huitième séance.

La séance est ouverte à 2 h. 45 sous la présidence de M. Matzen.

M. le Président. M. le Representant des Etats-Unis de l’Amérique du Nord a la parole.

Mr. Ralston. In conformity with the order of court this morning, I desire to present for the consideration of this tribunal the following written application on behalf of M. Descamps, premising the same by saying that immediately upon the opening of the morning session a telegram was sent to M. Descamps, and no response has yet been received:

The agent of the United States has the honor respectfully to state to this honorable tribunal that he has been handed a telegram from M. Descamps, by which he is informed that that gentleman desires to address the court Monday; that he (the agent) had expected to be followed to-day by M. Descamps, but in view of the obligations placed upon that gentleman because of the regretted death of the Queen of Belgium, he has been unable to be present. The agent, therefore, has the honor to ask this tribunal that permission may be granted to M. Descamps to address the court on next Monday, giving, if desired, full opportunity to the agent and counsel of Mexico to reply to the arguments advanced by him before the réplique on the part of the United States, which last argument will be offered by Mr. Penfield, the solicitor of the Department of State of the United States.

M. le Président. Le Tribunal délibérera sur la demande qui vient d’être faite. La parole est au conseil des Etats-Unis Mexicains.

M. Delacroix. Est-ce que la question qui vient d’être posée ne doit pas être résolue avant de me donner la parole, Monsieur le Président?

M. le Président. Non, le Tribunal se retirera pour délibérer sur cette question.

M. Beernaert. Je me permets cependant de faire remarquer que la question posée par M. Ralston est en quelque sorte préalable; vous avez décidé qu’une fois la première plaidoirie finie et notre tour commencé, il n’y aurait plus place que pour les répliques qu’elles devraient être confiées à une seul orateur; par conséquent, si M. Delacroix prend la parole, le demande de M. Ralston pourrait devoir être considerée comme implicitement rejetée. Je crois devoir en faire l’observation.

M. le Président. Le Tribunal a décidé que la demande de l’agent des Etats-Unis de l’Amérique du Nord ne peut pas être admise.

[Page 628]

plaidoirie de m. delacroix.

Messieurs: Vous avez entendu plusieurs beaux discours en faveur des Etats-Unis du Nord, et s’il fallait en juger par la multiplicity des brochures qui vous ont été distribuées il faut avouer que la cause du Mexique semblerait compromise. Cependant, nous ne le croyons pas, et je puis dire dés à present a la Cour que nous serons beaucoup plus courts, beaucoup moins longs que nos honorables contradicteurs, parce que nous croyons que notre these se defend en quelque sorte d’elle-même.

Il nous paraît impossible que les éminents jurisconsultes qui composent le tribunal arbitral n’aient pas apercu le vice de l’argumentation de nos honorables contradicteurs. Ces Messieurs vous ont éttabli—etils l’ont fait avec succès, avec fondement—que la volonté primitive des donateurs du Fonds Pieux de Californie n’est pas aujourd’hui réalisée par le Gouvernement mexicain. Nous sommes d’accord, et non seulement nous sommes d’accord mais nous renforcerons encore si possible la thèse qui vous a été présentée par les Etats-Unis d’Amérique sur ce point. En effet, les donateurs primitifs ont eu en vue de faire une donation aux Jésuites; c’était si bien leur préoccupation de faire une donation aux Jésuites, de vouloir que les Jésuites seuls et exclusivement puissent disposer de ces fonds, que dans notamment le testament de M. le Marques de Villapuente il est dit que ni les autorites seculieres ni les autorites religieuses, en un mot ni le clergé ni l’autorité laїque, ne pourront intervenir.

Done, puisque telle a été la volonté des donateurs de favoriser exacte ment les Jésuites, il est clair, et, nous devons l’avouer, que la volonté des donateurs sur ce point n’est pas réalisée aujourd’hui, puisqu’il n’y a plus de Jésuites ou qu’il semble qu’il n’y en ait plus.

Les donateurs ont voulu appliquer le Fonds Pieux aux Missions. Les Missions, que je definirai tout-a-l’heure, c’est une ceuvre de conquête spirituelle et temporelle, si vous voulez, l’un et l’autre; mais, comme le disent tous les auteurs dont je parlerai, c’est une œuvre de réduction: on veut subjuguer la Californie au point de vue politique et au point de vue religieux: c’est une ceuvre de reduction religieuse en même temps qu’une ceuvre de réduction politique. Cela est si vrai qu’il n’y a plus de Missions qu’il ne pourrait plus y en avoir sur le sol de la Libre Amérique; pas plus aux Etats-Unis d’Amérique, où la liberté de conscience est aujourd’hui complète et entiere qu’au Mexique d’aujourd’hui il ne serait possible d’établir encore de ces oeuvres de réduction ou de conquête religieuse pas plus que de conquête politique.

Done, il n’y a plus de Missions, et à ce second point de vue la volonté primitive des donateurs, n’est pas respectée.

Enfin, messieurs, les donateurs ont eu surtout en vue de favoriser une des populations les plus déhétées de la terre, les Indiens, les sauvages, ces gens qui se trouvaient encore dans la ténèbres du paganisme. Voilà ceux qui avaient appelé la préoccupation des donateurs, et je puis bien le dire, heureusement pour la Californie, il n’y en a plus … ou plutôt je m’expliquerai sur ce point.

A ce troisième point de vue encore, la volonté des donateurs primitifs ne peut pas être réalisée.

Mais, messieurs, si sur cette prémisse nous sommes d’accord avec nos honorables contradicteurs, où nous ne sommes plus d’accord c’est sur la conclusion qu’ils en tirent, ou plutôt sur la seconde prémisse, [Page 629] lorsqu’ils disent: Les Jésuites e’est nous, les Missions c’est nous, les Indiens c’est nous. Là nous ne sommes plus d’accord, et vous apercevez aisément que le titre, la preuve à juridique de cette allégation fait défaut.

Mais, messieurs, vous serez aussi certainement été frappés de ce qu’il semble que l’histoire traditionnelle des peuples condamne la réclamation d’aujourd’hui; vous aurez été frappés des conséquences de la décision qui serait rendue conformément à la demande, puisque vous devez en quelque sorte par votre sentence réviser l’Histoire.

Si nous relisons l’histoire du 18e siècle, nous voyons que toute la seconde période de ce siècle s’est trouvée agitée par ce fait mondial de la suppression des Jésuites; les intrigues, les démarches, les luttes de tout genre, ont eu lieu autour de cette question: Les Jésuites doivent-ils être maintenus, ou doivent-ils être expulsés?

Louis XV en France et son premier ministre Choiseul, se sont préoccupés de cette question des Jésuites: ils redoutaient les Jésuites qui semblaient devenir une puissance trop grande dans l’Etat. Charles III, en Espagne, sujet fidele de l’Eglise, ay ant les meilleurs rapports avec le Pape, s’en préoccupe également, et en arrive à décider, lui aussi, la suppression des Jésuites.

Il suffit, messieurs, d’ouvrir l’histoire de cette époque pour voir à quelles querelles, à quels pamphlets, à quelles discussions de tout genre cette lutte entre les amis et les adversaires des Jésuites a donné lieu.

Lorsque les souverains catholiques, l’un avant, l’autre apres, ont supprimé les Jésuites, ils ont d’abord rencontré dans la Papauté, c’est-à-dire dans le pape Clément XIII, un adversaire qui aurait voulu défendre les Jésuites; mais Clément XIV lui a succédé, a fini pencher du côte delinus adversaires et les a supprimés.

C’est un fait que cette suppression des Jésuites. Nous savons qu’une des raisons qui ont déterminé leur suppression était leurs richesses considérables; et voilà que dans tous ces Etàts nous voyons les richesses des Jésuites passer non pas entre les mains de l’Eglise, entre les mains des archevêques et des evêques de l’époque, et sans protestation aucune, nous constatue ce fait que chez tous ces souverains, sans protestation aucune je le répète, même du Pape, les biens des Jésuites passent entre les mains des souverains.

Il y a eu, messieurs, en dehors de ce fait, dans l’Histoire, chez tous les peuples il y a eu des suppressions d’ordres religieux ou bien d’ordres à la fois militaires et religieux, comme l’Ordre des Templiers, l’Ordre Teutonique, etc., et toujours c’est le Gouvernement, c’est le souverain qui s’est substitué à eux, qui s’est approprié leurs biens.

Et il s’agirait aujourd’hui de méconnaitre l’Historie il s’agirait alors que pendant des siècles, cela a été admis, avec le consentement de l’Eglise ou sans protestation de sa part au point de vue des biens—comme nous l’établirons plus tard—il s’agirait de réviser cette jurisprudence traditionnelle de l’Histoire.

Il n’est pas de pays où la décision que vous rendriez dans le sens qui est sollicité de l’autre côté de la barre n’eut un retentissement! Permettez-moi de vous citer un exemple sur iequel j’appelle les meditations de mes honorables contradicteurs. Il y avait en France, en Alsace-Lorraine, des biens ecclésiastiques, il y avait des Jésuites, il y avait des communautés religieuses; lorsque sont intervenus, le décret de Louis XV de 1773 dont je vous dirai un mot plus tard, puis la loi [Page 630] du 2 novembre 1789 que je vous citerai également, lorsque ces évènements se sont produits, presque dans les mêmes termes les Gouvernements se sont approprié ces biens, mais toujours en s’appropriant ces biens les Gouvernements disaient qu’ils tiendraient compte des volontés des fondateurs, qu’ils appliqueraient les biens au service du culte, a l’entretien des ministres du culte et au soulagement des pauvres. Il en a été ainsi en 1763 et en 1789; depuis lors l’Alsace et la Lorraine ont été l’objet d’une conquêté analogue à celle de la Californie par les Etats-Unis; il y a eu un traité qui était analogue au traité de Guadalupe-Hidalgo; eb bien, messieurs, si l’analogie entre ces deux cas est complète—et je ne demande pas mieux que d’insister sur cette comparaison—serait-il possible aujourd’hui, comme un écho de la sentence que vous rendriez, que la Prusse ou que les évêques d’Alsace-Lorraine vinssent dire: il y avait autrefois des biens de communautés religieuses, ces biens ont été donnés dans une pensée pieuse, ils appartenaient donc à l’Eglise, nous sommes les successeurs de l’Eglise, par conséquent nous demandons que ces biens nous soient attribués.

A notre sens—c’est un exemple que j’ai mûri—il nous semble que l’analogie est complète, et qu’étant données les idees que nous constatons après plus d’un siecle que ces événements se sont passés, il est impossible que l’on puisse dire lorsque l’on voit de telles conséquences, que le raisonnement de la partie adverse ne doive pas avoir un vice que nous chercherons à dégager.

Mais, messieurs, il y a encore un sentiment qui a dû vous choquer lorsque vous avez examiné la réclamation de la partie adverse, avant même d’aborder son côté juridique. Vous vous êtes dit que cette donation considérable qui avait formé le Fonds Pieux de Californie émanait de Mexicains. Elle émanait de personnages qui ont occupés au Mexique une situation importante. On nous dit aujourd’hui que c’étaient des Chrétiens, que c’étaient des gens pieux je le crois: sans aucun doute la préoccupation religieuse devait determiner dans une large mesure le sacrifice qu’ils faisaient; ce qu’ils voulaient, c’était sans aucun doute faire de ces Indiens égarés dans les abîmes du paganisme des soldats de Dieu, c’est incontestable. Mais, qui oserait dire que ces personnages n’étaient pas en même temps des patriotes? Qui oserait dire que ces Mexicains n’avient pas la préoccupation de faire de ces Indiens barbares des sujets du Roi?

J’entendais un de mes honorables contradicteurs dire à une précédente audience que c’était la volonté de ces donateurs qu’il fallait rechercher, et il en déduisait que ce fonds devait être donné aux Etats-Unis, c’est-à-dire que le Mexique devait être condamné à payer un tribut perpétuel pour un service public étranger, pour un budget des cultes de l’étranger, rente perpétuelle, service perpétuel, exonération perpétuelle: Il aurait done fallu que ces fonds aillent aux mains des étrangers e’est-à-dire d’une autre race qui n’est plus la race espagnole: Et l’on pourrait dire que ce serait là la volonté des donateurs? … Nous ne le croyons pas, et vous vous le serez dit déjà.

Il y a enfin, messieurs, un autre fait qui vous aura frappés. La Californie a fait l’objet d’un partage en 1848: la moitié, la Haute Californie, a été attribuée aux Etats-Unis, la Basse Californie est restée au Mexique. Il y a encore un évêque mexicain; il ne me sera pas difficile de vous démontrer qu’au point de vue des lois mexicaines une réclamation qui serait produits en justice par l’évêque de la Basse [Page 631] Californie serait non recevable et ne pourrait être accueillie en aucune manière.

Alors, ne vous êtes-vous pas dit: Voilà un fonds qui appartiendrait en copropriété, à titre d’indivision, d’une part à un mexicain, d’autre part à un étranger, et on nous demande de dire que l’Etat est le débiteur de l’étranger, alors qui le mexicain ne peut rien réclamer à l’Etat, que l’Etat n’est pas son débiteur.

Examinons done de plus près:

Une première question que vous vous serez posée est celle-ci: une Cour d’arbitrage est instituée: Quel est le droit qu’il faut appliquer? quelle est la loi qui nous régit?

A ce point de vue, messieurs il ne faut pas de confusion. Quelles sont les parties que vous avez devant vous? Sont-se les Etats-Unis qui sont demandeurs? Non, les Etats-Unis ne sont pas demandeurs: les Etats-Unis sont au procès pour appuyer une réclamation d’un ou de plusieurs de leurs sujets, c. a. d. à titre de bons offices.

On a dit que les Etats-Unis étaient au procès pour represénter les évêques de Californie. Si le mot “représenter” devait être employé dans son sens juridique il serait évidemment inexact: les Etate-Unis ne réclament rien pour eux-mêmes.

Je regrette, messeurs, au point de vue de la facilité de ma tâche et de la brièveté du débat, que ce ne soient pas les Etats-Unis qui soient au banc des demandeurs, parce que s’il en était ainsi nous aurions bien vite fini; nous dirions: Il y a un traité entre nous, le traité de Guadalupe Hidalgo; aux termes de ce traité les Etats-Unis ont reconnu que nous ne leur devions plus rien; c’est d’ailleurs de l’essence d’un traité ae mettre fin à toutes revendications ou réclamations réciproques: aux termes de ce traité de 1848 non-seulement les Etats-Unis reconnaissent qu’ils n’ont aucune créance comme Gouvernement vis-à-vis du Mexique, mais ils paient aux Etats-Unis mexicains 15 millions de dollars. J’aurai Poccasion, lorsque j’en viendrai à l’examen du traité de Guadalupe-Hidalgo, de vous montrer quelle a été la pensée des plénipotentiaries qui l’ont discuté; pour le moment je me borne a rappeler qu’aux termes de ce traité les Etats-Unis d’Amérique paient 15 millions de dollars aux Etats-Unis mexicains a raison de l’enlèvement d’une partie de leur territoire et notamment de la Californie. Nous pouvons done affirmer que les Etats-Unis n’avient pas d’autre créance et ne s’en réservaient aucune puisqu’ils Pauraient déduite de la somme à payer.

Je ne dois pas insister puisque les Etats-Unis ne sont pas demandeurs; pas plus aujourd’hui que lorsqu’ils ont comparu devant la Commission Mixte en 1869 ou 1870. Et, s’il fallait une démonstration sur ce point je me permettrais de vous signaler la première lettre qui a engagé ce débat: celle du 17 août 1891 insérée dans le livre rouge à l’endroit o se trouve la Correspondance diplomatique (page 8), lettre addressée par M. Ryan à M. Mariscal; dans cette lettre le Ministre des Etats-Unis è Mexico écrit au Ministre des affaires étrangères:

Monsieur le Ministre: J’ai des instructions formelles pour attirer l’attention de Votre Excellence sur les rélations légales du Gouvernement Mexicain à l’égard du Fonds Pieux de Californie, etc. . . Parmi les réclamations présentées contre le Gouvernement du Mexique devant cette commission il y en avait une de l’arehevêque et des évéques de l’Eglise catholique romaine de la Haute Californie intitulée, etc.

Plus loin, dans la lettre, il est dit que c’est aux évêques et à l’arche-vêque de cette Eglise qu’il appartient de réclamer et de recevoir—ce [Page 632] sont les Etats-Unis qui le disent—le cas est de ceux où peut s’exercer l’intervention diplomatique.

Intervention diplomatique. Il arrive en effet constamment qu’un Gouvernement, s’intéressant au sort de l’un de ses sujets qui a une réclamation vis-à-vis d’un autre Gouvernement, s’interpose: c’est l’interposition diplomatique.

Plus loin on ajoute:

L’archevêque de San Francisco et l’évêque de Monterey, agissant au nom de ladite eglise, représentent maintenant au Départment d’Etat de Washington qu’il ne leur a rien été payé en sus du revenue … ses bons offices en leur faveur afin que l’attention de Votre Excellence soit attireé, etc.

Ce que l’on demande ce sont de “bons offices,” c’est une intervention diplomatique, pas autre chose.

Je m’excuse, messiers, d’avoir insisté un moment sur ce point, car je pense que cela n’est pas contredit. Ce n’est pas un conflit entre deux Etats, c’est un conflit entre des citoyens d’une part et d’autre part un Gouvernement. Il en résulte qu’il ne s’agit pas d’un arbitrage international, un arbitrage international fait supposer nécessairement un conflit entre deux Etats, deux Gouvernements souverains.

La question est importante, parce que s’il s’agissait d’un conflit entre deux Etats quelle est la loi qu’il faudrait appliquer? Il n’y a pas de loi, ce ne peut pas etre la loi d’un pays plutôt que la loi de l’autre, ce ne pourrait être en tout cas que la loi commune des deux pays c’est-à-dire un disposition qui serait commune aux deux législations, et, pour le reste, ce serait dans le fonds commun des notions juridiques de l’humanité que les arbitres devraient chercher les éléments devant régir et guider leur décision.

Mais, messieurs, il ne s’agit pas de cela; il s’agit d’un conflit qui normalement aurait dû êtré résolu par les tribunaux, par les institutions judiciares qui existent au Mexique pour résoudre ces cas.

Cependant, sans que nous en fassions un reproche à nos honorables contradicteurs on a estimé que comme il s’agissait ici non seulement d’une question importante mais d’une question qui soulevait des principes d’ordres divers où même peut-être la question nationaleoupatriotique aurait pu jouer un certain rôle, on a estimé qu’il était préférable d’avoir des arbitres internationaux au lieu de soumettre le cas aux juges mexicains qui en étaient les juges naturels, et voilà, pourquoi vous cour internationale, vous avez pris la place des tribunaux mexicains; vous êstes substituée ô eux, vous jugez à leur lieu et place; par conséquent vous jugerez en adoptant les règles et les principes qui auraient dû régir ces tribunaux s’ils avaient jugé.

La question qui nous occupe, n’est pas d’ailleurs une question de droit public; il peut y avoir, au cours de ce débat, des questions d’ordre public accessoires qui doivent être appreciees et résolues par vous, mais le fond du litige n’est pas de droit public; il ne s’agit pas d’actes souverains en conflit, non, il s’agit d’un droit civil, et par conséquent ce sont les régles du droit international privé qui doivent nous régir.

Droit privé, droit d’un citoyen … On dit: Étranger, j’ai un droit privé contre l’Etat mexicain, je le revendique et je l’exerce. L’Etat mexicain répond: Quel est votre titre? Voila le procès.

Done, droit privé et droit civil. Droit civil, droit positif; quel droit civil et quel droit positif? Droit positif mexicain parce que les lois mexicaines continuent à régir le Fonds Pie.

Les demandeurs ont admis que ce Fonds Pieux continuait à rester et [Page 633] devait perpétuellement rester entre les mains du Gouvernement mexicain. J’aurai à vous expliquer la genèse ou l’origine de la réclamation actuelle et pourquoi elle a été présentée sous cette forme, ce sera un autre point de ma plaidoirie, mais pour le moment je signale simplement au Tribunal arbitral que les Evêques Americains acceptent que ce Fonds Pieux de Californie reste entre les mains du Gouvernement mexicain, que c’est ltd qui continue à le réglr, mais bien entendu, disent-ils, il en doit un intérêt intégral à 6 pour cent par an en or.

C’est done la loi mexicaine qui, à ce point de vue encore, va continuer à régir ce Fonds.

D’ailleurs, il s’agit d’une réclamation qui aurait dû être présentée devant le Tribunal mexicain; à ce titre, je le disais, c’est la loi mexicaine qui doit régir le débat. Du reste c’est le Mexique qui était débiteur et les actes sur lesquels on va s’appuyer sont des actes mexicains: done, à tous égards c’est la loi mexicaine qui doit être appliquée.

Messieurs, le fait que je vous signale est important, lorsque j’aurai à faire l’exposé des diverses lois qui vont avoir à régir le litige, la question sera vite résolue. Aussi mes honorables contradicteurs s’en défendent-ils . . . . sans le dire. Ils nous disent: Mais non, ce qu’il faut voir ce n’est pas la loi, c’est si la réclamation est juste ou si elle n’est pas juste.

On invoque alors le compromis du 22 moi 1902 reproduit dans le volume que vous connaissez (page 49) et on dit: Le Tribunal arbitral est chargé de résoudre deux questions: la première y-a-t-il “res judicata?” et la seconde: la réclamation est-elle juste? Est-ce juste, ou non, dit-on, et vous serez peut-être surpris de la déduction que la justice exclut le droit:

Sans doute, messieurs, le juge rend la justice, mais il la rend conformément au droit, et assurêtre nent c’est la première fois que j’ai entendu induire de ces mots “est-ce que la réclamation est juste?” cette conséquence que le juge aurait à faire abstraction du droit.

La justice de la case. … Qu’entendez-vous par justice? Vous avez dit: “équité.”. Ah! équité, c’est déjà autre chose; équité, c’est un mot dangereux, parce qu’il ne faut pas que les Cours d’arbitrage jugent avec arbitraire, il faut qu’elles aient des règles, et ces règles c’est le droit.

Comment serait-il possible de dire que les deux parties ont voulu donner à Messieurs les arbitres le droit, le pouvoir ou le mandat de s’affranchir du droit? Comment le Gouvernement mexicain aurait-il pu même sans l’intervention de sa législation mettre sa signature au bas d’un compromis dans lequel il aurait été dit que les arbitres auront à faire abstraction du droit mexicain? C’eut été impossible.

Non, messieurs, et d’ailleurs c’est un terrain où la fantaisie est trop grande pour que mes honorables contradicteurs puissent s’y aventurer avec sûreté Lorsqu’on quitte le droit il n’y a plus de sûreté. C’est presque un axiome, mais permettez-moi d’en faire l’application à la cause.

Vous dites: Faisons abstraction des lois, faisons abstraction du droit, ne regardons qee l’équité.

Et le second de mes contradicteurs vous disait: l’équité, c’est la volonté des donateurs!

L’Equité, mais alors où serait le droit des Jésuites? Il existe encore des Jésuites, car si un bref de Clément XIV les à supprimés en 1773, Pie VII les a rétablis, et il y à a ce sujet une bulle de 1801 et une [Page 634] autre bulle de 1814, qui sont très intéressantes toutes deux. Si on considère la volonté les donateurs, cedevrait done être aux Jésuites à revendiquer le Fonds Pieux! Eh bien, ils ne sont pas là.

Il y avait une autre idée qui me venait: L’équité absolue, ne serait-ce peut-être pas que les héritiers des donateurs primitifs pussent revendiquer ce qui vient de leurs auteurs? En effet, si les donateurs, le marquis de Villapuente, la Marquise de la Torres de Rada ou d’autres, ont fait le sacrifice de se dépouiller de fortunes considérables aux dépens des leurs pour enrichir ce fonds, ils ont voulu que ce fût aux Jésuites que ces biens allassent, e’était à leur profit qu’ils en faisaient le sacrifice, pour les Missions Indiennes; eh bien, s’il n’y à plus de Jésuites, d’Indiens, de Missions, les héritiers de ces donateurs ne pourraient-ils en équité venir dire: Le Fonds n’ayant plus d’objet il doit nous revenir? … Est-ce là l’équité? Mais, ce sont là des digressions et je m’en excuse, car vous avez à juger d’apres le droit.

Nous avons devant nous des juges. Des juges? Ce matin, mon honorable contradicteur, M. Ralston, vous citait l’opinion d’un de nos éminents collègues que nous regrettons de ne pas voir ici, M. le Chevalier Descamps, disant: “L’arbitre juge et statue comme tel” (page 28 de l’ouvrage); et il citait encore l’opinion de M. Lambermont, qui écrivait: “Arbitre et non médiateur, je n’avais qu’à dire le droit.”

Messieurs, lorsque l’on veut que l’arbitre ne soit pas un juge il faut le dire; il est alors amiable compositeur, et assurément ce n’est pas là ce que l’on a voulu dire quand on vous à confié le soin de décider si la réclamation est juste!

Dès lors, aux demandeurs qui se présentment devant vous et qui réclament l’attribution de certaines sommes d’argent, nous avons tout d’abord à démander d’établir le fondement juridique de leur réclamation: vous êtes demandeurs, à vous à prouver et à justifier de votre titre.

Mais d’abord, messieurs, je demande à la Cour la permission de lui faire un court exposé des faits; non pas que j’aie l’intention de vous rappeler des faits que vons connaissez mieux que moi et qui vous ont été longuement exposés; non, je ne veux pas faire perdre son temps à la Cour; mais je pense qu’il est indispensable que nous caractérisions chacun des faits au point de vue juridique pour que la Cour puisse immédiatement apprécier ce qui nous divise.

En effet, si nous sommes d’accord sur la matérialité des faits dans leur ensemble, nous différons d’appréciation au point de vue du caractère juridique de chacun d’eux, et de là des différences essentielles que je dois signaler.

Le Roi d’Espagne eût de bonne heure l’attention attirée sur la Californie. Vous savez que c’est en 1534 que Cortez en avait fait la découverte et y avait planté le drapeau espagnol. Seulement, ce n’était guère qu’une conquête nominale. L’Espagne avait proclamé sa souverainteté en Californie comme dans toutes les parties du Nouveau Monde où ses navigateurs avaient mis les premiers les pieds; mais il fallait autre chose. Et ici l’attention du souverain était d’autant plus appelée que la Californie avait pour lui une importance considérable; ses côtes inhabitées et désertes devenaient un repaire de corsaires et la navigation s’y trouvait exposée, notamment vers les Philippines; le Roi d’Espagne se préoccupait done de créer là des établissements, d’assurer les côtes, d’avoir des ports, et ses préoccupations se traduisirent par de nombreuses expéditions.

[Page 635]

Et voilà qui va nous servir ô caractériser les Missions. C’est le Roi qui veut la conquête, c’est le Roi qui envoie des expéditions. Ce sont des expéditions militaires et coûteuses; leur but est une conquête politique.

Mais toutes ces expéditions échouent, ce sont des échees successifs; cela se comprend: les soldats passaient, les expéditions ne s’implantaient pas dans le pays et leur influence était éphémère.

La dernière de ces expéditions eût le 29 décembre 1579 et coûta 225,400 dollars, nouveau capital inutilement englouti.

Alors arrive l’heurede l’intervention des Jésuites. On les avait vus réussir au Paraguay, au Pérou, au Brésil, et l’on se dit: Ils réussiront peut-être là où les militaires ont échoué; et le Roi proposa aux Jésuites de faire la conquéte de la Californie en son nom et à ses frais.

Les Jésuites prirent le conseil de leur Provincial et refusèrent; on leur demandait d’être les agents directs du Roi, ils devaient être payés par lui, et il aurait payé aussi la force armée dont le concours était nécessaire, les officiers notamment auraient été à la solde du Roi et les abus qui avaient déterminé l’échec des expéditions précédentes se seraient inévitablement renouvelés.

Telle était l’opinion des Jésuites; ils ne voulaient rien tenter que si on leur donnait une autorité absolue, même quant au choix des officiers.

Preténtion grave, messieurs, et devant laquelle le Roi hésita; mais les représentations des Pères Jésuites Salvatierra et Quirno l’emportèrent, et un décret du 5 février 1597 (reproduit à la page 401 du livre rouge) confia aux Jésuites la mission de faire la conquête spirituelle et temporelle de la Californie.

Conquête spirituelle et temporelle. Spirituelle, c’est incontestable: ce sont des Jésuites, et par conséquent ce sont avant tout des soldats de Dieu. Mais conquête temporelle aussi, car il s’agit du Roi et c’est lui qu’ils doivent représentee Le Roi inter vient pour leur permettre de partir et de s’établir dans ce pays qui est le sien; le Roi intervient pour leur donner le pouvoir exorbitant de diriger l’administration militaire de la Californie, même qaint à la nomination des officiers; ce sont eux qui les choisiront, qui les payeront, qui les révoqueront au besoin, même on leur donne un droit de conscription militaire, une loterie militaire. Mais en même temps le Roi leur dit: Vous irez en mon nom, vous planterez mon drapeau, c’est l’étendard d’Espagne qui doit flotter au-dessus de l’établissement des Missions.

J’oubliais un point essentiel: Le Roi leur donne même le pouvoir d’administrer la justice. Ah! la justice! cette grande institution, où l’homme juge ses semblables, se substituant en quelque sorte à Dieu! mission divine aussi, celle là. Eh bien, le Roi qui détient ce pouvoir auguste comme monarque de droit divin, va le confier aux Jésuites; et d’après la partie finale du décret du 5 février 1597 c’est eux qui désormais jugeront et puniront.

Voilà, messieurs, dans quelles conditions partent les Jésuites.

Mais il fallait le nerf de la guerre, il fallait de l’argent. L’intention du Roi avait été de faire face aux frais, mais les Jésuites avaient repoussé cette combinaison. Ils comptaient sur les fonds qu’ils pourraient recueillir, sur la générosité des fidèles.

Mais ici encore il fallait l’intervention du Roi; lui seul pouvait leur permettre de recueillir des aumônes; ce pouvoir, le Roi le leur donne, et c’est encore par le décret du 5 février 1597; l’autorisation du Roi est done encore ici la base des Missions et leur condition d’existence.

[Page 636]

Et ici pas la moindre intervention de l’Eglise. Je démontrerai tout-à-l’heure qu’elle n’est pas intervenue à la suppression des Missions; mais voici qu’a leur naissance, dans leur acte de baptême, si je puis m’exprimer ainsi, on ne voit pas non plus d’autre parrain que le Roi.

Les Jésuites vont done en Californie comme délégués du Roi, comme agents du Roi, et c’est comme tels, en vertu de ce pouvoir que le Roi personnifie mais qu’il leur délègue, qu’ils vont en Californie pour en faire la conquête temporelle et spirituelle … Temporelle et spirituelle; à cette époque, le Roi n’en faisait pas d’autres; iltient son pouvoir de Dieu, il ne connaît qu’une religion, et par conséquent rien de plus naturel que de faire des cbrétiens en même temps que des sujets.

Les Jésuites n’avaient pas attendu le décret du 5 fevrier 1597 pour recueillir des aumônes. Ces sommes, ils les ont employées de suite naturellement, et en capital. Mais elles se trouvérent absolument insuffisantes. Déjà, en 1700; nous voyons le Père Salvatierra, le premier Jésuite parti pour la Californie, qui avait refusé toute allocation de subsides, obligé après trois ans d’adresser une requêté au Roi pour en solliciter. Alors Philippe V, par deux décrets successifs, aloua sur sa cassette personnelle une somme annuelle d’abord de 6,000, puis de 12,000 dollars pour les fonds des Missions de Californie.

En Californie, comme dans tous leurs autres établissements du Nouveau Monde, les Jésuites réussirent, ils forcerent l’admiration, et la charité chrétienne, la générosité chrétienne qui se montre partout intervint largement. Les Missions s’organisèrent et se multiplièrent.

Qu’était-ce qu’une Mission? Déjà je l’ai définie tout-à-l’heure au point de vue juridique: c’était une ceuvre religieuse et politique, mais politique surtout. Une Mission se composait d’un établissement où se trouvait le Père ou les Pères Jésuites qui le dirigeaient, et le “presidio,” ou en langue moderne la caserne, avec la force militaire, le capitaine et ses soldats, également subordonnés aux Pères comme nous le disions tout-à-l’heure; puis, plus loin, le “pueblo,” oule village, où se trouvaient les Indiens employés aux travaux agricoles et qui étaient en même temps les neophytes et les nouveaux sujets du Roi, qu’au besoin l’on vêtait et nourrissait. Le tout était sous la direction, sous la tutelle des Pères.

Les Missions étaient done une ceuvre de conquête, un établissement gouvernemental. Et où se trouvaient les missions d’alors? En Californie, et à cette époque on croyait communément que c’était une île, ainsi qu’on peut le voir dans l’ouvrage du Père Venegas, qui est certainement un des auteurs les plus considérés au point de vue des questions qui nous occupent et qui date de 1757.

Cependant à cette époque, déjà d’autres mieux édairés y voyaient une presqu’île. Pour tous la Californie se terminait à l’extrémité du golfe, c’est à dire en-dessous des limites de la Basse Californie actuelle.

Au cours de ma plaidoirie, messieurs, j’aurai l’honneur de donner lecture d’un décret du Roi que rapporte le Père Venegas, et vous y verrez ce qu’on pensait alors des Missions et de la Californie; en un mot, vous aurez l’impression du temps. Mais, si vous me donnez crédit jusqu’a tout à l’heure, je continue mon exposé, me bornant à exposer qu’à cette époque la Californie n’était que la Basse Californie d’aujourd’hui, et à constater que les Jésuites n’ont jamais établi de [Page 637] Missions que dans ces limites; c’est là un point important qui n’est pas contesté.

Au eours de ce débat, nous aurons è examiner les différents actes de donation qui ont servi à la constitution du Fonds Pieux, et nous aurons vite fini, car je vous annonce qu’il n’y en a que deux.

On parle de la volonté des donateurs; mais elle doit être constated dans des actes; or, nous ne possédons que l’acte relatif à la donation d’ailleurs considérable du Marquis de Villapuente et du la Marquise de la Torres del Rada de 1735, puis il y à la succession Argueles dont j’aurai à vous parler; il n’y à pas d’autre acte. Nos honorables adversaires veulent le prendre comme actetype — cela facilitera peut-être leur thèse, mais nous verrons tout à l’heure ce qu’il en faut admettre.

Je vais prendre cet acte. Le Marquis de Villapuente y donne aux Jésuites des biens considérables, plus de 400,000 piastres. Ce document est très intéressant au point de vue du procès, il est reproduit à la page 452 du livre; il donne aux Jésuites les droits les plus absolus et il les leur donne, sans réserve, pour toujours, sans possibilité d’intervention ou de contrôle, soit pour l’autorité religieuse, soit pour l’autorité temporelle.

Les donateurs se dépouillent en vue des Missions de Californie, — mais les circonstances peuvent changer; ou la conversion des Indiens sera complète, ce qui rendrait l’ceuvre inutile, ou quelque révolte peut rendre la situation des Jésuites impossible. Dans ce cas, ils pourront porter leur œuvre ailleurs, non seulement en Amérique, mais dans l‘Universo Mundo. Les biens sont à leur discrétion, les donateurs ont en eux pleine confiance, ils feront ce qu’ils voudront, c’est à Dieu seul qu’ils pourraient avoir à rendre compte.

Mais semblable confiance est toute personnelle, et les Jésuites seuls ont été investis de ce pouvoir discrétionnaire.

Or, jamais avant leur expulsion ils n’ont dépassé les limites de la Basse Californie et toutes les Missions se trouvaient dans le territoire qui est encore aujourd’hui Mexicain. Ainsi l’éventualité prévue par les donateurs ne s’est point réalisee, elle n’aurait pu l’être que par la volonté des Jésuites, et nous en conclurons qu’elle ne peut plus être entrevue.

Telle est done la donation Villapuente, l’acte-type d’après les demandeurs: Tous pouvoirs sont donnés aux Jésuites.

Au point de vue du droit à qui pourrait bien être la propriété des choses données?

Il y à un pouvoir qui était en dehors de la volonté du Marquis de Villapuente, le pouvoir du Roi, ce quel’on appelleen droit modernele domaine éminent du souverain. Lorsqu’il s’agit d’un établissement de mainmorte, d’une personnalité civile, d’une fiction légale, d’une entité juridique qui n’a d’existence que par la volonté du souverain, celuiqui à donné la vie s’est toujours réservé de modifier ses conditions d’existence, ou même de supprimer celle-ci, en faisant rentrer dans son domaine ce qu’il avait permis d’affecter à un objet spécial. C’est là une qualification moderne, mais la notion à existé dans tous les âges: Nous aurons l’occasion de vous citer un décret de Charles Quint, de 1520, où, souverain d’Espagne comme des Pays-Bas, se préoccupant de la mainmorte il disait que les personnes morales ne pourraient acquérir qu’avec son consentement. C’est cette notion juridique, que vous concevez mieux que moi, messieurs, et d’aprés laquelle, du moment où il [Page 638] s’agit non d’un être en chair et en os, mais d’un être qui n’a d’existence que parce que le Roi l’a voulu, celui-ci reste maître de la reprendre.

Je reprends mon exposé. Les Missions continuent à être prospères * * * trop prospères; la prospérité amène toujours des ombrages * * * et les Jésuites ont un succès tel qu’il inquiéte les Gouvernements. C’est la periode à laquelle je faisais allusion il y a quelques instants, c’est la période où les souverains qui avaient favorisé les Jésuites, qui leur avaient donné le moyen de devenir puissants et prospères, s’émeuvent * * * du moins les souverains catholiques, car, phènomène curieux, ce sont les souverains protestants, c’est Catherine II c’est Frédéric de Prusse, qui donnent asile aux Jésuites quand ils sont chassés par des Gouvernements catholiques.

En 1763, Louis XV prend l’initiative; le 27 février 1867, Charles III expulse les Jésuites de tout son empire Ce document très important est reproduit à la page 410 du volume rouge. On y voit le Roi d’Espagne proclamer deux choses: Le bannissement des Jésuites, et la prise de possession de leurs biens temporels. Dans l’intitulé de ce document, lorsque le Roi lui-même le résume, il dit:

Décret royal du 27 février 1767 comprenant; 1° le bannissement des membres dela Société de Jésus; 2° la prise de possession de leurs biens temporels.

Le Roi chasse done les Jésuites, et emploie vis-à-vis d’eux les mesures les plus rigoureuses; non seulement il les bannit mais il ne veut plus qu’il y en ait un sur son territoire, il édicte les peines les plus sévères contre les gouverneurs qui les toléreraient encore; il veut que tous soient mis dans un navire et transportés dans les Etats Romains.

Alors le pape Clément XIII proteste. Il écrit à Charles III, son fidele enfant, son Roi bienaimé, il lui dit que le plus grand chagrin de son pontificat serait la suppression des Jésuites, que jamais il n’avait cru que le Roi d’Espagne aurait fait un acte pareil, et il le supplie dans les termes les plus touchants de revenir sur sa décision. Il fait allusion au décret royal du 27 février 1767 que Charles III lui avait envoyé; il y à vu que Charles III, qui va prendre possession des biens temporels des Jésuites, a décidé de donner à chaque Jésuite une pension alimentaire de 100 piastres par an, et il dit au Roi: Je ne recevrai pas les Jésuites que vous annoneez devoir m’expédier, je ne les recevrai pas parce qu’une fois dans mes Etats il faudrait les nourrir; vous dites bien dans votre décret que vous leur donnerez une pension de 100 piastres par an, mais qui me garantit que vous la paierez?

Je ne prends dans ce livre que ce que je viens de vous citer.

M. Asser. Quel est le titre de l’ouvrage?

M. Delacroix. “Histoire du Pontificat de Clément XIV, page 82.”

M. de Martens. Quel en est l’auteur?

M. Delacroix. Je ne l’ai pas; c’est un auteur de l’époque.

Il est done intervenu un décret qui à révolutionné le monde; qu disait-il done?

Qu’il soit pris possession de tous les biens temporels appartenant à l’ordre dans mes possessions.

Et plus loin, paragraphe 5:

De plus, je déclare que la prise de possession des biens temporels appartenant à l’ordre comprend leurs propriétés—littéralement réelles et personnelles, e’est-à-dire foncières et mobilières—ainsi que les revenus ecclésiastiques qui leur appartiennent également dans le royaume, mais sans préjudice aux charges qui peuvent leur avoir été imposées par les donateurs, etc.

[Page 639]

Voilà done un décret d’appropriation ou de confiscation … J’aurai Phonneur tout-à-l’heure de démontrer à la Cour et à mes honorables contradicteurs que le mot m’est indifférent; que ce soit Fusage d’un droit préexistant, que le Roi en s’appropriant les biens des Jésuites ait fait ce qu’il avait le droit de faire de par les lois existantes, de par les principes existants, ou bien qu’il ait fait ce qu’il n’avait pas rigoureusement le droit de faire, e’est-à-dire qu’au lieu d’être une appropriation ce soit une confiscation, dans les deux cas c’est un acte souverain et par consequent unacte qui impose le respect ici. C’est un acte souverain, et il ne peut appartenir ni à la Cour arbitrate ni à mes honorables contradicteurs de discuter un acte souverain, ou dele discuter utilement bien entendu, parce que, comme il s’agit d’un conflit de droit positif, ainsi que je l’ai indiqué en commencant, ce sont des lois qui nous régissent tous, que nous pouvons interpréter, que nous pouvons discuter, dont nous pouvons demander l’application, mais dont nous ne pouvons pas demander la révision.

Si je me suis permis, messieurs, d’évoquer la lecture que j’ai faite dans ce document de l’Histoire du pontificat de Clément XIV, si je me suis oublié à faire cette digression et à vous parler de cette lettre du pape suppliant le Roi de revenir sur sa décision, c’est parse que j’y vois que le pape qui suppliait’ ne songeait pas à critiquer cette partie du decret qui avait pour objet l’appropriation ou la confiscation des biens: il estimait que e’était un acte souverain qui donnait si peu naissance à une créance civile permettant un débat devant les tribunaux civils et donnant naissance à un droit privé, qu’il n’etait même pas sûr que le Roi paierait les 100 piastres par an de pension à chaque Jésuite et qu’il se disait: comment pourrais-je l’y contraindre?

N’est-ce pas encore là la reconnaissance qu’il ne s’agit pas de droits civils, mais d’un acte souverain ne devant recevoir d’autre exécution que celle que le Roi voudra bien lui donner?

En 1768, l’année suivante, le décret royal recut son exécution au Mexique. Les supplications du pape n’ont pas arrété le Roi souverain. Charles III va ordonner que sa décision soit mise à exécution au Mexique, que les Jésuites soient expulsés de Californie et il va confisquer leurs biens: c’est l’application du principe qu’il à proclamé le 17 février 1767.

J’ai signalé tout-a-l’heure que l’Eglise n’était pas intervenue à la naissance du Fonds Pieux; voici que ce Fonds Pieux qui etait éntre les mains des Jésuites va passer en d’autres mains; est-ce que l’Eglise va intervenir? Pas davantage; pourquoi? Parce que l’Eglise n’a jamais considéré ce fonds comme bien ecclésiastique, par la raison que ce qui caractérise même en droit canon le bien ecclésiastique c’est l’intervention de l’Eglise ou de ses représentants pour en permettre la constitution, c’est la conservation pour l’Eglise du droit de demander compte et l’exercise de ce droit. Ici, messieurs, ni à la naissance ni à la fin l’Eglise n’intervient, et vous allez voir qu’en 1773, par un document nouveau, e’est-a-dire par la bulle du Pape Clément XIV qui se trouve reproduite page 332, texte espagnol, livre rouge, ce pape va supprimer les Jésuites et ne va pas faire allusion à cette confiscation.

Il va faire allusion au décret du Roi Charles III, il va ratifier cette décision; il va dire que c’est à la demande des princes chretiens qu’il agit

Notez que nous sommes en 1773; c’est depuis 1763 que Louis XV à expulsé les Jésuites en confisquant leurs biens comme je vous le dirai, [Page 640] c’est depuis 1767 que Charles III à confisqué leurs biens; le pape connaît les décrets; qu’est-ce qu’il va faire? Il a vu que ces décrets proclament la confiscation par le Roi, l’appropriation des biens par lui; est-ce qu’il va protester? Non, messieurs: il va ratifier, et cette bulle va Stre publiée en Californie en vertu d’une cédule royale qui en autorise la publication.

De telle sorte, messieurs, que l’Eglise représentée par ses autorités les plus éminentes va admettre la thèse critiquée aujourd’hui, va admettre qu’il ne s’agit pas de biens ecciésiastiques mais qu’l s’agit de biens que le Roi à le droit de s’approprier, elle va ratifier cet acte souverain au lieu d’en demander la revision et de protester, et il faudra attendre plus d’un siècle, il faudra attendre que votre Cour suprême soit constitute ou que la Commission mixte soit constituée pour que ces droits et ces principes soient mis en question!

Sir Edward Fry. Il n’y à pas la date de la bulle dans le livre rouge.

M. Delacroix. C’est à la page 332, elle est en espagnol.

M. Ralston. Ce n’est pas traduit en anglais; il y à un sommaire où la pièce est indiquée.

M. Delacroix. C’est un document que nous ferons traduire.

Sir Edward Fry. Cela n’est pas nécessaire.

M. Delacroix. Je pense qu’il pourrait être intéressant pour le Tribunal et c’est la raison pour laquelle j’ai demandé moi-même la traduction que je donne à la Cour, je pense qu’il sera utile qu’elle l’ait également.

Voilà done, messieurs, que le pape Clément XIV supprime sans protestation les Jésuites, et c’est pour constater cette absence de protestation que le document est intéressant.

Mais, me dira-t-on, il reste dans ce décret de Charles III une indication que vous omettez: Charles III, lorsqu’il confisque les biens, lorsqu’il se les approprie, a soin d’ajouter que c’est sans préjudice aux charges qui peuvent avoir été imposées par les donateurs et aux moyens d’existence des Jésuites, et ces charges, le Roi les a assumées.

Certainement. Il y avait, pour le Roi avant même qu’il n’eût énoncé cette volonté, une obligation morale; il y avait, si je puis employer cette expression, qui, lorsqu’il s’agit d’un Etat n’est cependant pas toujours en situation, une obligation de conscience de la part du souverain qui confisquait les biens, de dire; je dois leur donner une destination conforme à la volonté de ceux qui ont constitué le Fonds Pieux. C’était une obligation morale ou de conscience préexistante, et le Roi catholique, le roi de droit divin, le roi qui à le plus grand intérêt à ce que le nombre des sujets catholiques augmenteil va avoir soin de dire: Je respecterai cette obligation morale, je respecterai la volonté des fondateurs, je m’en charge.

Mais, messieurs, dans l’histoire, lorsqu’un souverain confisque des biens, c’est une ajoute qu’il fait toujours: C’est ainsi que j’ai eu la curiosité de rechercher la loi du 2 novembre 1789 par laquelle la Révolution Française à nationalisé tous les biens ecclésiastiques. En les confisquantelle à eu soin de dire (jeprends le texte même de la loi):

Tous les biens ecclésiastiques sont à la disposition de la nation, à la charge de pour voir de manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres.

En bien, je vous le demande, est-ce qu’avec ce billet-là on pourrait s’adresser à un Tribunal et demander que l’Etat soit condamné à payer les ministres du culte, à soulager les pauvres et à entre-tenir les églises? [Page 641] Evidemment non; pourquoi? Parce que ce n’est pas un contrat, parce que ce n’est pas un acte donnant naissance à un droit civil: c’est une loi, c’est un acte souverain, c’est un acte due pouvoir législatif, c’est un acte qui va donnor naissance à des obligations pour les sujets mais non pas à des droits civils à leur profit. Par conséquent, si dans le decret de Charles III il y à l’expression d’une volonte royaté, c’est une intention, c’est la volonté souveraine qu’il fait connaître, mais il dépend de lui de la realiser, c’est un acte souverain dont il est par consequent souverain juge tant au point de vue de sa promulgation que de son exécution.

Voilà, messieurs, le caractere juridique de ce decret. Ce que le Roi fait là c’est l’énoncé d’une intention, d’une volonté respectable qui correspondait à une obligation morale comme elle correspondait à un intérêt bien compris. Il devait souhaiter que les Missions de Californie fussent maintenues; c’est si vrai que lorsque 50 ans plus tard le Gouvernement méconnaîtra ses obligations morales, la Californie ne sera pas loin de lui échapper; l’événement l’a prouvé.

Je continue. En 1769, l’administration due Fonds Pieux fut confiée par le Roi à des commissaires la’iques. C’était une nécéssite. Le Roi confisque les biens des Jésuites, il faut bien qu’il les fasse administrer; il va les faire administrer par des commissiares royaux, et il va confier le produit de ce Fonds aux Franciscains, c’est-à-dire qu’il va décider quels sont ceux qu’il va choisir pour êtré ses délegués et pour accomplir l’œuvre primitive des missions, c’est-à-dire la conquêté spirituelle et temporelle de la Californie. Il va s’adresser aux Franciscains; les Franciscains vont s’y installer en 1769. Le Roi leur dit qu’il leur donnera 400 piastres par tête, c’est-à-dire que chaque père Franciscain recevra pour son entretien et celui de sa mission 400 piastres; puis il lui donnera, quand il le trouvera boh, un supplément de 1,000 piastres pour les distributions qui seront faites en vêtements, nourriture, etc., aux habitants des missions.

En 1772, les Dominicains ont, eux aussi, voulu s’installer en Californie, ils trouvaient que c’était uneceuvre qui méritait leur attention; ils prenaient aussi en considération les émoluments royaux qui étaient attachés à la tâche; c’est ainsi que les Dominicains vinrent—si je puis me servir d’une expression’ dont je m’excuse—faire une concurrence pour la bonne cause aux Franciscains en Californie.

Alors on à décidé de faire un partage. Qui est-ce qui va faire le partage? C’est le Roi, c’est le Gouvernement; le Gouvernement va dire: les Franciscains iront dans le Nord et les Dominicains dans le Sud; c’est-à-dire qu’aux Dominicains on va confier les Missions de la Basse Californie, et aux Franciscains celles qu’ils voudront constituer dans la Haute Californie. Ce partage fut réalisé par un décret du 30 avril 1772.

Je dois ici ouvrir une parenthèse pour exposer un autre fait assez caractéristique qui a eu son dénouement en 1783. Il s’agit d’un procès auquel avait donné lieu la succession Arguelles. Je vous ai dit que le Fonds Pie avait été constitué par des donations diverses, notamment par la donation considérable du marquis de Villapuente, et aussi par une donation de la Doña Josepha de Arguelles. Cette personne fort désireuse d’avantager les Jésuites était décidée à leur donner tout ce qu’elle avait. Elle avait disposé que les Jésuites auraient un quart de sa fortune pour leurs colléges, leurs pensionnats, leurs établissements [Page 642] d’instruction, et que les trois autres quarts, done le reste de sa fortune, seraient donnés aux Jésuites moitié pour les Missions de Californie et moitié pour les Missions des Philippines. Seulement, messieurs, il se fait que ce procès traîne beaucoup: il n’y avait pas encore la procédure des Tribunaux internationaux d’arbitrage et les procès de ce temps-la, comme certains procès de nos jours, duraient longtemps; de telle Jacon que le procès n’était pas fini lorsque les Jésuites ont été expulsés. Le procès à continué et les héritiers ont dit: Puisque notre auteur à donné aux Jésuites et que ceux-ci n’existent plus, qu’ils ont été chassés par le Roi, que leur Ordre à été supprimé par le pape, eh bien, le testament est nul et par conséquent la fortune est pour nous.

Alors, messieurs, la Cour des Intestats, en suite d’une décision du Conseil royal des Indes, à décidé par une sentence reproduite à la page 456 du volume rouge, du 4 juin 1783, ceci; elle à dit: en ce qui concerne le quart de la fortune, qui avait été légué aux Jésuites en vue de leurs collèges, la disposition n’est pas valable, ce quart sera pour la famille, parce que les colleges des Jésuites n’existent plus, parce que dans tous les cas il n’y a plus de personnalité capable de recevoir; cette donation est nulle, et par conséquent c’est l’héritier légal, e’est-adire le plus proche parent, dit la sentence, qui va recevoir ce quart. Il est à remarquer que nul ne songe à revendiquer pour l’Eglise ce legs fait au profit des Jésuites expulsés et devenu exclu. Quant aux trois autres quarts—ceci est intéressant parce que cela va peut-être faire la chose jugée—le Conseil des Indes va décider que ces trois quarts qui avaient été donnés de par la volonté de la donatrice aux Jésuites, vont être mis “à la disposition de Sa Majesté, à laquelle la succession appartenait originellement.”—je lis les propres termes de la sentence.

Voici done qu’dà une époque où l’on pouvait apprécier mieux qu’aujourd’hui quelle avait été la vonlonté des donateurs, notamment par les circonstances ambiantes, on décide—et c’est le Conseil royal des Indes qui décide après une longue procédure—que ces biens qui avaient été destinés aux Missions de Californie et des Philippines seraient à la disposition de Sa Majesté, à laquelle la succession appartenait originellement.

Et qui plus est:

Il est finalement ordonné, dit l’arrêt, que la copie en double des délibérations, e’est-à-dire de la procédure, soit soumise à Sa Majesté afin qu’Elle puisse signifier son souverain plaisir quant à la direction, subsistance et sécurité des fonds voués à l’œuvre des missions pieuses.

Voici done que le 4 juin 1783 la question qui s’agite aujourd’hui devant vous était jugée; il etait jugé que les biens destinés aux Missions, devaient après la disparition des Missions et des Jésuites être à la disposition du Roi pour qu’il en use suivant son souverain plaisir.

Je continue. Nous arrivons ainsi à la fin du 18e siècle et au commencement du 19e. Nous avons terminé l’étude de la période de prospérité et de grandeur des missions, de leur période de succès, de la période pendant laquelle le Roi peut dire qu’en Californie son peuple lui est attaché. Mais alors va commencer une période trouble; c’est le moment où le Mexique estime qu’il peut se passer de l’infcervention de la métropole. A ce moment commencent des ferments de trouble, des ferments d’agitation dans le Mexique. De là les préoccupations du Roi, non pas seulement au sujet du Mexique et de la Californie, mais de toute cette contrée; constamment il est obligé d’envoyer des expéditions militaires pour maintenir en respect ses sujets en révolte. [Page 643] Cela coûte de l’argent, et déjà alors il semble que les menses des Franciscains n’étaient plus régulièrement payées. Nous voyons dans les ouvrages de l’époque que l’on se plaint, que les Franciscains en arrivent bientôt à devoir abandonner certaines missions. Les concours qu’ils demandent ne leur sont plus donnés, et nous arrivons ainsi, messieurs, à la période de l’indépendance mexicaine, qui date de 1827. C’est l’époque où le Mexique va se substituer au Roi d’Espagne.

Il y avait là un fonds constitué par des mexicains, composé de biens mexicains; ce fonds va passer au nouvel Etat, c’est-à-dire à l’Etat nouvellement constitué, à l’Etat indépendant du Mexique, qui va se substituer au Roi d’Espagne.

Immediatement l’Etat mexicain va avoir, lui aussi, à prendre des mesures pour l’administration de ce Fonds. Est-ce qu’il va dire: ce sont des biens d’Eglise, je vais les remettre à l’Eglise? Non. Il va prendre une loi du 25 mai 1832, loi qui est pubilée avec le concours de nos honorables contradicteurs dans la petite brochure jaune que vous possédez—c’est la première des lois publiées. Dans cette loi le Gouvernement du Mexique va affirmer sa volonté souveraine comme le Roi d’Espagne l’avait affirmée précédemment. Dans cette loi presque à chaque article, il est question du droit exclusif du Gouvernement; le Gouvernement crée un bureau chargé d’administrer les propriétés et composé de trois personnes.

Mes honorables contradicteurs triomphent parce que parmi ces trois personnes il y à un ecclésiastique. Mais enfin est-ce parce qu’un administrateur sur trois porte soutane que le Gouvernement perd ses droits?

Le Gouvernement affirme son droit dans chaque article. A l’article 8 il dit que ce bureau sera composé de trois personnes “nominées par le Gouvernement.” A l’article 10 il est dit que c’est au nom du Gouvernement que des sommes pourront être envoyees en Californie. Le bureau est chargé de “proposer au Gouvernement” l’envoi de telle ou telle somme en Californie, mais c’est toujours le Gouvernement qui depose comme c’est à lui de dire dans quelles conditions les biens pourront être loués, adjugés, vendus. Tout cela se fait publiquement, suivant les régles applicable aux biens de l’Etat.

Ainsi que je vous le disais, il est arrivé au Gouvernement de ne pas toujours se préoccuper suffisamment des Missions. Il les a laissés péricliter. C’etait un tort; ces Missions ont été ainsi abandonées; des ferments de discorde se sont développés, et au bout de peu de temps la Californie à été détachée du Mexique en fait avant d’en être détachée en droit.

Done, le roi d’Espagne avait eu tort, et le Mexique à eu tort, mais le roi d’Espagne et le Mexique ont fait ce qu’ils avaient incontestablement le droit de faire; s’ils ont mal administré, c’était leur droit; s’ils ont dans l’exercice de leur pouvoir souverain commis des fantes, je dirai que c’était leur droit de commettre des fautes. Est-ce que l’Etat agissait là comme Gouvernement ou comme particulier? je vous le demande. Est-ce que la question se pose? Est-ce que c’était la personne publique qui agissait ou la personne civile de l’Etat? Est-ce que la question a besoin d’une réponse? Il est bien certain que ce sont la tous actes souverains; ce sont des lois, des décrets, est-ce que cela ne suffit pas à résoudre la question? Le Roi agissait comme il l’entendait; il agissait mal, il commettait une faute qui était une faute politique, mais qui ne pouvait donner naissance à une demande de dommages intérêts.

[Page 644]

Lorsque le Gouvernement administrait mal la Californie, envoyait trop peu de fonds, s’en préoccupait trop peu, lorsqu’il avait toute sa préoccupation attirée d’un autre côté et affectait toutes les ressources dont il pouvait disposer à an autre point de son territoire—il pouvait avoir tort—mais est-ce que, si je puis employer cette expression, l’article 1382 pouvait être invoqué, et peut-il être question de dommages-intérêts? Non, en droit, juridiquement, ce n’est pas sérieusement discutable.

Mais, le 18 aoôt 1833 et le 16 avril 1834, le Gouvernement mexican à pris des arrêtés de sécularisation. Il avait installé luimême les Fransciscains en Californie, et voici qu’il prend des arrêtés par lesquels il sécularise, il supprime les Franciscains; il leur permet de subsister, mais comme curés intérimaires, c’est-à-dire que ce ne sont plus religieux qui seront là, non, ce seront des curés, le Gouvernement ne connaît plus de religieux. C’est ce qui résulte des deux décrets que je viens de citer.

Alors, messieurs, il y eût une très mauvaise organisation, parce qu’il n’y avait plus de chef, plus de direction, il n’y avait plus d’unité de vues. C’était une faute politique dont le Gouvernment n’a pas tardé à se rendre compte, et aussitôt nous voyons poindre l’intervention politique des Etats-Unis dans la Californie; comme toujours—c’est l’histoire de tous les peuples—quand il y à un territoire troublé, bouleversé, un voisin plus puissant intervient et profite de son intervention pour faire ceuvre de conqueté. C’est ce qu’ont fait les Etats-Unis.

Alors le Gouvernement mexican comprit sa faute etvoulut créer un chef. Ce chef, il le choisit parmi les anciens missionnaires, parmi les anciens Franciscains, c’est Don Garcia Diego; il le désigne comme évêque: puisque les Franciscains étaient devenus curés, leur chef devait étre un évêque.

C’est ainsi que le Gouvernement en est arrivé le 19 septembre 1836 à prendre un arrêté par lequel il prépara la création d’un évêche; il sollicita l’intervention du pape pour la constitution de cet évêche; et nous voyons dans le susdit décret préparatoire que l’on va décider de confier à cet évêque nouveau l’administration du Fonds Pie, du fonds des Missions, et cette mesure sera justifiée par la nécessité de la défense dela Californie centre les Etats-Unis.

Telle est la raison du décret du 19 septembre 1836. Ce décret, vous le connaissez, on en a suffisamment parlé, mais nous y reviendrons lorsque nous examinerons le titre des demandeurs.

L’article 6 est intéressant parce qu’il décide aue les biens du Fonds Pieux seront mis à la disposition de nouvel évêque pour être administrés et appliqués à certains objets—nous reviendrons sur ces mots, je les indique maintenant parce que je fais l’exposé:

Ces biens seront mis à la disposition pour être administrés.

J’anticipe peut-être, mais je me souviens que dans les décrets de la Révolution Française, lorsque le Gouvernement confisqua tous les biens ecclésiastiques, tousles biens des églises, il à agi à peu près ainsi; il s’est trouvé embarrassé par les cathédrales, les métropoles, les églises qu’il avait prises et dont il ne pouvait guère tier un revenu utile; alors il les à mises “à la disposition des évêques” cela se trouve dans les décrets. Jamais cependant on n’a considéré que les évêques en fussent propriétaires, et la jurisprudence unanime décide que ce sont les villes, les communes, qui sont propriétaires des cathédrales, des églises, etc. Cependant le même mot se trouvait dans le Concordat du 26 Messidor an IX.

[Page 645]

Voici done, messieurs, que l’évêjue va être nommé en suite du décret du 19 septembre 1836. Dans l’esprit du Gouvernement, c’est un fonctionnaire à qui Pon va donner un traitement de 6,000 piastres. L’article ler le dit: “Il aura un traitement annuel de 6,000 piastres.” Puis à l’article 5 il est dit qu’on lui donnera 3,000 dollars pour payer les frais d’expédition des bulles—et de déménagement je pense—Voilà ce qui lui est alloué.

Plus tard nous aurons à examiner les conséquences juridiques que mes honorables contradicteurs déduisent de ce décret. Ils vont dire qu’ils puisent dans ce décret un droit de créance, que par ce décret du 19 septembre 1836 le Gouvernement mexicain en mettant les biens du Fonds Pie à la disposition de l’évêue pour être administrés, ne substituait pas un nouveau “manager” aux commissions créées par la loi du 23 mai 1832, mais se dépouillait de ses droits de propriété au profit de l’évêque.

Nous répondrons plus tard; nous dirons notamment: Vous oubliez que c’est un décret, que c’est une loi, que c’est un acte du pouvoir souverain, et que ce n’est pas un titre de reconnaissance civile, que ce n’est pas un transf ert de propriété. Nous discuterons cela.

Done, messieurs, le 19 septembre 1836 le Gouvernment confie l’administration des biens du Fonds Pie à l’évêque. Mais, il y a probablement dans l’histoire du Mexique ce que nous retrouvons dans l’histoire d’autres peuples, une balance des partis: peut-être y avait-il là des conflits entre cléricaux et libéraux; je ne connais pas assez l’histoire du Mexique pour préciser; mais je sais qu’un décret du 8 février 1842 va reprendre à l’évêque l’administration qu’on lui avait confiée en 1836. Son pouvoir à été éphémère car il n’a été en réalité nommé qu’en 1840, et déjà au commencement de 1842 le Gouvernement lui reprend le pouvoir d’administration qu’il lui avait confié.

Nous aurons à dire plus tard: Mais quoi! vous prétendez que le 19 septembre 1836 le Gouvernement mexicain à transféré un droit privatif, un droit de propriété, un droit de créance, un droit civil à l’évêque? mais alors, s’il le lui reprend, il doit l’exproprier; si le droit est entré dans le dominium de l’évêque et est devenu son patrimoine à quelque titre que ce soit, et si on le lui reprend c’est une expropriation, parce que donner et retenir ne vaut.

Mais, messieurs, le Gouvernement mexicain ne croit pas qu’il en soit ainsi; il reprend tout simplement par un acte du pouvoir souverain du 8 février 1842 ce qu’il avait concédé par un autre acte du pouvoir souverain le 19 septembre 1836. Ce qui est un acte du pouvoir souverain n’est jamais perpétuel; en matière politique surtout rien n’est éternel; par conséquent, une autre administration succédant à la précédente, on à supprimé, on a rapporté, suivant l’expression textuelle, le décret du 19 septembre 1836. L’Etat à repris l’administration des biens, il à dit: Je m’en chargerai moi-même, j’emploierai mieux moi-même les fonds au but pour lequel ils étaient destinés, je ferai cela plus directement moi-même. Alors, par un décret du 24 octobre 1842 le Gouvernement cette fois voulant en finir, a nationalisé le bien, il l’a incorporé au Trésor national et il à dit qu’il en paierait un intérêt de 6 pet., ou plutôt qu’il affecterait un intérêt de 6 pet. “aux objets de bienfaisance et nationaux” qui avaient été visés par les donateurs.

Nous aurons à examiner—j’indique la question, je ne la résous pas—si ce décret du 24 octobre 1842, qui est tout spécialement invoqué par les demandeurs, conférait à quelqu’un un droit civil, si, quand le [Page 646] Gouvernement disait: “j’affecterai 6 pet.,” il y avait quelqu’um qui etait institué comme ayant droit à ces 6 pct., si en d’autres termes le Gouvernement, quand il signait ce décret, s’était enlevé un droit pour le donner à un autre, et nous nous demanderons quel était cet autre. Ce n’était pas l’évêque, puisque précisément ce décret avait pour eflet de lui enlever ce qu’il lui avait donné en 1836; ce n’était pas l’Eglise; ce n’étaient pas les Indiens; nous examinerons cela, et nous dirons qu’il n’y avait pas de créancier constitué à charge de l’Etat par ce décret de 1842.

Vous verrez alors que les faits vont se compliquer et ce précipiter jnsqu’en 1848. C’est une époque de fièvre, d’agitation au Mexique; cette question des Calif ornies à beaucoup préoccupé les Gouvernements, cette succession de dérets le prouve. Un représentant de l’évêque, Don Ramirez, avait été chargé d’administrer les biens à Mexico. Ces biens étaient situés à Mexico, l’évêque devait aller en Californie, il n’y avait pas alors les facilités de communication d’aujourd’hui; de telfe sorte que l’évêque ne pouvait pas à la fois administrer les Missions, faire son apostolat, et en même temps administrer les biens de Mexico; il devait avoir un représentant à Mexico: ce fut Don Ramirez.

Don Ramirez était devenu âgé; il était assisté d’un avocat, Don Miguel; quand ilsvirent que le Gouvernement le 8 février 1842 reprenait à l’évêque l’administration due Fonds Pie, que le 21 octobre 1842 il nationalsait le Fonds Pie, l’incorporait au Trésor, Don Ramirez et Don Miguel son conseil dirent au Gouvernement mexicain: Faites attention, l’œuvre que vous accomplisez est une œuvre néfaste parce qu’elle consomme la ruine des missions.

A cette époque, messieurs, il faut bien le reconnaître, les envois de fonds qui étaient faits aux anciens Franciscans devenaient de plus en plus rares; le Gouvernement, ou plutôt les Gouvernements successifs avaient d’autres préoccupations. En 1845, dans un document important, l’avocat de l’évêque va prendre la parole et va demander compte au Gouvernement de ses actes; il va lui signaler le danger de son attitude, de l’abandon des Missions, dans le document mémorable qui est reproduit dans le volume rouge à la page 385 (Mémoire de M. Aspiroz, N°. 77 et annexe N°. 25) et nous allons voir pour la première fois ce que pense l’évêque. Il s’agit due décret de 1836 qui à donné à l’évêque l’administration du Fonds Pie, du décret du 8 février 1842 qui lui a enlevé cette administration et du décret de 24 octobre 1842; et lévêque par l’organe de celui qui est attitré pour parler en son nom va dire ceci:

Ni le prélat de de Californie ni ses agents de fait n’ont prétendu ni même rêvé de prétendre à la propriété du fonds pour le révérend évêque ou pour la mître. . . . . Le révérend évêque n’a formulé et ne formule aueune prétention semblable. Les biens qu’une loi du régime république à placés entre ses mains lui ont été arrachés, il à éléve la voix vers le Congrès le priant de mesurer la justice de cet acte et ses conséquences; il à placé devant lui les documents et les contrats qui démontrent et l’origine et la destination du Fonds. Si dès lors le Congrés décide que le Département à bien agi et que le Fonds est propriété nationale, les devoirs du révérend évêque auront été accomplis. Le représentant de l’évêque ne se con sidérait pas plus comme le proprétaire du Fonds que le député ne l’est de son département.

Nous avons là, messieurs, un témoignage important, le témoignage de l’évêque ou de son représentant. On lui à arraché les biens, il va dire ce qu’il pense, il va protester, et il va bien marquer la nuance, il va dire: je proteste parce que c’est une faute politique énorme, parce [Page 647] que si vous ne vous préoccupez pas des Missions, je ne réponds pas de la Californie.

Don Miguel aurait rajson: ce fut une faute; mais il le dit respectueusement, condamnant d’avance la thèse qui est présentée ici: je ne prétends pas à une propriété qui n’appartient pas à la mître, je ne suis pas plus propriétaire qu’un députe ne l’est de son département, je ne suis la qu’un fonctionnaire. C’est-à-dire qu’il caractérise la situation juridique de l’évêque, son mandant; par conséquent, il y a une autorité incontestable qui s’attache à ce document.

(La séance est levée à 5 heures et le Tribunal s’ajourne au lendemain ê 10 heures du matin.)