quatorziéme séance.

Le Tribunal s’est réuni à 10 heures du matin; tous les Arbitres étant presénts.

M. le Président. La parole est à M. l’agent des Etats-Unis du Mexique pour la continuation de son discours.

m. emilio pakdo (continuant son discours).

53.
Les evéquês de Californie avaient à leur disposition les tribunaux mexicains auxquels ils pouvaient présenter leur demande contre le Gouvernement de la République. Répétons gu’une des dispositions de l’art. 97 de la Constitution du Mexique, a précisément pour but de déterminer la competence du tribunal appeié à connaître des demandes d’étrangers ou de nationaux contre la Nation. Jamais les évêques de Californie ne formulèrent de demandes devant le juge compétent pour en connaître. Ils ne l’adressèrent jamais directement au Gouvernement du Mexique. Ills formulèrent leur première réclamation devant la Commission Mixte de Washington et se jugeant avec des droits à en éiever d’autres, eurent recours à la voie diplomatique si peu justifiée en ce [Page 754] cas, car nul ne pouvait se plaindre de déni de justice ni de retard injustifiable à l’administrer.
54.
Les réclamants laissèrent done volontairement s’écouler le temps nécessaire à la prescription négative et c’est en vain qu’aujourd’hui ils prétendent n’avoir aucune faute à se reprocher; car le seule qui suffise devant la loi à motiver la prescription: le non exercice de l’action leur est imputable. Si la République Mexicaine avait édicté une loi de prescription spéciale au sujet de la réclamation du Fonds Pie, la partie adverse pourrait dire qu’un acte du débiteur est insuffisant pour que son obligation soit éteinte, mais il faut faire remarquer qu’il s’agit de la loi applicable à toutes les réclamations juridiques qui doivent avoir leurs effets au Mexique.
55.
Cette loi fait partie du Code civil du Mexique et elle établit la prescription négative à laquelle on a recours pour se soustraire à une réclamation dont l’injustice a été démontrée à d’autres égards. Cette loi est obligatoire pour pous Mexicains et étrangers touchant les relations juridiques formees au Mexique et que doivent y recevoir une réalisation pratique. Voilà pourquoi les évêques de Californie, qui ont laissé s’écouler un temps suffisant pour que leur action tombe sous le coup de la prescription, n’ont qu’a se soumettre aux conséquences de leur omission, parmi lesquelles est l’extinction des obligations qu’ils mettent à la charge du Mexique pour des responsabilites relatives au Fonds de Californie.
VI. 56.
D’un seul coup de plume, les réclamants voudraient rayer de la défense Mexicaine toutes les exceptions subsidiaries et qui se fondent sur les dispositions des lois expédiées le 22 juin 1855 et le 6 septembre 1894. Grâce à ces lois la République Mexicaine a pu liquider sa dette intérieure, et extérieure, reconnaître ses obligations, les épurer, et en un mot rétablir son crédit et prendre une place honorable parmi les pays respectés pour leur exactitude et leur fidélité dans l’accomplissement de leurs engagements.
57.
La première de ces lois invitait tous ceux qui, nationaux ou étrangers, se regardaient comme créanciers du Gouvernement Mexicain, à faire la preuve de leurs créances qui des lors, seraient liquidées ou converties en titres réguliers donnant droit à toucher un interêt périodique. Ces dispositions n’avaient pas un caractère obligatoire, mais le créancier qui refusait de s’y soumettre ne pouvait prétendre être plus favorisé que ceux qui se rendirent à l’appel de la loi. Il devait done se résigner à ce que le réglement de sa créance fût différé ou ajourné.
58.
Le système de la loi de 1885 ne produisit pas un résultat aussi complet qu’on espérait. Un grand nombre de créanciers du Mexique, placés dans l’alternative de se soumettre à la loi ou de s’y soustraire, prirent ce dernier parti, et le résultat fatal fut que malgré les efforts du Gouvernement Mexicain pour régulariser la dette nationale, en établir le montant, et la payer, ces intentions furent irréalisables tant qu’on n’obligea pas les créanciers à présenter leurs créances.
59.
Mais il ne suffisait pas de déclarer que tous les créanciers du Mexique étaient obligés de présenter leurs créances au bureau établi à cet effet, il fallait encore sanctionner efficacement l’accomplissement de ce devoir. Ceéée sanction fut creee par la loi du 6 septembre 1894. Elle disposait que les créanciers qui laisseraient passer les délais fixés pour présenter, liquider et convertir leurs créances sans remplir ces formalités, perdraient tout droit à présenter des réclamations ultérieures, lesquelles seraient prescrites pour toujours.
60.
Cette loi produisit un résultat surprenant. La République se trouva en état de connaître ses responsabilités et le chiffre auquel elles s’élevaient; elle les reconnut, les liquida, délivra les titres respectifs à un intértêt assez rémunérateur, et qui sont acceptés sur presque tous les marchés importants de l’Europe et de l’Amérique.
61.
Tous les créanciers du Mexique accoururent à son appel, et il faut remarquer que parmi ces créanciers étaient tous ceux dont les créances avaient été reconnues par des accords internationaux dans lesquels le Gouvernement du Mexique s’était engagé à payer sa dette sous une forme déterminée ou en donnant telle ou telle garantie. Au nombre de ces créanciers figuraient les porteurs d’obligations provenant de la convention célèbre du Père Moran et par laquelle le Mexique fit une transaction avec le Gouvernement Espagnol et s’engagea à payer une certaine somme pour désintéresser les missions des Philippines.
62.
Messieurs les évêques de la Haute Californie ne se crurent pas obligés de se soumettre à la loi. Ils crurent avoir toujours à leur portée le moyen d’obtenir la préférence sur les Mexicains et sur les étrangers qui s’étaient rendus à l’appel honorable du Gouvernement Mexicain, et ils attendirent que l’intervention diplomatique leur assurát une situation unique et privilégiée, dans laquelle n’est placé aucun créancier du Mexique.
63.
Comment expliquer cette attitude? Sur quoi se fonde cette prétention irritante de se soustraire à une loi obéie par tous? D’abord sur ce que la question discutée est simplement de savoir si la réclamation est juste ou non, et que pour cette appréciation il est inutile de tenir compte de la loi qui déclara prescrites et caduques les créances non présentées à la conversion dans les délais fixés à cette fin. Ensuite qu’un acte du débiteur ne peut seul produire l’extinction de la dette.
64.
Quant au premier point, il me semble oiseux de répéter qu’un esprit clair et impartial ne pourra jamais admettre que le Gouvernement du Mexique en signant le protocole du 22 mai dernier renonça à opposer toutes les dépenses qu’il avait à faire valoir contre la demande de l’Eglise Catholique de Californie.
65.
Quant au second point, on voit aisément, qu’au moyen d’un procédé de généralisation assez facile, on veut appliquer à un Etat souverain un principe qui ne pourrait être invoqué que contre des particuliers. D’après les principes généraux du droit, des actes exclusifs du débiteur ne peuvent en rien modifier l’obligation à sa charge, mais lorsqu’il s’agit d’un Etat, dans l’exercise de sa souveraineté, ces principes perdent de leur inflexibilité, à cause des exigences d’un ordre supérieur. Parfois l’existence même de la nation, sa sécurité intérieure, la défense de ses institutions fondamentales imposent des dispositions, qui, de la part d’un individu seraient impossibles. Rien de plus facile que de citer des exemples à l’appui des observations précédentes; mais afin de ne pas donner à ce travail une extension immodérée, je me bornerai à faire remarquer que la faculté souveraine que le Gouvernement Mexicain exerça en donnant la loi du 6 septembre 1894 n’est pas soumise à l’appréciation du Tribunal, et j’ajouterai que lorsqu’un Etatindépendant contracte en sa qualité de personne juridique, une rdsponsabilité capable de l’obliger, il ne perd pas pour cela sa condition de Souverain investi de la faculté de légiférer sur toutes les questions de droit intérieur.
66.
Il est certain que la loi du 6 septembre 1894 est postérieure à la date à laquelle, pour la première fois après le verdict de la Commission [Page 756] Mixte, Messieurs les Evêques de Californie intentèrent une nouvelle réclamation au sujet des intérêts du Fonds Pie, par la voie du Département d’Etat des Etats-Unis et de leur Ministre au Mexique. Mais tous les créanciers du Mexique, invités à faire valoir leurs droits, se trouvaient dans la même situation, c’est-à-dire que tous étaient en possession de droits acquis, ou supposés acquis, antérieurement au 6 septembre 1894. D’ailleurs, de sa nature même, cette loi ne pouvait se rapporter qu’aux créances en existence, et non à celles de l’avenir, les premières étant seules susceptibles de liquidation et de conversion.
67.
En somme, c’est par suite d’un acte, ou pour mieux dire d’une omission que les réclamants se trouvent placés dans la situation d’où dérive l’exception qui a été opposée à leur demande. En obéissant à l’appel de la loi, en agissant comme agirent tous les autres créanciers du Mexique, ils auraient eu l’occasion de faire valoir leurs droits, lis préférèrent volontairement s’en abstenir, aspirant à une situation exceptionnelle et privilégiée—prétention dont la raison et le fondement nous échappent—ils doivent subir aujourd’hui les conséquences. C’est done un de leurs actes propres, un acte du prétendu créancier, qui a déterminé l’extinction définitive des droits qu’il eroyait avoir.
VII. 68.
Je ne saurais trouver une occasion plus opportune d’appeler l’attention sur les dispositions légales du Mexique établissant l’incapacité radicale de l’Eglise Catholique de la Haute Californie comme corporation religieuse, à exercer les droits qu’elle prétend faire valoir contre le Mexique et sur des biens situés au Mexique.
69.
La personnalité civile que l’Eglise Catholique de la Haute Californie peut avoir dans cet Etat de l’Union Américaine, peut lui servir aux Etats-Unis et par rapport à des biens situés dans le territoire américain. Mais par rapport à des biens immobiliers—et le censo constitué par la loi mexicaine du 24 octobre 1842, avec l’hypothèque de la Rente du tabac, est un bien immobilier—cette capacité, dis-je, selon les règles du Droit international privé, est régle par les lois du Mexique. Or, ces lois ne reconnaissent pas a l’Eglise Catholique de la Haute Californie la personnalité nécessaire à posséder et à administrer des biens immobiliers au Mexique. La loi suprême du Mexique, sa constitution politique, art. 27, établit l’incapacité civile des associations religieuses à posséder et à administrer des biens immobiliers ou des capitaux qui y seraient placés.
70.
Dans quelques Etats de l’Union américaine il est interdit par exemple, que les associations religieuses possèdent ou acquièrent dans le territoire de ces Etats, des propriétés pour une valeur supérieure à un chiffre donné et la législation de quelques autres Nations a cru devoir imposer des restrictions semblables pour empêcher l’accaparement de la propriété immobilière par la main morte. Ces restrictions font partie du droit public de ces Nations. Qui done pourra raisonnablement prétendre que ce droit public perde sa valeur, lorsque c’est une corporation religieuse étrangère qui aspire à se créer une situation privilégiée et exceptionnelle? On ne pourrait le croire, car une telle prétention impliquerait la méconnaissance de la souveraineté. Le Mexique réclame maintenant l’application de ces principes, et invoque, outre sa Constitution politique, les dispositions de deux lois organiques, qui refusent à toute association religieuse, quelle que soit sa croyance et quelle que soit sa dénomination, la capacité civile pour posséder et pour administrer des biens immobiliers ou des droits réels au Mexique, et pour exiger éxecution d’obligations d’accomplissement [Page 757] futur. Je me réfère aux dispositions de la loi du 14 décembre 1874, dont le texte a été présenté au Tribunal, et en particulier aux articles 14, 15 et 16 dont nous avons présenté la traduction en français. En présence de ces textes il est impossible de reconnaître à l’Eglise Catholique de la Haute Californie une personnalité civile lui permettant de présenter la réclamation actuelle.
VIII. 71.
Dans l’exercice de sa souverameté, la République Mexicaine décréta le 12 juillet 1859 la loi de nationalisation des biens ecclésiastiques. Nous n’avons pas à considérer si cette loi fut juste ou non, au point de vue du droit abstrait ou du droit canon. C’est une loi édictée par un pouvoir souverain, et par là, c’est une loi obligatoire. Du reste, des lois semblables ont été promulguées dans presque toutes les nations des deux continents, pour obéir a des raisons d’ordre public, que ce n’est pas le moment d’examiner ici.
72.
Par l’œuvre de cette loi de nationalisation, toutes les associations religieuses qui possédaient des biens immobiliers ou des droits réels—également biens immobiliers—en furent irrévocablement privées. Les effets de cette loi atteignirent-ils des associations religieuses étrangères? Nous le soutenons. Nos adversaires prétendent que non, et ils basent leur dénégation sur ce que lors de l’annexion de la Haute Californie aux Etats-Unis, le Mexique était lié par l’engagement de payer un certain intérét, calculé sur le montant des biens du Fonds Pie, aux évêques du territoire annexé. Dans la suite du temps, l’Eglise Catholique de la Haute Californie obtint, dit-on, la qualité de corporation Américaine et elle fut par là soustraite à l’atteinte des lois que le Mexique édictait au sujet de l’Eglise Catholique mexicaine, car autrement ce serait donner un effet extraterritorial à ces lois. L’Eglise de Californie à l’époque de la cession de ce territoire, ajoute-t-on, avait une existence légale d’après le droit international. Elle conserva cette existence, et les lois mexicaines édictées plus tard, sont impuissantes à la lui enlever.
M. Emilio Pardo. Ce passage de ma plaidoirie se rapporte à la loi qui nationalisa les biens eeclésiastiques. Cette loi, d’accord avec la Constitution de 1857, ordonna que tous les biens possédés par les corporations religieuses seraient nationalisés, c’est-à-dire qu’on dédara l’incorporation définitive de tous les biens de mainmorte dans le Trésor national. Evidemment cette loi se constituait avec l’hypothèque de la rente du tabac, puisque cette hypothèque étant de droit réel était comprise notamment dans les dispositions de la loi qui a été déposée devant la Cour. Cette loi met le Gouvernement—même en admettant l’existence de la créance qui est rédamée par Messieurs les évêques de la Haute Californie—dans l’impossibilité absolue de se soumettre à cette réclamation. Aucune corporation religieuse d’aucune confession n’est capable, non seulement de comparaître avec la qualité civile nécessaire pour faire une réclamation, mais de réclamer des biens en meubles ou des droits réels. Toutes les corporations religieuses mexicaines et étrangères ont dû se soumettre à ces dispositions. On peut done bien dire en ce qui concerne la réponse de l’agent des Etats-Unis à la réponse de M. Mariscal que le Mexique a bien le droit de légiférer sur les corporations religieuses établies dans son territoire, mais qu’une corporation religieuse comme l’Eglise Catholique de la Haute Californie ne peut pas être obligée de se soumettre à une loi qui a été édictée pour les corporations religieuses établies au Mexique.
C’est, messieurs, l’oceasion de rappeler le principe d’après lequel le Mexique, comme tout pays souverain, a le droit exclusif de légiférer sur des biens meubles ou des biens réels sur son territoire. La question de savoir si le propriétaire réel ou supposé de ces propriétés, de ces biens meubles ou droits réels est national ou étranger n’a aucune importance, parce que à ce point de vue la personnalité qu’une loi étrangère peut accorder à une corporation religieuse établie sur son territoire peut être suffisante pour les relations entre cette corporation et son Gouvernement, mais est tout à fait insuffisante pour établir les rapports légaux entre cette corporation et un Gouvernement étranger.
La situation actuelle au Mexique est qu’aucune corporation, non seulement ecclésiastique mais civile, d’une durée indéfinie, n’a le droit de posséder ou d’administrer des biens meubles ou des droits réels. Comment peut-on permettre à l’Eglise catholique de la Haute Californie, par le fait qu’elle est une corporation étrangère, d’enfreindre une loi qui fait partie du droit public du Mexique? La loi qui nationalisa les biens ecclésiastiques au Mexique, qui mit un terme aux abus, est une de nos lois fondamentales; on ne peut pas prétendre qu’une corporation étrangère religieuse, si respectable qu’elle soit, puisse avoir le droit de se soustraire aux dispositions de cette loi.
Vous avezeu peu-être, Messieurs les arbitres, l’oceasion de remarquer que, quoiqu’on ait fait certaines réserves sur le droit par lequel le Gouvernement Mexicain édicta la nationalisation des biens ecclésiastiques, des biens de mainmorte, il faut reconnaître que cette faculté de mon pays à décréter cette nationalisation n’est pas en cause; c’està-dire que le Tribunal n’a aucune compétence pour décider si cette loi est d’accord ou non avec les principes généraux. Le Mexique quand il décréta cette loi, a fait la même chose qu’ont faite presque tous les Gouvernements des pays civilisés; tous se sont crus obligés de mettre un terme aux abus de la mainmorte, au danger que présentait pour la rich esse publique cet accaparement de la propriété, et on ne peut pas reprocher au Mexique un fait quia été consommé, reproduit partout où la mainmorte a produit les effets fatals qu’elle produit nécessairement.
D’ailleurs, les corporations religieuses et le clergé au Mexique, pendant les révolutions qui ont agité mon pays fournissaient à la révolution, aux éléments perterbateurs des ressources et des armes pour combattre les autorités légitimes. Le Gouvernement de monpays se trouva dans l’obligation de désarmer ses ennemis et de priver e clergé et les corporations ecclésiastiques des éléments qu’ils employoient à maintenir l’agitation dans le pays et à soutenir une guerre qui nous ravageait et qui faisait l’esclandre du monde entier.
Mais, messieurs, c’est une digression qui n’a vraiment aucune opportunité dans le débat. Je me borne à faire remarquer qu’on ne peut pas reprocher au Mexique d’avoir édicté une loi qui a été édictée partout ailleurs pour la même raison: pour empêcher l’accaparement de la richesse mobilière par les biens de mainmorte.
Si la réclamation des évêques de la Haute Californie avait gain de cause dans ce procès ils se trouveraient au Mexique dans une situation tout à fait privilégiée, exceptionelle. Je crois done qu’on ne peut pas reprocher a mon Gouvernement d’avoir fait tous ses efforts pour éviter une situation qui serait la cause de je ne sais combien de perturbations et de difficultiés.
On a dit aussi, messieurs, que prétendre appliquer aux biens du Fonds Pie de la Haute Californie la loi qui nationalisa les biens appurtenant [Page 759] aux fondations ecclésiastiques ou civiles d’une’ durée perpétuelle ou indéfinie, équivaudrait à donner un effet extra territorial à cette même loi. Du moment, messieurs, que le Mexique prétend appliquer cette loi à une réclamation qui est dirigée contre lui et qui porte sur des biens établis au Mexique et se référant à un contrat qui a été fait au Mexique, on ne peut pas admettre cette objection qu’en’ tâchant d’appliquer la loi du 12 juillet 1859 il veut attribuer à cette loi un effet extra territorial.
73.
Le raisonnement qui précède, repose sur une confusion d’idées et sur un sophisme dont il est facile de découvrir le vice, parce que le précepte de l’art. 13 du code civil mexicain, d’après lequel les lois mexicaines seules sont applicables en tout ce qui concerne les biens immobiliers, fussent-ils possédés par des étrangers, n’est autre que l’application d’un principe de droit international privé, dont la démonstration déjà faite n’est pas à répétér devant ce Tribunal.
74.
Les lois mexicaines de nationalisation des biens ecclésiastiques, applicables à tousles biens de cette espèce existant au Mexique, loin de prétendre à une action extraterritoriale, sont d’un caractère strictement et rigoureusement territorial, puisqu’elles ont pour objet des propriétés situées sur le territoire national. Et ainsi, de même qu’une association religieuse mexicaine s’opposerait, avec raison, à ce que le Gouvernement du Mexique prétendît appliquer la loi de nationalisation des biens de la mainmorte à des propriétés situées à l’étranger, de même ce Gouvernement a le droit parfait d’exiger qu’une corporation religieuse étrangère se soumette aux lois Mexicaines en ce qui concerne les propriétés immobilieres, situées sur territoire mexicain.
75.
Le principe scientifique dominant dans la question, est celui-ci: Toute nation a le droit de légiférer sur les biens fonds situés dans son territoire, que les possesseurs de ces biens soient nationaux ou étrangers, car si on n’admettait pas ce principe, il en résulterait forcément cette application extraterritoriale dénoncée par nos honorables adversaires. La loi américaine, par exemple, met une limite à la capacité des corporations religieuses à acquérir des biens immobiliers au-delà d’une valeur atteignant un certain maximum, parce qu’on a jugé aux Etats-Unis que ce système est le plus propre à éviter l’acoaparement des biens fonds par la mainmorte. Que dirait le tribunal des Etats-Unis, devant lequel une congrégation religeuse étrangère viendrait maintenir la prétention que le statut limitant sa capacité à posséder des biens immobiliers, ne régit que les corporations américaines et non les étrangères? Il dirait avec raison que tâcher de rendre extensive la capacité illimitée d’une congrégation religeuse selon la loi de son pays, á des biens situés aux Etats-Unis, serait prétendre à l’application extra-territoriale de cette loi, et que quiconque possède des biens fonds sur le territoire américain, se soumet tacitement, mais nécessairement, en ce qui tient à ces biens, à la souveraineté américaine.
76.
Sous ce point de vue done, les réclamants aspirent à se placer dans une situation exceptionnelle et privilégiée. Aucune corporation religieuse, catholique, protestante ou de quelque autre dénomination, ne peut posséder au Mexique de biens immobiliers. Leur incapacité à cet égard est absolue, radicale, d’ordre public et cependant, l’Eglise Catholique de la Haute Californie, une corporation étrangère, pourrait se soustraire au Droit public en vigueur dans la République mexicaine? Enoncer seulement semblable prétention, c’est la condamner, comme un outrage à la souveraineté d’un Etat indépendant.
IX. 77.
De notre côté, il a été allégué qu’il n’y a plus d’Indiens idolâtres à christianiser dans la Haute Calif ornie et que, en supposant même inefficaces toutes les autres exceptions proposées, celle-ci suffirait au rejet de la réclamation, à quoi l’on répond que d’après la volonté des donateurs, même réalisée la prévision sur laquelle ce moyen de défense se fonde, les produits du Fonds devraient être employés pour les besoins des Indiens, et que cette supposition n’est pas exacte parce qu’il y a encore des Indiens non civilisés dans la Haute Californie.
78.
Si on s’appuie sur la volonté des donateurs pour prétendre qu’il y a encore des Indiens à la subsistance desquels il faut pourvoir, on doit se conformer strictement à cette volonté telle qu’elle fut exprimée. L’acte de donation octroyé par le Marquis de Villapuente, stipule en termes exprès et catégoriques que les propriétés qui y sont mentionnées sont données aux Missions de la Compagnie de Jesus des Californies (p. 105 Vol. impriné); idée qui semble corroborée plus loin (p. 106). En ce qui concerne la donation Arguelles, d’après le décret royal du 25 juillet 1803 son application doit être, selon les termes mêmes de la cédule royale, rendue sous la forme de “distribution entre les religieux qui desservent les missions qui étaient à la charge des Jésuites, dans ces parages (pag. 319).”
79.
On nous parle à tout moment du respect dû aux volontés des donateurs du Fonds Pie. On nous rappelle sans cesse que le Gouvernement Espagnol comme celui du Mexique, en s’occupant des biens des Jésuites et en disposant des biens qui formaient ce fonds, déclarèrent leur intention de se soumettre à ces volontés. Mais il semble que cette soumission ne soit obligatoire que pour le Mexique, et en ce qui peut lui porter préjudice, car lorsqu’il est question de ce qui le favorise, on passe sur les déclarations des bienfaiteurs et on affecte d’en oublier ou de n’en pas comprendre la véritable signification.
80.
Laquelle des missions mentionnées dans le document distribué par l’Hon. M. Ralston fait partie de celles qui furent fondées par les Jésuites? N’est ce pas un fait patent qu’il n’y eut de missions fondées par eux que dans la Basse Californie? Ne l’est-il pas également que les donations eurent en vue les missions fondées ou à fonder par la Compagnie de Jésus?
X. 81.
Si le Fonds pie de Californie avait pu survivre aux lois de nationalisation des biens de mainmorte légitimement décrétées par la République Mexicaine, la faculté d’employer les produits de ce fonds et les appliquer comme il lui semblerait le plus convenable aux intentions de l‘institution, appartiendrait exclusivement à ce Gouvernment. De cette faculté indiscutable, que nos adversaires ont reconnue, puisqu’ils admettent comme dictés par une autorité souveraine et légitime les divers décrets expédiés jusqu’en 1845, résulté la liberté de disposition que j’invoque. Elle est la conséquence naturelle et inévitable d’un fait qui n’a pas été nié non plus; que par suite de la suppression de la Compagnie de Jésus et de la prise en possession de leurs temporalités, le Gouvernement Espagnol prit la place des Jésuites, auxquels à son tour suecéda le Gouvernement du Mexique, lorsqu’il eut conquis son indépendance. Selon la volonté des fondateurs primitifs, les Jésuites, même en admettant qu’ils aient été investis de ce que l’on a bien voulu nommer un trust, étaient autorisés à disposer des produits du Fonds pie, comme ils l’aurient jugé convenable et dans l’intelligence qu’ils n’auraient à rendre compte de cette gestion à personne et qu’aucune [Page 761] autorité séculière ou ecciésiastique, ne pourrait intervenir dans cette gestion qui leur était confiée sans restriction ni contrôle.
82.
Si les lois de la logique ont conservé leur force, et si on admet que le Gouvernement Espagnol et ensuite le Gouvernement Mexicain se subrogèrent aux premiers missionnaires pour leurs droits et leurs facultés, il faudra admettre qu’ils acquirent du même coup, et dans toute sa plénitude, toutes les facultés, toutes les attributions illimitées que la volonté des donateurs du Fonds Pie, avait concédées aux Jésuites. Le roi d’Espagne fit à ce sujet d’innombrables déclarations qui n’ont pas été lues dans les audiences du Tribunal, et le Gouvernement Mexicain légiféra et decréta constamment sur l’administration du Fonds, comme sur l’emploi de ses produits; et l’une des preuves en est que c’est dans une des lois expédiées par le Gouvernement du Mexique que les réclamants s’efforcent de trouver un titre.
83.
Cependant les réclamants méconnaissent le droit du Gouvernement Mexicain et affirment que l’emploi et la disposition du Fonds Pie reviennent exclusivement aux evéques de la Haute Californie comme le démontre rien moins que le décret du 3 avril 1845 si souvent invoqué dans cette discussion.
84.
Il me semble inutile de m’arrêter à repéter la réfutation de l’argument que l’on prétend tirer de cette loi, qui, ainsi que les avocats du Mexique l’ont démontré de façon concluante, n’implique nullement un contrat synallagmatique, source d’obligations exigibles devant tout tribunal. Ce décret dans lequel l’autorité souveraine du Mexique dicta une mesure, ne put créer un droit dans l’acception technique du mot, de même que les autres lois que la République dicta dans un but identique en disposant de l’administration du Fonds.
85.
D’autre part, l’attitude de nos honorables adversaires est inconséquente au dernier point. En même temps qu’ils invoquent une loi mexicaine chargeant l’évêque de Californie et ses successeurs de l’administration et de l’employ du Fonds Pie, reconnaissent qu’ils acceptent le caractère d’agents ou de déiegués du Gouvernement Mexicain, et prétendent tenir leur titre de ce même Gouvernement, ils proclament très haut qu’ils se jugent dispensés du devoir de rendre compte de leur gestion, et prétendent que nul n’a droit à leur demander des comptes. Est-il donc explicable qu’une corporation étrangère soustraite à la juridiction des autorités mexicaines, assume la qualité d’agent ou de délegué du Gouvernement de la République? L’évêque de Californie á qui la loi du 3 avril 1845 confia l’administration et l’emploi du Fonds Pie, était un fonctionnaire mexicain, mais en vertu de l’annexion de la Haute Californie aux Etats-Unis, les successeurs de cet évêque ont la nationalité américaine. Comment done conserveraient-ils une charge qui, sans avoir compte de son caractère précaire, les placerait, eux citoyens étrangers, non résidant en territoire mexicain, dans la condition d’employés ou d’agents d’un Gouvernement qui n’est pas celui auquel ils doivent fidélité? L’acte d’incorporation d’ou dérive la personnalité civile attribuée à l’Eglise Catholique de la Haute Californie n’implique-t-il pas nécessairement la soumission absolue aux lois et aux autorités des Etats-Unis et la rupture de tout lien de dépendance à l’égard du Gouvernement, auquel le territoire annexé était soumis avant l’annexion?
86.
Les réclamants insistent cependant sur ce que le Gouvernement du Mexique comme trustee, a le devoir de payer une pension perpétuelle de 6 pct. annuel sur une somme déterminée et ils ajoutent que ce [Page 762] même Gouvernement a reconnu cette obligation dont il revient à l’Evêque de Californie d’exiger l’accomplissement. Pour juger de l’effieacité de ces allégations, il suffit de supposer pendant un instant que la Compagnie de Jésus n’a pas été supprimee et que les biens administrés par elle—done ceux des missions de Californie—ne sont pas passés en d’autres mains. En ce cas, qui aurait le droit de demander aux Jésuites, ces trustees, selon la qualification que nos adversaires leur ont donnée, d’employer les produits des biens à l’entretien des missions ou du culte catholique en Californie? Personne sans aucun doute, car la volonté des donateurs était qu’aucune autorité séculière ou eccléiastique ne s’entremît et demandât compte aux Jésuites de l’accomplissement de la condition imposée à la donation. Eh bien, le Gouvernement Espagnol succéda à la Compagnie de Jésus dans toute la pléntitude des facultés qu’exprime l’acte de fondation du Fonds Pie; et au Gouvernement Espagnol succéda celui du Mexique, sans restriction d’aucun genre. Done, le Gouvernement Mexicain qui assuma le trust à la charge d’abord des Jésuites, selon que l’entendent les réclamants le prit dans les mêmes conditions que ceux-ci, ou, ce qui revient au même, avec la faculté de disposer des produits du Fonds comme il lui semblerait le plus convenable, et de les employer comme il le j ugerait le plus utile.
87.
Pour soutenir le contraire, il serait nécessaire que l’on nousmontrât l’acte juridique modificant le trust primitif confié aus Jésuites missionnaires, et cet acte juridique n’a pas été produit et ne peut l’être, parce que nous avons déjà vu que les lois Mexicaines expédiées à diverses époques et desquelles on veut conclure que le Gouvernement Mexicain s’imposa des obligations, n’ont pas et ne peuvent avoir le caractère de contrats, sources de droits dont l’exercice reviendrait aux évêques actuels de la Haute Californie. De plus, outre qu’il s’agit d’actes unilatéraux, excluant de façon absolue toute idée de lien juridique, ce furent des actes de souveraineté soumis de leur propre nature à la volonté du souverain dont ils émanèrent.
88.
Il est dû, avant de poursuivre, d’examiner la question actuelle sous un point de vue assez intéressant et qui me semble nouveau. Quoique l’on puisse dire sur la faculté du Gouvernement Mexicain par rapport à l’administration et à l’emploi des produits du Fonds Pie, on ne dit pas cependant en quoi il les emploie ni ce qu’il en fait. Cette observation ne résiste pas à l’analyse, pour deux raisons également puissantes.
89.
La première est qu’il a déjà été démontré que le Gouvernement Mexicain, même en le considérant comme un trustee, n’a à rendre compte à personne de l’accomplissement ou du non accomplissement de la condition imposée par les premiers donateurs, puisque, successeurs des trustees originaires, (les Jésuites), il jouit de la liberté illimitée qui leur était concédée.
90.
La seconde est que la fondation ayant eu en vue un double but, l’un politique et l’autre religieux, le premier est impossible, puisque la Haute Californie n’est plus une dépendance mexicaine. Il ne serait done plus possible de remplir en tous points les volontés des donateurs. D’autre part, l’Eglise Catholique de Californie est une corporation riche, établie dans une contrée renommée également pour sa richesse, et qui est soumise à l’autorité d’un Gouvernement, l’un des plus puissants de la terre, et les prévisions des donateurs du Fonds ne sont plus réalisables aujourd’hui. A cet exposé, il faut ajouter que les lois d’ordre public de la Nation Mexicaine, les principes de sa constitution [Page 763] politique, lui défendent de considérer comme subsistant un fonds qui depuis 1859 et en vertu de la loi du 12 juillet de cette même année, fut définitivement et irrévocablement nationalisé et cessa complètemen.t d’exister. Nulle corporation ecclésiastique, d’aucune dénomination, ne peut avoir au Mexique les droits que prétend exercer au moyen de ses évêques, ou de quelques-uns d’entre euxau moins, l’Eglise Catholique de Californie. Etrangère comme elle l’est; en ce qui regarde des propriétés situées en territoire mexicain, elle est soumise aux lois du pays, à l’obéissance desquelles elle ne peut se soustraire en alléguant qu’elle est une corporation de nationalité américaine.
91.
Le Tribunal peut mesurer l’importance qu’aurait pour la République Mexicaine une décision qui sanctionnerait les prétentions de l’Eglise Catholique de la Haute Californie, car il ne saurait échapper à sa haute penétration qu’il y a au Mexique un grand nombre d’entreprises montées par des compagnies étrangères, et que chacune se jugerait autorisée à s’exonérer de l’obéissance aux lois du pays, en invoquant simplement sa nationalité. C’est ainsi que dans le territoire Mexicain même s’érigerait une foule d’Etats dans l’Etat, chacun ayant son régime propre, et exigeant chacun que les lois de son pays lui soient seules applicables, et non les lois Mexicaines. Une prétention aussi exhorbitanfce serait insoutenable, et c’est cependant ce que l’Eglise Catholique de Californie cherche à faire triompher devant ce Tribunal.
92.
Et puisque je m’occupe des lois constitutionelles mexicaines, que l’on me permette d’expliquer maintenant l’opportunité des dispositions de la loi du 14 décembre, 1874, présentée au nombre des annexes de la réponse du Mexique à la demande des vénérables évêques de la Haute Californie.
93.
Cette loi, entre autres choses, établi les seuls droits correspondants aux associations religieuses du Mexique, et comme parmi ces droits ne figure pas celui d’avoir une personnalité civile pour exiger l’exécution d’obligations d’un aceomplissement futur, et que d’autre part, ces obligations sont déclarés nulles et d’aucune valeur, il est évident que l’Eglise Catholique de la Haute Californie manque de personnalità aux yeux de la législation constitutionnelle Mexicaine, et elle ne peut rien réclamer à la République.
94.
L’exception dérivée de la loi constitutionnelle à laquelle je me réfère ne put être ni alléguée ni décidée par la Commission Mixte, simplement parce que la loi du 14 décembre 1874 est postérieure à la réclamation dont connut cette Commission. C’est done une défense subséquente qui ne pourrait pas être soumise à la res judicata alléguée avec tant dénergie par nos honorables adversaires.
95.
Et c’est en vain que l’on dirait que cette loi, postérieure de plusieurs années à l’annexion de la Haute Californie aux Etats-Unis, est inapplicable à l’Eglise Catholique de cet Etat de l’Union Américaine parce que, bien qu’il s’agit d’une corporation étrangère, il est question des droits des associations religieuses au Mexique, et qu’il est évident que pour apprécier ces droits et la capacité des personnalités qui les exercent, il faut nécessairement recourir aux lois du Mexique. Autrement ce serait vouloir attribuer un effet extraterritorial aux lois nord américaines sur des relations de droit, nées au Mexique, sur des choses existant au Mexique, et qui imposent des obligations à un Gouvernement établi au Mexique.
96.
Il est facile de se faire une idée des abus auxquels prêterait la sanction des principes contraires à ceux que je défends, et pour n’en présenter qu’un exemple il me suffira de supposer que, afin d’éluder le [Page 764] droit public de mon pays, les associations religieuses qui y sont établies, obtinssent leur incorporation d’après la loi de quelqu’un des Etats de l’Union Américaine. A l’ombre de cette incorporation qui leur donnerait une personnalité civile aux Etats-Unis, elles parviendraient sans difficulté à éluder l’applieation des lois mexicaines qui interdisent aux associations perpétuelles et indéfinies, l’acquisition de biens immobiliers et de droits réels, et la mainmorte régnerait de nouveau au Mexique avec tout son cortège d’inconvénients politiques et économiques, sans que le Gouvernement pût apporter un remède au mai, parce qu’en face de lui se dresserait l’infranehissable obstacle de la nationalité américaine de la corporation.
XI. 97.
Abordant le détail de la réclamation, et en prévision, contrairement à tout ce que l’on doit attendre, on viendrait à déclarer que le Mexique est débiteur des sommes qui lui sont rédamées. Mr. Mariscal au nom de Gouvernement, se plaint des exagérations de la demande et au nombre d’entre elles spécifie l’exigence du paiement en or. Cette question a déjà été traitée par les distingués avocats du Mexique et je ne compte pas ajouter à leurs observations. Cependant il n’est pas inutile d’attirer l’attention sur les bases sur lesquelles repose une prétention si peu motivée. Elles se réduisent à ceci: Le Mexique est trustee du Fonds Pie, ou plutôt des intérêts à 6 pct. qui sont objet de la demande. En cette qualité, il devait les payer aux dates convenues. Il ne l’a pas fait, il doit en supporter les conséquences, et parmi elles, celle d’avoir à payer en or au moment où sa monnaie celle en laquelle il reçut le produit de la vente des biens formant ledit Fonds, et la même en laquelle, selon qu’on le prétend, il s’obligea à payer les intérêts réclamés, souffre une dépréciation considerable. Deux choses seraient nécessaires à l’effieacité, apparente au moins, de l’argument. D’abord que le non accomplissement supposé du paiement de certains revenus promis en argent, eût pu causer la novation de l’obligation primitive en transf ormant en un engagement de payer en or l’obligation de payer en argent. Ensuite, que la demande eût compris en plus de la prestation principale: le paiement des intérêts échus, l’indemnisation des dommages. Or, le non accomplissement d’une obligation n’en modifie point la modalité ni les conditions, et la réclamation, de son côté, n’embrasse pas la réparation des dommages. Done, la prétention dont je parle est à tous points de vue dénuée de fondement.
98.
D’autre part, en prétendant au paiement en or des sommes demandées, on perd de vue qu’il est dans les principes du droit civil que le débiteur doit payer avec l’espèce de monnaie dans laquelle il s’est engagé à le faire de telle sorte que si elle a souffert une dépréciation, le créancier doit la supporter, de même qu’il profiterait de l’augmentation de la valeur si le cas contraire se réalisait. Que l’on suppose que l’argent, comme il arriva en 1859, fit prime sur l’or, la prétention de Mexique à payer en or seraitelle fondée? Non, et pour la même raison on ne peut l’obliger à remplir l’engagement dont on le suppose responsable en payant en or, sous prétexte que sa monnaie a subi une dépréciation.
XII. 99.
Jesuis obligé, de faire constater que les réclamants n’ont pas compris la portée de la défense subsidiairement alléguée par le Mexique, en invoquant la sentence rendue dans le proces Rada, dont le tribunal a déjà tant entendu parler. On a crue que cette exception se rattache à l’embargo de l’Hacienda Ciénega del Pastor, dont le surarbitre [Page 765] de la Commission Mixte déduisit la valeur, à cause du séquestre dont elle fut l’objet en raison de l’exécution d’une sentence qui ne fut pas dictée par le Suprème Conseil des Indes royal, et dont l’exécutoire est le fondement de l’exception, mais par un tribunal de District du Mexique, plusieurs années aprés l’indépendance. Les réclamants disent qu’on allègue en vain la défense dont il est question, parce qu’il est constaté que malgré l’embargo de l’Hacienda Ciénega del Pastor, cette propriété fut vendue par le Gouvernement du Mexique qui en reçut le prix de sorte que sa dette ne peut en être diminuée. L’exception subsiste même en supposant fondée cette obligation parce qu’elle se fonde sur le fait parfaitement démontré par la sentence du Conseil des Indes, que l’adjudication faite à la Marquise de Rada, des biens provenant de la succession du marquis, fut déclaéee nulle et sans valeur. C’est à ces biens que se réfère la donation qui a été considéré comme l’origine du Fonds Pie. Il est done nianif este que si la marquise, en vertu de la sentence exécutoire dont nous parlons, n’acquit pas la propriété des biens qu’elle donna plus tard à la Campagnie de Jésus, elle ne put pas non plus en transmettre la propriété aux donataires; et par conséquent il y a à deduire du Fonds Pie tous les biens appartenant à la donation Rada.
100.
Pour se soustraire à la conséquence que je viens de déduire de la sentence dictée par le Conseil des Indes, les réclamants disent que dans ce jugement le droit de la Marquise de las Torres de Rada et de ses héritiers aux propriétés dont elle fit don aux Jésuites, ne fut pas attaqué et que tout ce que décida le Suprême Conseil des Indes, se réduisit à certaines déclarations sur les charges de chancellerie, qui étaient attachées au titre du Marquis de las Torres de Rada, et sur les revenus de ces charges.
101.
Il faut done avoir recours a la sentence invoquée pour démontrer l’erreur dans laquelle, de bonne foi assurément, se trouvent nos honorables adversaires. “Nous décrétons—disent les magistrats du Conseil suprême des Indes—et nous déclarons nuls et de nulle valeur et nul effet, les inventaires et évaluations des biens qui restèrent à la mort du Marquis de las Torres de Rada; et l’adjudication qui en a été faite à la marquise; et nous réservons leurs droits aux héritiers de celle-ci et à Don Joseph de Rada et ses colitigeants, pour qu’ils en usent comme il leur convient, sur les droits respectifs déduits dans l’Audience où ils devront l’exécuter.” Suivent lés déclarations relatives à la transmission de la propriété civile et naturelle du titre et de la dignité de Marquis et des charges de chancelier et contrô1eur. Il est done indubitable que l’adjudication faite en faveur de la marquise des biens de la succession du Marquis de Rada, fut annulée. Comme ces biens—je dois le répéter—étaient ceux qui furent donnés aux jésuites, il est clair que cette donation resta nécessairement annulée à l’instant même où le fut le titre de la donatrice, car nul ne peut transmettre plus de droit qu’il ne possède, et la Marquise de las Torres de Rada ne fut jamais propriétaire des biens en question. Ces explications permettront d’apprécier la valeur du système employé par les réclamants pour combattre l’exception dont je m’occupe. La question relative aux charges jointes au Marquisat de las Torres de Rada et à leurs émoluments, est indépendante de celle qui se rapporte à la nullité de l’adjudication faite en faveur de la Marquise, des biens de la succession de son second mari, quoique les deux points aient été decides dans la même sentence.
102.
Dans l’état actuel des choses, comme il n’apparaît nulle part que la susdite Marquise ait été remise en possession des biens dont le Conseil des Indes annula l’adjudieation, la véritable chose jugée est que les biens donnés par cette dame aux jésuites, ne lui appartenaient pas et que, par là même, elle ne put transmettre une propriété qui n’était pas la sienne.
103.
Il est bien sûr que cet état de choses n’a pas changé, puisque encore vers le milieu du dernier siècle, la sentence du Conseil des Indes était en voie d’exécution en ce qui touchait les émoluments des charges de Chancelier et de Contrôleur appartenant au Marquisat de las Torres de Rada. On ne connait pas avec certitude, malgré les efforts dont le dossier de la Commission Mixte fait foi, quel fut le dénouement du litige relativement à ces émoluments, bien que l’onsache de façon certaine que, quoique en conséquence de ce procés, l’hacienda de Ciénega del Pastor fut l’objet d’une saisie, le Gouvernement du Mexique aliéna cette propriété.
104.
La justice exige que si, comme le prétendent les évêques de la Haute Californie, on doit ajouterle prixde l’hacienda Ciénega del Pastor à l’évaluation du Fonds Pie, en tout cas soit déduit de cette évaluation, le montant capitalisé des propriétés données par la Marquise de las Torres de Rada, qui n’avait pu les transmettre, étant donné qu’elles ne lui appartenaient pas. Le Gouvernement Mexicain es responsable de la valeur de ces propriétés vis-à-vis des héritiers du Marquis de las Torres. Si ces héritiers se présentaient pour les revendiquer, les possesseurs actuels des propriétés auraient à s’adresser au Gouvernement qui, en définitive est seul responsable, en sa qualité de successeur des Jésuites et le propriétaire des biens qui formèrent le Fonds Pie de Californie.
105.
En raison de ces considérations, la soussigné a l’honneur de demander au Tribunal de déclarer justifiés les moyens de défense invoqués par le représentant du Gouvernement Mexicain, dans sa réponse à la demande présentée au nom de l’Eglise Catholique de la Haute Californie.

M. le Président. La réponse des Etats-Unis Mexicains est finie; nous passons done aux répliques.

Mr. Ralston. With the permission of M. Descamps, and with the permission of the court, I desire to present for a moment a printed copy of the deposition of Mr. John T. Doyle, together with the exhibits that accompany it, and further, with the permission of my friends upon the other side of the room, I should like to make one or two brief observations as to some points which have been cited by them, calling attention merely to one or two little errors of fact into which I think they have fallen and without desiring to present any argument.

M. Beernaert. Messieurs, on me communique a l’instant un nouveau document considérable dont nous ne savons pas le premier mot et qui paraît complété par de nouvelles annexes. Je ne veux pas faire de procédure, et si malgré la décision que la Cour a prise de ne plus admetre de nouvelles pièces à ce moment du débat, elle veut bien recevoir celle-là, je n’y fais pas d’objection. Seulement il est évident que nous devons avoir le droit et le temps d’examiner ce document et d’y répondre.

Mr. Ralston. I think, Mr. President and honorable arbitrators, that M. Beernaert has fallen into a slight error. The document presented has been in the hands of the secretary-general for some time, [Page 767] perhaps ten days, and we have only just had an opportunity to print it. So this is not a new document, but there is one new authority to which I shall desire to refer.

M. le Secrétaire Général. Ce document est déposé depuis dix jours.

M. Beernaert. On nous le remet à l’instant.

M. le Secrétaire Général. Vous auriez pu le consulter avant; il est au greffe depuis dix jours.

M. Beernaert. Nous en ignorions le dépôt.

M. le Secrétaire Général. Le dossier est à votre disposition depuis 15 jours, vous pouviez l’examiner.

M. Beernaert. Quand nous avons vu le dossier, ce document n’y était pas.

M. le Secrétaire Général. Il y était il y a dix jours.

M. Beernaert. C’est pour nous un document nouveau et je demande la permisson de le lire. Nous avons pris communication du dossier dès que la Cour nous y a autorisés, et certainement à ce moment ce document n’y était pas.

Mr. Ralston. If Mr. Beernaert will allow me, the filing of the original deposition of Mr. Doyle was brought to the attention of the court in open session about ten days ago, but it probably slipped M. Beernaert’s attention at the time.

Secretary-General. What day did you give it?

Mr. Ralston. About ten days ago, I think.

M. Asser. M. le Secrétaire Général a-t-il mentionné le dépôt de ce document?

M. le Secrétaire Général. Evidemmeht, il doit être mentionné.

M. Asser. Est-ce que le procès-verbal le mentionne?

M. le Secrétaire Général. Nous allons examiner les process-verbaux.

Mr. Ralston. The procès-verbaux will not show the date, but our stenographer’s report will show the exact date.

Sir Edward Frye. Will you show us in the notes what the date is?

Mr. Ralston. A little index was handed to the court the other day, and that will show the exact time.

(Mr. Ralston examines the stenographic report.)

M. Beernaert. Il est fâcheux qu’on ne nous l’ait pas distribué.

Mr. Ralston. Mr. President and honorable arbitrators, it was deposited with this court, and the attention of the court was directed to it, on the 15th of September, as appears on page 6 of the printed report.

M. Delacroix. C’est un document dont on nous a refusé l’ouverture. Certains documents étaient scellés, j’en ai demandé l’ouverture, on m’a réporrdu qu’on n’avait pas le droit de les ouvrir.

M. le Secrétaire Général. Le 15 septembre, ces deux documents étaient dans des enveloppes scellées. M. le Président, après la séance du 15, les a ouvertes et a pris connaissance des documents. J’ai alors adressé une lettre à l’agent des Etats-Unis mexicains lui disant que “tous les documents, sans réserve et sans exception” (souligné) étaient à sa disposition.

M. Descamps. C’est clair!

M. de Martens. C’est clair, n’est-ce pas: c’était à la disposition de la partie.

M. Delacroix. On nous avait dit qu’ils étaient à la disposition, et je [Page 768] crois me souvenir que nous avions reçu cette lettre avant que je soisvenu, du moins si mes souvenirs me servent bien. Quand nous nous sommes présentés, nous avons reçu communication du dossier. On nous a montré certaines lettres qui étaient scellées, j’ai demandé qu’elles fussent ouvertes et M. le Secrétaire Général m’a répondu qu’il ne pouvait pas ouvrir ces documents. Nous en sommes restés là, supposant que ce document, qui était scellé et qui était indiqué comme étant le témoignage de M. Doyle était précisément celui qui se trouvait dans le livre rouge. Nous n’avions pas besoin dès lors de faire desceller cette enveloppe mystérieuse, puisque nous pensions que le document était dans le livre rouge. Aujourd’hui nous apprenons que c’était autre chose. Je n’y insiste pas autrement, seulement nous demandons le temps de le lire et d’y répondre.

M. le Secrétaire Général. Quand l’honorable conseil des Etats-Unis Mexicains s’est présenté, je n’avais pas encore adressé ma lettre à l’agent, lui disant que le Tribunal mettait le dossier sans exception aucune à sa disposition. C’est une heure après que M. le Président a ouvert ces enveloppes; ma lettre est partie quelques heures après pour M. l’agent du Mexique lui disant que tout le dossier était de 10 heures à midi et de 2 heures à. 4 heures à sa disposition, sans exception aucune. Je ne sais pas jusqu’à quel point ces Messieurs n’ont pas jugé utile d’en user.

M. Delacroix. Je viens d’en donner la raison.

M. de Martens. Mais, la lettre existe?

M. le Secrétaire Général. La lettre existe.

M. Descamps. C’est absolument clair et absolument correct, jetiens à le constater.

Mr. Ralston. I regret very much the misunderstanding on the part of my friends on the other side.

M. le Président. Il n’y a pas de doute là-dessus. La lettre sera incorporée au dossier. M. l’agent des Etats-Unis d’Amérique du Nord a-t-il encore quelque chose a déposer?

Mr. Ralston. No; I think not, except for the convenience of the court I would like to present one thing more. I should have brought it this morning, but it was overlooked. It is an official map of the United States, which shows upon it the various reservations apportioned to the different Indian tribes. It is not a matter of great importance, but I should like, with the permission of my friends, that the court should see it, to give the court a better idea of the situation.

M. de Martens. I think you have already announced your intention to present it a week or ten days ago.

Mr. Ralston. Yes; I have.

Sir Edward Fry. Before you go on I should like to ask you this question: Our attention has been drawn to the fact that in the previous proceedings there were three bishops named and it is said there are only two now. I desire to call your attention to it early, so that if there is any error it may be corrected.

Mr. Ralston. I thank your honor. We are in a position to correct it. From our point of view there was none, but we have a complete power of attorney from the third bishop.

Sir Edward Fry. He undertakes to be bound by the proceedings?

Mr. Ralston. Yes, sir; and he authorizes Archbishop Riordan to duly represent him. But I perhaps should add, my attention having [Page 769] been called to it, that we are to-day copying it with a view to presenting it to the court, the court having indicated a disposition to receive it. There are one or two further points which I believe it would be in the interest of correctness and speed to speak of for about five minutes.

M. le Président. La parole est au conseil des Etats-Unis d’Amérique, M. Descamps.

M. Descamps. M. Ralston demande que je lui cède la parole pendant cinq minutes, si le Tribunal veut bien la lui accorder.

M. de Martens. Ce serait une réplique nouvelle. Le tribunal a décidé que vous prendriez la parole après M. Pardo.

Mr. Ralston. I will not insist upon it, but there are one or two points that 1 would like to explain to the court.

M. Descamps. Messieurs les Arbitres, appelé au grand honneur de défendre la cause des Etats-Unis d’Amérique devant une juridiction arbitrale internationale, et de plaider cette cause devant vous, qui constituez si dignement le premier tribunal d’arbitrage établi conformément à la Convention de La Haye, je viens vous demander en ordre principal de consacrer en notre faveur le respect de la chose jugée, et en ordre subsidiaire d’assurer le respect de ce que nous considérons comme des engagements inviolables. C’est sous l’égide de ces deux grandes maximes fondamentales du droit: Res judicata, Veritas inter paries—Pacta servanda—que je place les considérations que je vais essayer de développer devant vous.

J’estime, Messieurs, que dans une affaire aussi compliquée et au point où en sont arrivés les débats, il est nécessaire d’eviter ce que l’on a appelé tout a l’heure “les digressions inopportunes.” Il importe de s’attacher aux questions maîtresses. L’histoire des colonies en général et celle des réductions en particulier est intéresante sans doute, et peut-être n’aurais-je pas trop de peine d’en parler, cette histoire rentrant dans le cadre de mon enseignement universitaire. Les faits et gestes de la Révolution française sont un objet d’études curieuses et de controverses incessantes, mais je ne vois pas la nécessité de m’en occuper présentement, sauf pour faire mes réserves concernant certaines déductions et applications développées par mes honorés contradicteurs. Le récit des trois manages de la Marquise de Villapuente peut présenter des aspects piquants, bien que le mobile qui a déterminé notre confrère à ornementer et à dramatiser ce récit ne me paraisse pas bien louable: il n’y a pas lieu, ce semble, de discréditer les fondations californiennes. Et moi aussi, si je recherchais l’anecdote, je pourrais rappeler certains incidents des correspondances diplomatiques entre les deux gouvernements en cause, ou j’aurais beau jeu … et peut être les rieurs de mon côté. Mais à quoi bon tant cela? Attachons nous aux éléments pertinents de la cause et tâchons de circonscrire le débat au lieu de l’etendre et de l’égarer.

Avant d’entrer au cceur du débat, je dois faire une rectification concernant certaines allégations de M. Beernaert. Mon illustre adversaire a savouré longuement dans son discours le silence et comme l’insouciance des ayants droits à faire valoir leurs revendications. Il a tenu à rappeler ce passage de la décision du premier arbitre, où l’on suppose que les réclamations et les réponses à l’origine furent simplement verbales. Aucune trace de réclamation écrite, nous a-t-on dit. C’est une erreur complète et il existe au dossieur une pièce qui coupe court aujourd’hui àces hypothèses. Nous n’avons pas, il est vrai, la reclamation [Page 770] de l’arehevêque de San Francisco. Nous avons mieux: la réponse officielle du gouvernement mexicain constatant la demande érite et s’excusant du retard apporté à y répondre à raison de la nécessité de consulter les rétroactes et des documents anciens. Cette pièce ayant échappé à notre honoré contradicteur, j’en tiens une copie à sa disposition. Elle date du 29 septembre 1852. Le Gouvernement mexicain refuse de faire droit à la demande, en alléguant que c’est lui est le successeur des missionnaires, ajoutant qu’il lui serait d’autre part bien difficile de venir en aide aux chefs de l’Eglise de la Haute-Californie, les missions de la Basse-Californie étant dans une profonde détresse et le trésor mexicain étant, de notoriété, mis à mai (por la penuria conocida del Erario publico).

M. de Martens. Où est cette pièce?

M. Descamps. Elle estau dossier de M. Doyle, et voici la traduction anglaise du passage que je viens de citer: “On account of the well-known penury of the public treasury and on account of the state of poverty and backwardness in which the missions under its protection in the territory of the Republic are found.”

Le refus opposé à la demande était, comme on le voit, catégorique et constatait même une impossibilité physique de témoigner quelque bon vouloir, vu l’état fâcheux de la caisse de la République.

En ce qui concerne un autre point sur lequel M. Beernaert a aussi insisté et qui concerne les réclamations postérieures au jugement arbij tral de 1875, voici exactement ce qui s’est passé. Le premier payement du Mexique condamné à solder sa dette, fut fait le 31 janvier 1877, le second, le 31 Janvier 1878. Il y a eu treize payements partiels, et le dernier porte la date du 21 Janvier 1890. Aussitôt après cette apuration, dès le ler mars 1890, nous constatons que M. le sénateur Stewart addressa une demande d’intervention au Gouvernement des États-Unis dans le but d’obtenir du Gouvernement mexicain le payement des intérêts échus depuis 1869. Et le 17 août 1891 M. Ryan, ministre des Etats-Unis à Mexico, f ormula une réclamation diplomatique en règie.

Cette réclamation portait:

Mon gouvernement est d’avis que la décision de l’arbitre à établi en force de chose jugée:

1°.
La débition du Gouvernement mexicain en vers l’Église catholique romain de Californie, de la part revenant à celle-ci dans la revenu annuel dudit fonds charitable;
2°.
Le montant annuel de cette part;
3°.
Que les archevêque et évêques de cette église sont les titulaires du droit de la réclamer et de la recevoir;
4°.
Que la partie demanderesse est une corporation de eitoyens américains (États-Unis);
5°.
Que la cause comporte proprement l’intervention diplomatique du gouvernement des Etats-Unis.

Et voici la conclusion:

J’ai ordre d’exprimer respectueusement à Votre Excellence l’espoir de mon Gouvernement d’obtenir prompt et satisfaisant acquiescement à cette demande.

Un autre point sur lequel je dois revenir aussi, bien qu’à regret, ce sont les plaintes constantes des défendeurs concernant l’état de notre dossier documentaire. L’honorable M. Beernaert nous disait récemment encore: “Nous sommes à cet égard dans une situation lamentable!” Mais, Messieurs, à qui la faute? Et en toute justice est-ce que le Gouvernement des Etats-Unis n’a pas fait, au point de vue des communications, cent fois plus que le Gouvernement mexicain et son agent?

[Page 771]

Un mot maintenant du mémoire que vient de lire S. Exe. M. Pardo. M. le ministre du Mexique, si je l’ai bien compris à première audition, se place sur un terrain assez singulier. Selon lui, le tribunal actuel ne serait un tribunal international que pour la forme. En réalité, il faut le considérer comme un tribunal mexicain chargé d’appliquer exclusivement les lois du Mexique, lesquelles devraient avoir en tout cas et sans conteste une valeur absolue. Ce point de vue ne me paraît pas exact.

Il y a d’abord au-dessus des lois mexicaines et du droit mexicain un droit international public en conformité duquel toutes les nations doivent se conduire et qui, notamment en matière d’obligations pécuniairies contractuellement assumées, ne permet pas à, chaque Etat d’en agir toujours à sa guise, ces obligations fussent-elles contractées envers des particuliers étrangers. Tous les actes qu’il peut plaire à un Etat de faire à l’egard des ressortissants étrangers ne sont pas des actes licites selon le droit international public.

Il y a aussi un droit international privé qui suppose la coordination des lois des divers pays suivant une règle de justice, laquelle ne permet pas toujours à un Etat de n’avoir égard qu’à ses propres lois, par exemple en ce qui concerne l’état et la capacité des personnes, soit physiques, soit morales. On peut, ici encore, se trouver en présence de nombreuses et importantes questions qui ne relèvent pas exclusivement d’une seule souveraineté.

L’éminent organe du Gouvernement mexicain prétend encore que le Tribunal arbitral doit “fermer l’oreille à nos appels à l’équité.”

Mais ceci ne pourrait être établi qu’après un examen particulièrement attentif des termes du compromis, qui sont loin d’enjoindre au présent tribunal de statuer exclusivement d’après les lois mexicaines. Je comprends cependant l’empressement du Mexique à demander au Tribunal arbitral de fermer l’oreille à l’équité, lorsqu’il soutient des thèses comme celles que nous avons entendu développer tout à l’heure et où j’ai cru relever cette conclusion: si la créance réclamée n’avait pas été garantie par moi sur le revenu des tabacs, je ne pourrais pas la confisquer; mais comme je l’ai garantie, elle devient pour moi matière à confiscation. Sans compter qu’il n’est pas commode en droit de soutenir que le principal suit la loi de l’accessoire et qu’une créance change de nature parce qu’une garantie—le revenu des tabacs érigé en immeuble—vient s’y annexer.

Le Mexique prétend que, dans le compromis, il n’a pas entendu renoncer à l’empire absolu de ses lois. Mais les Etats-Unis ne sont pas apparemment de cet avis, et c’est le tribunal arbitral qui, aux termes de l’article 48 de l’Acte de la conférence de La Haye, “est autorisé à déterminer sa compétence en intérpretant le compromis, ainsi que les autres traités qui peuvent être invoqués eh la matière et en appliquant les principes du droit international.”

Tels sont les pouvoirs de la Cour et il est peut-être bon de le rappeler. Le Mexique a contesté fort tard la compétence de la jurisdiction arbitrale de 1868. Il peut soulever devant la juridiction de 1892 telle exception qui lui agrée, mais la règle concernant les exceptions d’incompétence visant le compromis est celle là.

Après sêtre placés sur un terrain peu solide, selon nous, et avoir réclamé l’application absolue et exclusive des lois mexicaines dans la présente cause, les défenseurs du Mexique nous font connaitre les lois dont ils entendent revendiquer l’application.

[Page 772]

Ils nous signalent d’abord une série de dispositions constitutionnelles et législatives concernant les institutions religieuses et les biens ecclésiastiques. Mais il y a lieu d’observer d’abord que toutes ces dispositions, y compris la dernière loi citée, celle de 1874, sont antérieures à la première décision arbitrate. . . . .

M. Emilio Pardo. Non.

M. Descamps. Je parle des lois de proscription et non des lois de prescription; en leur qualité de simples moyens de preuve, fussent-ils nouveaux, les textes invoqués ne peuvent infirmer la chose jugée.

La question de la condition des personnes morales étrangères dans leurs rapports éventuels avec les divers pays est, au demeurant, une question fort délicate, dont la solution n’est pas aussi facile et ne peut être aussi unilatérale que semble le penser l’honorable organe du Mexique.

Si le Mexique entend que ses ressortissants à l’étranger bénéficient de leur loi nationale quant à leur état et à leur capacité, on conçoit que les autres Etats ne soient pas précisément dépourvus de titles à. revendiquer vis-à-vis de l’Etat du Mexique l’application de leur loi à eux quant à l’état et à la capacité des personnes. Et il y a là plus qu’une simple question de réciprocité; il y a une question de coordination nécessaire suivant une loi générale de justice. Il est juste que les nations n’empiètent pas sur leur compétence respective en ce qui concerne la détermination des droit de leurs ressortissants, sous la réserve des exigences propres de l’ordre public chez elles. Or comment, en vérité, considérer comme contraire à un tel ordre le simple acquirement d’une dette en numéraire assumée par contract en vers des ressortissant étrangers qui n’habitent pas le territoire et n’y exercent aucune action ou influence?

Et en ce qui concerne les fondations étrangères de nature diverse existant dans tant de pays, est-ce, done, par des lois de confiscation pure et simple que les Etats se eroient autorisés à procéder, et ne voyons-nous pas, au contraire, des interventions diplomatiques assurer des respects nécessaires ou aboutir à des réglementations équitables?

Dans le cas présent, qui peut soutenir un seul instant que le fait de payer la dette qu’on réclame ait un rapport quelconque avec le maintien de l’ordre public international ou national au Mexique? Le trésor seul peut en ressentir quelque atteinte, et combien légère en présence de l’état florissant actuel des finances mexicaines. Car il est bon de le constater, et je suis heureux de rendre ici cet hommage à l’Etat mexicain: ses finances sont aujourd’hui très prospères et le sacrifice d’argent qui lui est demandé n’a rien pour lui d’exorbitant ni d’inquiétant.

On le voit, la question de la confiscation des fondation étrangères dans un pays, celle de la situation des personnes morales étrangères en rapport de simple débition de sommes contractueilement promises et garanties, ne sont pas de celles qui se tranchent ad libitum, sans soulever des questions d’équité et de justice internationale et sans provoquer de légitimes interventions diplomatiques.

Mais voici une autre série de lois mises en avant par nos adversaires, ce sont des lois de déchéance radicale attachées au nonaccomplissement de telle ou telle formalité. Nos adversaires invoquent dans cet ordre deux lois: celle de 1885, qui n’est point pertinente puisqu’elle ne renf erme qu’une invitation à un acte volontaire, et celle de 1894 stipulant [Page 773] que la non production des créances à charge de l’Etat Mexicain, dans un délai de quelques mois, devant un bureau institue pour en juger la réalité, aura pour conséquence une déchéance définitive.

Mais il y a lieu d’observer que la rente due aux chefs de l’Eglise catholique en Californie avait été l’objet d’une réclamation diplomatique en règle en date du 17 août 1891 et que nous avons déjà fait connaître. Cette réclamation antérieure et officielle équivalait manifestement à la production demandée; et en tout cas, lorsque des créances ou des droits sont l’objet d’un recours diplomatique le droit international public autorise-t-il à décréter à leur égard des déchéances radicales du chef de simple inaccomplissement de telle ou telle formalité sans raison d’être dans l’espèce, et traitant la réclamation diplomatique comme si elle n’existait pas? Nous nous permettons de répondre négativement.

J’arrive à une troisième série de lois invoquées contre nous, les lois établissant une prescription et spécialement une courte prescription—cinq ans—en ce qui concerne les intérêts échus des rentes.

Je n’entends pas répéter ici ce qui a déjà été dit sur ce point par mes confrères américains, mais je voudrais demander une explication a S. Exc. M. le Ministre du Mexique. Les conclusions de MM. Beernaert et Delacroix parlent d’un Code civil fédéral. Or je n’ai pas connaissance d’un tel Code; et aux termes de l’article 72 X, de la Constitution mexicaine, modifié par la loi du 14 décembre 1883, le Congrès n’a compétence pour faire des codes obligatoires dans toute la république qu’en ce qui concerne les mines et le commerce, en y comprenant les institutions de banque. Je connais les codes particuliers de différents Etats de la Confédération mexicaine. Dans les documents fournis par nos adversaires je trouve le Code civil du district fédéral et du territoire de la Basse-Californie. Est-ce ce Code que l’on entend appliquer aux relations éntre less ressortissants étrangers et le Gouvernement mexicain dans l’ordre des dettes contractées par ce dernier à l’égard des premiers?

M. Emilio Pardo. Il est bien vrai que les Etats-Unis mexicains reconnaissent à chaque Etat le droit de légiférer sur les matières civiles et pénales; mais il y a des lois qui sont obligatoires dans toute la Fédération, comme, par exemple, les lois relatives à la propriéte minière et au commerce. Il est bien entendu par la Cour mexicaine que dans les rapports du Gouvernement fédéral avec les particuliers, nationaux ou étrangers, les intéressés sont soumis au Code du district fédéral. Quoique ce soit le Code spécial du district fédéral, c’est la loi à laquelle la Fédération est assujettie dans les relations avec les particuliers.

M. Descamps. S. Exc. M. Pardo nous dit qu’il a été entendu que le Code spécial en question s’applique aux rapports du Gouvernement fédéral avec les particuliers nationaux ou étrangers. Je n’entends pas me prononcer à l’instant sur cette question. Je ne veux pas davantage revenir sur les observations développées par mes confrères américains touchant l’inapplicabilité au cas présent des dispositions que l’on invoque, spécialement en ce qui concerne la prescription des intérêts par cinq ans. Mais je tiens à faire observer combien il serait exorbitant et injustifié de tenter de transformer le temps laissé au Gouvernement mexicain pour solder un arrière d’intérêt qu’il a obtenu de ne payer que par acomptes, en moyen de prescription des intérêts en cours pendant cette période.

Ce serait faire tourner le service au détriment de celui qui l’a rendu [Page 774] non pas certes en vue de miner le débiteur par une réclamation ultérieure d’intérêts accumulés, mais en vue de lui faciliter le moyen d’apurer un arrière de compte qui devait naturellement être liquidé avant le payement d’autres charges, et cela non seulement de l’accord tacite, mais en vertu d’un accord exprès des parties. Il ne faut pas oublier, en effet que dans la convention intervenue après la décision du surarbitre,—convention du 29 avril 1876 art. III,—le Mexique a itérativement sollicité et obtenu, vu l’état obéré de ses finances, de ne payer aucune annuité excédant 300,000 pesos en or ou en équivalent jusqu’à ce que le total des condamnations à liquider par lui fût couvert. Et il convient d’observer que ce bénéfice du terme a si bien été entendu ainsi, que moins de quarante jours après l’apurement de l’arriéré soldé en treize années, les ay ants droit formulèrent leur demande. Tout cela est d’une correction manifeste et parfaite.

Au demeurant, il résulte à l’évidence de la correspondance diplomatique échangée entre les deux Gouvernements, les 21 novembre, 4 et 8 décembre 1876, qu’à la suite d’une tentative malheureuse faite par le Gouvernement mexicain pour obtenir une interprétation authentique, fort erronée selon nous, de la sentence arbitrate, et de la protestation des Etats-Unis, les deux parties sont convenues—tous droits reserves—de s’abstenir de soul ever entre elles des difficultés ou compétitions nouvelles relativement à l’affaire sur laquelle avait prononcé l’arbitre avant la compléte exécution de la sentence arbitrate. C’est ce qui a été fait des deux parts, mais c’est ce qui s’oppose en même temps à ce que le silence des demandeurs puisse être invoqué comme servant de point de départ à une prescription quelconque.

Il ne me reste que quelques instants avant la suspension de la séance. Je demande à MM. les arbitres de vouloir bien m’autoriser à ne traiter qu’a la reprise de nos débats la question capitale de la chose jugée.

M. le Président. Vous continuerez votre discours à l’ouverture de l’audience. Avant d’ajourner le Tribunal je donne la parole à M. le Secrétaire Général pour la lecture de la lettre qu’il a adressée à M. Pardo pour lui dire que le dossier américain, sans aucune exception, était mis à sa disposition tous les jours de 2 heures à 5 heures de l’après-midi.

M. le Secrétaire Général. Voici la lettre que j’ai adressée à M. Pardo le 15 septembre 1902:

Monsieur: J’ai l’honneur de porter à votre connaissance que le dossier qui a été soumis par l’Agent des Etats-Unis d’Amérique au Tribunal d’Arbitrage institué en vertu du traité conclu à Washington le 22 mai 1902 entre les Etats-Unis d’Amerique et les Etats-Unis Mexicains, se trouve déposé au greffe dudit Tribunal, 71 Prinsegracht, où Votre Excellence ou bien telle autre personne qu’elle désignera à cet effet pourra en prendre connaissance.

J’ajouterai que tous les documents, sans aucune exception, sont compris dans le dossier et qu’ils peuvent être examinés demain 16 septembre et tous autres jours suivants de 2 heures à 5 heures.

M. le Président. Cet incident est clos.

(A midi la séance est suspendue jusqu’à 2½ heures.)