droit quelconque: plus de droit de contrôle, plus de droit d’administration, plus aucun droit. Done, c’est la propriété en leur nom.

On nous dit: Non, ce h’est pas un droit de proprété, c’est un droit de trust, les Jésuites étaient trustees, le gouvernement était trustee et nous sommes trustees aussi.

Messieurs, c’est un mot dont on use et dont on abuse peut-être. Sans doute les évêques sont les trustees de leurs diocèses, les gouvernements sont les trustees de l’Etat, le général ou le provincial des Jésuites était le trustee de sa communauté. Mais si nous laissons les mots de côté—los mots sont parf ois si bizarres—et si nous revenons aux notions juridiques du droit qui est invoqué, nous voyons que ce n’est pas le trust qu’est le contrat dont on parle.

Qu’est-ce que c’est que le trust? C’est un mandat compliqué d’un dépôt. Le trust suppose, suivant une expression ancienne, un être qui lui doit posséder l’intégralité du droit au profit de qui le trust existe; il faut en un mot un propriétaire, un être sujet du droit, et un autre qui administre, qui a le mandat, qui a le dépôt, qui a dee droits [Page 660] peut-être qui doivent être respeetés même par le propriétaire, par celui qui truste, mais il y a toujours un de ces éléments essentiels.

Un autre élément du trust c’est que le trustee doit rendre compte, en droit civil. Par conséquent il ne suffit pas de dire: il doit rendre compte à Dieu. Quand nous disons “doit rendre compte” cela vent dire qu’il a une obligation civile de rendre compte, obligation qui pent l’amener devant les tribunaux.

Eh bien, cela n’existe pas dan la prétention des demandeurs. Les demandeurs disent: nous ne devons pas compte. Ils n’indiquent pas quel serait le propriétaire, quel serait le sujet du droit … nous examinerons tout-à-l’heure qui il pourrait être, si c’est la collectivité des Indiens, si c’est l’Eglise catholique; mais si c’est l’Eglise catholique ce n’est plus un trust, c’est elle qui est propriétaire, c’est elle qui demande!

Ne confondons pas, n’est-ce pas, les évêques avec les évêches. Ceux qui sont demandeurs ce sont les évêches, c’est-à-dire l’Eglise catholique constituée en évêches, c’est cette personne morale qui demande pour elle la propriété, elle ne demande pas un trust elle demande un droit absolu. De leur part tous les droits, de l’autre aucun! Voilà la demande.

Alors, nous disons aux demandeurs ce que j’ai déjà indiqué à la précédente audience: Vous invoquez un droit de propriété ou de créance civile, un droit absolu vis-à-vis de nous, quel est votre titre? justifiez votre demande.

Ce titre il faut le produire. Nous sommes en matière civile, en matiere juridique, il faut produire votre titre. Il n’est pas permis de dire: je ne produis pas de titre parce que je me fonde sur l’équité. Non, pas d’arbitraire, pas de fantaisie, montrez le titre! vous nous actionnez devant un Tribunal et devant un Tribunal il ne suffit pas de dire: je vais deviner la pensée des donateurs. Non, le titre!

En bien, messieurs, ce titre ne pent se trouver que clans les actes de donation primitifs ou bien dans les decrets et lois mexicains de 1836 à 1848. Nous examinerons successivement ces deux points, et nous verrons d’abord si les demandeurs produisent un titre, s’ils puisent un titre, un droit dans les actes de donation primitifs.

Et, puisque nous parlons des actes de donation primitifs, le Tribunal aura immédiatement fait cette réflexion: quels sont ils? est-ce qu’on possède les actes de donation primitifs? Vous apercevez immédiatement la lacune: il n’y a que le testament du Marquis de Villapuente que l’on puisse produire.

On dit alors: nous le considérerons comme l’acte-type. Vous le dites, mais puisque vous allez puiser un droit, vous allez montrer l’existence d’une inténtion chez le donateur, intention qu’il va peutetre être difficile de discerner. Il va failoir peser des mobiles, il faudra voir s’ilaeu une intention pieuse dominant ses préoccupations politiques ou patriotiques. Eh bien, alors, il faut le titre pour que nous puissions peser, et nous ne l’avons que pour le testament du Marquis de Villapuente.

Nous allons alors, messieurs, la lacune, l’absence du titre qui doit exister au moins pour la plus grande partie de la prétention étant constatee, nous allons voir ce que l’on trouve dans le testament lui-même du Marquis de Villapuente que les demandeurs considèrent comme l’acte type.

Nous voyons, messieurs, que le donateur tient à donner tous ses biens [Page 661] aux Jésuites. Je n’ai plus à revenir sur ce que je vols ai dit à ce sujet; je vous aimontré que ceque voulait le donateur primitif c’était l’abandon absolu de tout son domaine aux Jésuites et aux Jesuites exclusivement, puisqu’il veut interdire au pouvoir séculier et au pouvoir régulier d’intervenir. Il va plus loin que ce qui est son droit et il marque si bien que sa volonté est d’avantager les Jésuites exclusive ment—la Mission des Jésuites, je vais y venir—qu’il ajoute, voulant montrer sa pensée finale: Ils n’auront de comptes a rendre qu’a Dieu, c’est a dire pas a un humain. Il n’y a done personne qui puisse veria pretendre d’apres l’acte de donation primitif a un droit à côte de celui des Jésuites sur ses biens, puisque le donateur en tend les donner tous aux Jésuites; il n’en réserve aucun pour qui que ce soit à côte d’eux.

Ah! sans doute, messieurs, les donateurs avaient un but, une préoccupation en donnant aux Jésuites; ils savaient qui étaient les Jésuites, ils savaient que les Jésuites avaient une organisation en Californie, cette organisation que j’ai caractérisée quand j’ai parlé de leurs missions; ils savaient que les Jesuites etaint alles en Californie comme délégues et mandataires du Roi, qu’ils étaient les agents du Roi là-bas, qu’ils étaient chargés d’administrer la justice, qu’ils étaient chargés de la direction militaire, qu’ils étaient chargés de la conquête, de la réduction de ce pays que l’on avait vainement tenté de reduire jusque-là. Ils savaient tout cela, ils savient que le drapeau que les Jésuites allaient planter en Californie c’était le drapeau du Roi d’Espagne, et c’est aux Jésuites qu’ils ont voulu donner.

On nous dit aujourd’hui: c’est à l’Eglise? Non, ce n’est pas a l’Eglise, c’est aux Jésuites, ils l’ont précisé, c’est à eux seuls qu’ils ont voulu donner et qu’ils ont donné.

Mais, ajoute-t-on, les Jésuites e’étaient les mandataires de l’Eglise. Non, s’ils étaient même mandataires ils étaient les mandataires du Roi; l’Eglise, si elle était mandante aurait dû intervenir lorsqu’ils ont réuni des fonds et sont partis pour leur conquête; nous, nous ne les voyons que comme les mandataires du Roi.

Mais en tout cas, messieurs, tout cela, ce ne sont que des hypothèses, mais dans l’acte nous ne voyons que les Jésuites, et pas autre chose.

Il y a, messieurs, dans ces testaments une chose qui est curieuse; c’est que dans ces titres les donateurs ont voulu créer une œuvre longue, une ceuvre qu’ils ont cru appelée a une durée indéfinie. Ils ont par conséquent prévu des éventualités nombreuses: ils ont prévu, comme je le disais a une précedénte audience, l’éventualite de l’expulsion des Jésuites du territoire Californien, l’éventualite de l’insurrection des indigènes, mais il y a une chose qu’ils n’ont pas prévue, c’est la suppression de l’Ordre des Jesuites. Par conséquent, lorsque vous voulez trouver un titre dans les actes de donation vous devez deviner, vous devez faire une hypothèse, une supposition gratuite, puisque c’est là une éventualité que les donateurs n’ont pas pu prévoir, car s’ils l’avaient prévue ils l’auraient indiquée dans l’acte. Quand ils prévoient une éventualité ils disent quelle sera leur volonté; mais celle-ci, ils ne l’ont pas prévue, ils n’ont done pas exprimé leur desir pour ce cas; cette éventualité ils ne pouvaient pas même y penser, la concevoir, ils ne l’ont done pas prévue.

Il faut done deviner quelle aurait été la volonté des donateurs pour le cas où les Jésuites auraient été supprimés. Voulez-vous deviner? Je veux bien, je veux vous suivre même sur ce terrain.

Je suppose qu’ils aient eu cette pensée; les Jésuites un jour seront [Page 662] supprimés, que deviendront les biens? Ils devaient se dire ce qui était la loi, ils devaient connaître ce qui était l’histoire traditionelle et par conséquent la législation traditionelle, ils devaient se dire que puisque les Jésuites étaient allés installer là une œuvre nationale au nom du Roi si ces Jésuites étaient supprimés c’était le Roi qui ren trait dans la pleine propriété.

Je pense, messieurs, qu’ils n’y ont pas pensé, mais s’ils y avaient pensé ils auraient dû conclure ainsi.

On nous dit: c’étaient des biens ecclésiastiques. Ah! non! Des biens ecclésiastiques? Est-ce que mes honorables contradicteurs feraient cette confusion de croire que l’on doit considérer comme biens de l’Eglise tous les biens qui appartiennent à toutes les communautés religieuses, militaires et autres, du moment où il y a une certaine pensée pieuse qui les dirige? C’est impossible, et encore une fois ici je vous oppose le jugement de l’Histoire. Est-ce que l’English a jamais revendiqué les biens des communautés religieuses? Est-ce que dans tous les pays nous n’avons pas vu depuis Philippe le Bel qui supprimait les Templiers bien d’autres souverains qui ont supprimé l’Ordre teutonique, l’Ordre des Chevaliers de Malte et celui de Notre Dame du Mont-Carmel? Est-ce que jamais l’Eglise a dit; leurs biens sont à moi?

Du reste, messieurs, je trouve dans les documents mêmes du procès la preuve qu’il n’en est pas ainsi. A la page 181 du livre rouge vous trouverez un document important, c’est la déposition de Sa Grandeur Mgr. Alemany, évêque de San Francisco, et a la page 183, sous le N°. 7, vous verrez ce ci: c’est que, “en vertu du décret du Conseil plénière de Baltimore …” Il faut savoir que l’Eglise américaine se trouve sous la tutelle immédiate d’un Conseil composé de tous les archevêques et évêques des Etats-Unis, et qui forme le Conseil de Baltimore qui est l’intermédiaire entre le Pape et les évêques individuellement.

En vertu du Décret du Conseil plénière de Baltimore, qui est en vigueur dans tous les Etats-Unis, les propriétés ecclésiastiques de chaque diocèse dans les Etats Unis appartiennent, etc. … exeepté celles qui peuvent appartenir aux ordres, aux monasteres et aux congrégations religieuses.

Voici done que lorsque l’Eglise va instituer l’évêque de San Francisco, lorsqu’elle va lui donner des pouvoirs, et lorsque le Conseil de Baltimore, qui est une autorité religieuse, va déterminer quels sont les pouvoirs de l’évêque il va dire qu’il a le droit de revendiquer tous les biens de l’Eglise, mais il va en excepter, entre parenthèses, comme une chose qui a à peine besoin d’être dite, les biens des communautés religieuses et des congrégations. Ce qui prouve, messieurs, qu’aujourd’hui comme de tout temps l’Eglise n’a pas prétendu à la propriété des biens des communautés religieuses.

Mais, messieurs, je n’ai pas besoin de vous dire cela; dans la précédente audience je vous montrais quelle était Pindication donnée par le conseil de l’évêque, qui disait: “Je ne prétendais pas à la propriété du Fonds.”

Est-ce que d’ailleurs l’on peut concevoir qu’une personne civile, une ceuvre de la loi, une personne morale, une entité juridique qui représente une collectivité, une portion de la nation, qui a cette existence fictive dérivant du pouvoir souverain venant à disparaitre les biens puissent aller ailleurs qu’a celui qui représente toute la nation. Est-ce que ce n’est pas un principe de droit commun général que les biens sans maître—et du moment où l’entité juridique disparaît les biens [Page 663] deviennent sans maître—retournent à la nation et à celui qui la représente, c’est-à-dire au Roi ou au Gouvernement?

Donc, messieurs, ce qui se trouve confirmé ici dans la déposition de l’honorable Mgr. Alemany est une vérité de droit commun et de principe général. Ce ne sont pas des biens ecclésiastiques que les biens des Jésuites parce que lorsqu’il s’agit d’un bien de l’Eglise celle-ci y met sa marque. Sa marque, c’est son intervention à la constitution du bien, à la constitution du droit. Quand il s’agit d’un bien de l’Eglise, l’autorité de l’Eglise intervient toujours à l’acquisition, et elle intervient à la suppression, à l’aliénation, à la passation d’un sujet du droit dans un autre.

Ici, ai-je besoin de vous faire remarquer que jamais elle n’est intervenue, confirmant par conséquent ainsi ce qui était dans les actes, à savoir que les actes disent “les Jésuites” et non pas “l’Eglise,” et par consequént l’excluent expressément?

Messieurs, lorsque ce testament est fait, lorsque cette donation est créée, nous voyons que les Jésuites interviennent par un procurateur, par un mandataire; c’est ainsi que vous verrez à la finale de ce document intéresant que les biens sont acceptés par les bénéficiaires; c’esta-à-dire que nous trouvons là une relation de droit civil, un transfert de droits qui suppose toujours deux parties, le donateur et l’accepteur; on ne conçoit pas un acte de volonté unilatérale pouvant en général créer un droit synallagmatique, c’est une notion qui est commune.

Voilà done que les donateurs entendent disposer au profit des Jésuites exclusivement; ce sont les mandataires du Roi; en tout eas ce n’est pas l’Eglise.

Mais, messieurs, nous voyons dans le testament autre chose; on dit que la donation est faite au profit des Missions des Jésuites. Vous avez entendu qu’à une précédente audience on vous disait: C’est pour les Missions, donc c’est pour une œuvre pieuse, donc c’est pour l’Eglise. Messieurs, les Missions c’est une chose bien spéeiale, surtout qu’on les entendait; le missionaire c’est un apôtre; le missionnaire n’est pas la même chose, même au point de vue de l’Englise, que l’ordinairé, n’est-ce pas? Ce sont des notions aussi différentes que les notions de civil et de militaire alors que tous deux sont des laїques; ce sont des notions bien distinetes. Les Missions étaient une œuvre que vous connaissez et qui a été caractérisée: une ceuvre nationale, politique, de conquête, de réduction politique et religieuse; moi, jene sépare pas, parce que je pense que la volonté des donateurs a été de ne pas séparer les donataires. Les donateurs ont su ce qu’ils faisaient, ils ont voulu donner pour une ceuvre determinee qui était une œuvre de conqête à la fois religieuse et temporelle. Mais cette œuvre-là n’existe plus, ne peut plus exister, je l’ai déjà indiqué à une précédente audience: est-ce qu’il serait possible de concevoir encore, dans un pays où la liberté de conscience est proclamée comme un axiome, comme étant la base de la Constitution comme en Amérique, des Missions telles que les comprenaient les donateurs, c’est-à-dire cette œuvre de réduction religieuse comme de reduction politique?

Voyez done quelle aurait été la situation des parties, par exemple en 1848; le Gouvernement mexicain aurait dit: J’ai des fonds qui m’ont été remis pour les Missions de Californie, vous m’enlevez la Californie, je garde les fonds, mais je vais continuer les Missions. Le Gouvernement des Etats-Unis aurait répondu: Comment est-il possible de concevoir que vous veniez continuer une ceuvre qui est des siècles passés, [Page 664] qui n’est plus concevable avec les idées que nons avons dans notre gouvernement moderne? Et comment le Mexique aurait-il pu songer à continuer ces Missions? Comment même un gouvernement comme les Etats-Unis, Etat protestant, aurait-il pu continuer ces Missions chez lui? C’est une conception qui n’est plus possible parce que le temps et les circonstances ont changé.

Mais, messieurs, dans les actes de donation nous trouvons encore que les donateurs ont voulu avantager les Missions des Jésuites de Californie. Quelles étaient ces Missions de Jésuites de Californie? Elles se trouvaient dans la péninsule, dans cette partie de territoire qui est aujourd’hui appelée la Vieille ou la Basse Californie, mais dans cette partie qui est restée mexicaine; c’est la seulement que les Jésuites ont installe des Missions, et si nous voulons compulser les actes de donation primitifs nous voyons que les donateurs ont eu en vue les Missions des Jésuites, et des Jésuites de Californie, de ce que eux consideraient comme la Californie alors, de ce que les Jésuites considéraient comme la Californie, de ce pays qui était la seule préoccupation des Jésuites d’alors. c’est-à-dire de la Vielle Californie.

Par conséquent, comment les demandeurs pourraient-ils à un titre quelconque trouver dans les documents de l’époque, dans les actes de donation, un titre en leur faveur?

Messieurs, je vous demanderai la permission de vous faire une réplique de quelques pages, cela me permettra d’abréger ce que j’ai à vous dire, c’est une des seules lectures que je me permettrai de faire, sachant combien les moments de la cour sont précieux. Vous avez a la page 436 du livre rouge un document qui est un document historique: c’est un décret du roi du 13 novembre 1734 qui est traduit dans l’Histoire de la Californie du Père Venegas, c’est done un document que les Jésuites eux-mêmes considéraient comme ay ant une importance capitale. Si je vous demande la permission de vous lire ce document c’est parce que je veux que vous entendiez une parole qui ne soit plus la mienne mais celle d’un homme de l’epoque, c’est-à-dire du roi, qui va vous parler des missions et qui va vous dire comment on comprenait ces missions alors; vous verrez s’il est encore possible, alors que les donateurs ont dit que c’était à ces missions-là qu’ils voulaient faire une donation, de soutenir que ce soit, à l’exclusion du gouvernement, l’église qui aurait été avantagée. Voici ce document:

Le Roi.

Don Juan Francisco de Guemes et Horcasita, lieutenant-général de mes armees, Viceroi, Gouverneur et capitaine général des provinces de la Nouvelle-Espagne, et président de mon audience royale résidant dans la ville de Mexico: On envoya le 13 de novembre 1734, a votre prédécesseur dans ces emplois, le comte de Fuen-Clara, un ordre conçu en ces termes:

Le Roi.

Comte de Fuen-Clara, mon cousin, chevalier del’ Ordre de la Toison d’Or, gentilhomme de ma chambre, gouverneur et capitaine général de provinces de mon royaume de la Nouvelle-Espagne, et président de mon audience royale, résidant dans ma ville de Mexico. L’archévêque vice-roi, votre prédécesseur dans ces emplois, m’ayant par une lettre du 23 d’avril, 1735, et par une autre du 10 du même mois 1737, envoyé un détail de ce qui s’est passé dans la révolte des Indiens des nations appelées Peri cues et Guaicura dans la province de Californie, des mesures qu’on a prises et des dépenses qu’on a faites pour les soumettre et les faire rentrer dans la tranquillité où elles se trouvent actuellement, par la bonne conduite du gouverneur de Sinaloa. Ces mémoires ont été présentés à mon conseil des Indes pour en délibérer, ensemble avec l’origine, les progrès et l’état présent de la conquête spirituelle et temporelle de ladite province de Californie, et ayant, à la reqête du Père Attamirano de la Société de Jésus, et agent général pour ses provinces dans les Indes, et particulièrement des missions de son Ordre dans la Californie, approuvé les mesures qu’on a prises et les [Page 665] dépenses qu’on a faires pour les réduire, comme je vous l’ai signifié dans ma lettre du 2 d’avril de l’année dernière, on a jugé à propos, en attendant les mémoires et les instructions relatives à ces lettres, qu’on attend journellement de la Californie, de délibérer dans mon susdit conseil sur les mesures qu’il convient de prendre pour l’entier aecomplissement de la réduction et de la conquête en question, laquelle a été tentée depuis l’année 1523, premièrement par Don Ferdinand Cortez, Marquis del Valle, premier vice-roi de ces provinces; et depuis, par quelques-uns de ses successeurs et par divers particuliers en différents temps. Et quoiqn’il en ait coûté de grandes sommes à mon trésor royal, cependant cette entreprise n’a jamais eu d’effet, à cause des malheurs qu’on a éprouvés et des difficultés insurmontables qu’on a rencontrées, quoiqu’on fût porté à cette conquête par l’appat flatteur de la pêche des perles. Sur le rapport qui m’a encore été fait de la docilité des naturels du pays, et de l’inclination qu’ils ont d’embrasser notre sainte religion, et un genre de vie civilisé ainsi que l’ ont confirmé les missionnaires Jésuites, entr’autres les pères Jean-Marie de Salva-Tierra et Eusèbe François Kino, dans l’année 1698, et plus particulièrement le père François Piccolo dans l’année 1716; lesquels m’ont représenté que par le zèle infatigable des religieux de la Société de Jésus, les seuls qui se soient dévoués à ce service recommandable, et à l’aide des contributions des fidèles, ces missions et ces conversions étaient déjà fort avancées; j’ai fourni de mon trésor royal un subside annuel de 13,000 piastres depuis l’année 1703, dans la vue principalement de défrayer les dépenses d’un corps de soldats pour les missions, et payer les officiers et l’équipage de la barque destinée à transporter les missionnaires de la côte de Cinaloa dans la Californie; sur quoi mon dit Conseil des Indes ayant revu et examiné avec la plus grande diligence et la plus exacte ponetualité les différents articles relatifs à ce chef, de même que les rapports des auditeurs, en présence du susdit père Pierre-Ignace Attamirano et autres personnes judicieuses de cet Ordre, et versées dans ces conversions: Oui, le rapport de mon solliciteur sur le tout, on m’a représenté dans mon Conseil du 12 de mai de cette année, qu’il était de la dernière importance que l’on prît immédiatement les measures les plus efficaces pour faire rentrer ladite province de Californie dans le sein de l’église et sous ma domination; que cette entreprise avantageuse, quoique vigoureusement appuyée du zèle catholique de mes glorieux prédécesseurs, et par les vicerois de ces provinces, avait si souvent échoué, qu’ on n’ était pas maître d’ une pied de terre dans cette vaste contrée, et que pour y réussir plus efficacement, il fallait établir pour base fondamentale de cette conquête la conversion des Indiens a notre sainte religion, en la confiant aux missionnaires Jésuites, qui ont fait de si grands progrès parmi eux et parmi toutes les nations infidèles dont ils ont pris la conduite dans toute l’étendue de l’Amérique; et en outre fonder dans tous les ports que l’on rencontreroit dans les contrées voisines, une colonie espagnole avec un fort et une garnison, et dans le centre de chaque province, une ville espagnole pour tenir en bride les Indiens et servir de retraite aux missionnaires en cas de révolte. Et comme le transport des families de ce royaume dans ces colonies espagnoles occasionnerait bien des difficultés et des dépenses, indépendamment du besoin qu’on peut en avoir pour d’autres établissements, on a trouvé à propos que ces émigrations se fissent de la ville de Mexico et des provinces voisines; sur quoi nous attendons les rapports et les informations que nous avons demandés pour nous déterminer là dessus. Le Conseil m’a encore représenté que pour réduire plus promptement les Indiens des Californies, il seroit à propos que les missionnaires Jésuites entrassent dans la province du côté opposé à celui par lequel y sont entrés ceux qui s’y trouvent actuellement, c’est-à-dire par la partie du nord où cette province confine avec le continent; vu qu’on a découvert, et qu’on assure que la province de Californie n’est point une île, comme on le croit communément, mais une terre ferme, qui confine du côté du nord avec celle du Nouveau-Mexique; car au moyen de ces mesures, les peuples qui l’habitent se trouveroient enfermés ou comme isolés sans aucun passage ou communication dans les terres des autres sauvages Indiens; au moyen de quoi, les missionnaires s’avancant le long de leurs différens départemens vers le centre du pays, on abrégeroit beaucoup la réduction totale de la province. Mais pour exécuter ce projet, on croit qu’il est d’une grande conséquence qu’il y ait deux missionnaires dans les missions de tous les départemens d’Indiens qu’on a déjà réduits, et qu’il est absolument nécessaire de pousser la conquête dans les contrées contigues aux Indiens qu’on n’a pas encore soumis, vu qu’indépendamment des avantages communs à tous, un des missionnaires venant à passer dans les territories des infidèles pour les convertir, les cantons habités ne seroient privés des instructions nécessaires et auroient toujours chez eux une personne intelligente et en état de veiller sur tous les mouvemens qui tendent à la trahison ou à la révolte, ce qu’on auroit toujours à craindre, si ces peuples étoient abandonnés à eux-mêmes.

Il convient encore d’établir sur toutes les frontières des pays qu’on a réduits, une garde de soldats tant pour la sûreté des missionnaires et des Indiens, que pour escorter [Page 666] les missionnaires dans les territoires des infidèles, lesquels soient toujours sous la direction des religieux, et n’agissent que par leurs ordres, de peur que par des châtimens indiscrets ou des courses imprudentes ils n’alarment les Indiens. On espère par cette mèthode de faire de grands progrès dans les districts où l’on a établi des missions. On juge encore à propos pour hâter la conquête de cette province avec le secours des missions, qu’on les étende vers le midi, mais dans un sens opposé, pour qu’elles se rencontrent avec celles du nord; et pour que les mesures susdites puissent aisément se pratiquer dans les missions du même ordre établies dans les montagnes des Pimas et dans la province de Sonora, on doublera les missionnaires dans tous les districts convertis qui confinent avec les infidèles, en leur donnant la garde spécifiée ci-dessus. Au moyen de quoi les missionnaires établis dans les montagnes des Pimas continuant à réduire les nations des Cacomaricopas et des Yumas, qui confinent avec la rivière du nord, qu’on appelle aussi Colorado, près de l’endroit où elle se jette dans le golfe de Californie; les Jésuites espèrent, suivant les premières relations qu’ils ont données, de trouver un accueil favorable chez ces nations, et fondant un village des Indiens convertis sur les bords du même Colorado, ils pourront aisément passer sur l’autre côté de la Californie, où après avoir réduit les Hoabonomas et les Bajiopas, qui sont des peuples très dociles et très traitables, ils pourront y fonder un autre village pour assurer le passage des deux côtés de la rivière, et établir une communication avec la terre ferme; s’avancant de là vers le midi, à travers la Californie, jusqu’aux anciennes missions. Quant à la garde que l’on demande pour les Pimas montagnards, on juge que le détachement posté è Terrenate, ou l’autre qui est à Pitiqui suffiront, vu qu’il paraît par le rapport de Don Augustin de Vildosola, gouverneur de la province de Cinaloa, que tous les deux ne sont point nécessaires; cependant, pour plus grande sûreté on pourra faire passer le détachement de Pitiqui à Terrenate et envoyer celui-ci aux missions des Pimas montagnards, au moyen de quoi on pourra fournir une garde convenable aux nouvelles et aux anciennes missions de la Californie sans qu’il en coûte davantage à mon trésor royal. Le même conseil m’a encore représenté qu’encore que les défenses des missionnaires aient augments, on doit se souvenir que par une cédule de 1702 on donna ordre d’assister les missionnaires de la Californie dans tout ce qui pouvoit contribuer à leur soulagemens et aux progrès de l’ouvrage qu’ils avoient enterpris; et par un autre de 1723 que les religieux actuellement en place, ou qui passer ont dans la suite dans la Californie eussent le même salaire que ceux de leur ordre, et fussent payés régulièrement et ponctuellement; on ne les a point exécutées jusqu’ici, et que cependant ces missions n’ont occasionné aucune dépense, et n’ont recu ni appointement ni salaires: les quinze missions qui sont actuellement dans la Californie s’étant soutenues sans qu’il m’en ait rien coûté, par les libéralités de plusieurs particuliers, obtenues par le zèle et les bons offices des religieux de l’Ordre. Comme done les moyens qu’on propose sont peu dispendieux, eu égard à l’avantage prodigieux qui doit en résulter, il convient que tous ces Ordres ou tels autres qu’approuveront les Jésuites, lesquels connoissent mieux le pays, et desquels j’attends de plus am pies informations, soient exécutés; et que dès a présent même on leur fournisse de mon trésor royal les sommes nécessaires pour l’xécution de cette enterprise et que l’on augmente le nombre des missionaires Jésuites: étant nécessaire qu’il y en ait deux dans chaque district conquis qui confine avec les Indiens infidèles.

Enfin, pour assurer la subordination, on remettra la paye des soldats aux missionnaires pour qu’ils la reçoivent de leurs mains. Voulant aucasqu’unsoldatsoit d’un caractère turbulent, ou se conduise mal, que les missionnaires puissent le renvoyer et en prendre un autre à sa place, vu que faute de ces précautions et de quelques autres dont quelques habiles missionnaires m’ont instruit relativement à ces provinces, les soldats par leur mavaise conduite ont extrêmement retardé la réduction des Indiens, qu’il est nécessaire de tenir dans la crainte et le respect pour les empêcher de tramer aucun complot, les traitant néanmoins avec douceur pour dissiper leurs soupçons et leur méfiance, leur faire goûter les instructions qu’on leur donne et les civiliser.

M. de Martens. Est-ce qu’il n’y a pas une erreur? dans le livre rouge il est dit que ce document est de novembre 1734.

M. Delacroix. C’est le document que je viens de lire.

M. de Martens. Ce n’est pas possible, car au commencement on parle de 1735. De quelle annee ce document est-il?

M. Delacroix. Ce document en rappelle un autre; si vous voulez le regarder vous-même vous verrez qu’au commencement il est indiqué qu’on se réfère à un document de 1734.

M. de Martens. Dans le livre rouge, à la page 441, à la fin du document [Page 667] que vous avez lu il est dit qu’il est de 1734, mais dans ce document même on parle de 1735; vous avez corrigé en disant 1735?

M. Delacroix. J’ai corrigé d’après le livre rouge. Il y a en effet une anomalie. Je vérifierai et tâcherai de trouver le nœud de cette énigme. En tout cas le document est antérieur à 1767 puisque c’est la date de la publication du livre.

M. Beernaert. C’est l’exemplaire de la Bibliothèque royale de Bruxelles, c’est une édition déjà fort ancienne; nous croyons que c’est l’ouvrage du père Venegas bien qu’il ne soit pas nommé; chose curieuse et même remarquable, il est dit que ce volume est traduit de l’anglais. En tête du volume il y a une mention fort ancienne, d’une écriture effacée, qui indique le nom du père Buriel.

M. de Savornin-Lohman. Cela peut s’expliquer en prenant la page 443.

M. de Martens. Alors, il y aurait une faute d’impression.

M. Doyle. Je crois que la date est 1744.

M. Beernaert. En tout cas, cela n’aurait pas grande importance.

(A midi la séance est suspendue jusqu’à 2½ heures.)