quinziéme séance.

L’audience est ouverte à 2 h. ½, sous la présidence de M. Matzen.

M. le Président. La parole est continuée à M. le Conseil des Etats-Unis d’Amérique.

[Page 775]

M. Descamps. Messieurs les arbitres, une question domine ce débat et lui donne une physionomie particulière entre tous les arbitrage, c’est la question de la chose jugée.

Elle est capitale au point de que de la solution du présent litige.

Peut-être est-elle aussi capitale au point de vue de l’avenir des juridictions arbitrales. Je n’aurai pas trop de peine à démontrer, je pense, quel trouble ébranlement profond pourrait apporter dans le fonctionnement normal et pacificateus de ces juridictions le système qu’essayent de faire prévaloir,—mais vainement, j’en aila confiance,—les défenseurs du Gouvernement mexicain.

Cette question, Messieurs, présente encore un autre caractère: elle doit être résolue absolument et en première ligne. Toutes les autres questions—combien multiples et compliquées—viennent en ordre éventuel et subsidiaire; elles ne doivent être résolues que s’il est décidé que la chose jugée n’a point ici de puissance régulatrice, “if not,” suivant l’expression du compromis.

Le probleme doit done être abordé de front et mis, autant que possible, en toute lumière.

Cela est d’autant plus nécessaire qu’une confusion assez étrange a été faite, au moins au début, par nos adversaires. La trace de cette confusion se retrouve non seulement dans la correspondance diplomatique de S. Exc. M. Mariscal, ministre des affaires étrangères du Mexique, mais dans diverses notes publiées de puis par la défense et notamment dans la réponse du Gouvernement mexicain à l’Exposé de la revendication des Etats-Unis d’Amérique. Cette confusion nous parait tenir surtout à l’application indistincte et assez équivoque du terme “autoritè” à la chose jugée entre parties et aux précédents judiciaires en général. Il serait plus exact, ce semble, de parler de l’autorité de la chose jugée et de la valeur des précédents judiciaires. La puissance publique, par des raisons de haute sagesse attache aux jugements devenues définitifs entre les plaideurs une souveraine présomption de vérité, en vue de ne pas éterniser les procés et d’assurer aux décisions de justice une efficacité légitime. Cette vérité présumée est relative sans doute en ce sens qu’elle ne lie que les parties en cause ou leurs ayant droit, mais elle est intangible pour elles et se trouve, dans ce cercle, élevée à la hauteur d’une norme régulatrice de leur droit. C’est pourquoi l’on peut dire, en parlant d’elle, l’autorité de la chose jugée.

Les précédents judiciaires, au contraire, ont une valeur générale qui permet de les invoquer dans tous les cas semblables, sans distinction des parties qui furent en cause et des juges qui rendirent la sentence. Mais cette valeur—abstraction faite de la fonction coutumière de la jurisprudence comme instrument de cristallisation du droit—n’est qu’une valeur de raison toujours soumise ou contrôle d’une raison plus éclairée. Les décisions d’un magistrat, commes telles, ne lient pas les autres magistrats: elles ne lient mème pas le magistrat qui les a rendues dans les causes ulterieures qui peuvent lui être soumises: car il peut reconnaitre qu’il s’est trompé et réformer sa première jurisprudence.

S’il ne s’agissait que de faire ressortir la valeur de la décision arbitrate de 1875 comme précédent judiciaire par rapport à la présente cause, à coup sûr on pourrait élever cette valeur à la plus haute puissance: car les cas ne sont pas seulement semblables, ils sont absolument, identiques, ce qui est rare en jurisprudence, étant donné l’infinie diversité des faits avec lesquel le juge se trouve journellement aux prises.

[Page 776]

Mais ce n’est pas là le seul avantage que nous nous crojnons autorisés à revendiquer. Nous estimons et nous croyons pouvoir démontrer à l’evidence que la décision rendue en 1875 constitue chose jugée dans des proportions qui rendent nécessairement triomphante pour nous la cause d’aujourd’hui.

Nos adversaires ne méconnaissent pas, à la vérité, le principe de la chose jugée, bien que l’on puisse constater dans le développement de leurs moyens certaine trace de distinctions regrettables, par exemple, entre les jugements ordinaires et les jugements arbitraux, certaines expressions inexactes, comme celle de “quasi-arbitrage,” et même quelque tendance à parler ici de matière controversable—d’oú pourrait résulter une impression fâcheuse, n’étaient les déclarations catégoriques ultérieures. Messieurs, l’arbitre est juge et ses décisions sont inviolables. La justice internationale, par cela même que ses moyens d’exécution peuvent être dans certains cas plus précaires, a besoin, pour son f onction nement normal, de Far mure juridique de l’inviolabilité. Plus que toute autre elle doit se mouvoir dans une sphère qui la mette à l’abri des retours offensifs de nature à compromettre son caractère intangible et sacré. Il importe de veiller avec un soin jaloux à ce que rien n’ébranle, rien ne défigure la chose jugée en droit international.

Nous sommes tous d’accord sur le principe. Nous admettons tous également que la chose jugée peut être invoquée par le demandeur comme elle peut l’être par le défendeur, par celui qui a gagné son procès et par celui qui l’a perdu, celui-ci pouvant y chercher un abri contre une condamnation plus onéreuse.

Il semble bien que nous devious également reconnaître tous que la chose jugée est appelée à remplir une double fonction: l’une négative, ou l’on invoque l’existence d’un jugement antérieur pour exclure le renouvellement du même procès; l’autre positive, où l’on fait valoir la teneur du jugement antérieur comme norme régulatrice permanente entre les parties dans leurs autres différends. Ne pas admettre cette seconde fonction serait, ou peu s’en faut, retourner au droit romain de la période primitive, où l’on admettait uniquement que l’action était consommee par le fait de l’intenter ou tout au moins par le jugement rendu sur elle. C’était le simple non bis in idem; ce n’était pas la Veritas inter partes.

Les divergences de vues deviennent plus sérieuses lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui, dans les jugements considérés au point de vue de la diversité des éléments qui peuvent y être renfermés ou rattachés, doit constituer la chose jugée.

Une réponse adéquate et lumineuse se présente pourtant à l’esprit: l’autorité de la chose jugée s’étend à ce qui a été réellement statué par le juge. Le statut réel du juge dans l’intégralité des éléments que le constituent organiquement et nécessairement: voilà bien, ce semble, le terrain d’application de la chose jugée. Que la chose soit explicitement ou implicitement, mais réellement décidée, cela tient à la forme externe du jugement et n’affecte pas son contenu véritable. Il en est ici du jugement comme de la loi: c’est la volonté vraie du pouvoir qui est régulatrice, peu importe que la manifestation de volonté revête une forme explicite ou implicite, du moment qu’elle est réelle et certaine.

La place matérielle qu’occupe le statut du juge dans l’instrumentum judicii n’est pas davantage absolument décisive en soi. Dans certains pays, on accentue la distinction formelle entre ce qu’on appelle le dispositif et les motifs. Dans d’autres, on suit moins rigoureusement ce [Page 777] formalisme. Il est certain, en tout cas, qu’en droit des gens, les jugements ne sont pas soumis à des formes sacramentelles, qu’il faut partant s’attacher à la réalité des choses et se demander, en se plaçant à ce point de vue, quel est le véritable statut dy juge.

Si dans l’instrument qu’il rédige, le juge se bornait à formuler uniquement ce statut, la question se résoudrait toujours d’ellemême. Mais il se fait qu’ordinairement—et obligatoirement dans beaucoup de pays—le juge, en l’acquit de sa mission et pour dégager sa responsabilité, consigne dans l’instrumentum judicii des éléments expositoires indiquant comment il a été amemé à établir son statut quelles sont les considérations de fait ou de droit qui l’ont acheminé à sa sentence. Ni en eux-mêmes, ni dans sa pensée, ces éléments expositoires rie constituent son statut: ils énoncent de simples motifs de sa conviction. Et ici se pose la question: comment discerner, dans ce mélange éventuel d’éléments divers, ce qui constitue le véritable statut du juge et ce qui forme une simple exposition des motifs de ce statut? Comment le faire alors surtout que, comme en droit des gens, il n’y a pas de formalisme démarcateur.

Il semble, à première vue, que la solution du problème ne soit pas bien difficile dans les pays où la distinction formelle entre le dispositif et les motifs est méthodique. Ne suffit-il pas de considérer le dispositif comme contenant intégralement et exclusivement le statut du juge, et ce qu’on appelle les motifs ou considérants comme n’en faisant point partie? Il est certain, que lorsqu’on admet par définition que le dispositif est la partie du jugement qui, seule, contient le statut du juge, on en peut conclure que le statut du juge est proprement contenu dans le dipositif. Mais il suffit de jeter un coup d’œil sur les grands recueils d’arrêts des pays dont nous par nons, pour saisir bientôt que tout est loin d’être résolu par cette tautologie ou par la distinction formelle invoquée. D’une part, on est obligé de reconnaître, comme l’a fait M. Beernaert, qu’il peut se glisser dans le dispositif des éléments manifestement expositoires et qui, ne participant pas du véritable statut du juge, garderont un caractère différent, malgré leur place. D’autre part, on est amené pratiment à reconnaître à certains éléments qui ne sont pas dans le dispositif, tantôt un pouvoir élucidateur nécessaire quant au sens du dispositif, tantôt un lien tellement intime avec celui-ci qu’ils apparaissent comme étant ses fondements essentiels, inséparables. C’est ainsi que, même dans les pays dont nous parlons, on en revient par un détour á rechercher quel est au fond et dans sa réalité le véritable statut du juge, en reconnissant que la distinction purement formelle ne fournit pas toujours les éléments d’une solution adéquate et suffisante.

En ce qui concerne le droit international, nous l’avons observé, la question se pose dans des conditions qui ne permettent pas de la trancher par une distinction purement formelle.

Suivant nos adversaires, il ne faudrait considérer comme chose jugée que le résultat immédiatement pratique de la sentence, par exemple, la condamnation du défendeur à payer telle somme au demandeur. C’est ce que l’on appelle l’ordre, le mandatum proprement dit, en rapport immédiat avec les mesures d’exécution.

Laissons de côté cette observation—elle a peut-être cependant son importance—qu’il y a des jugements dont l’essence n’est pas à proprement parler un commandement ou une défense, mais qui sont simplement déclaratifs. Prenons la thèse de nos adversaires comme si elle [Page 778] était sans reproche à ce premier point de vue. Ce sera done le résultat immédiatement pratique en connexion avec les mesures d’exécution, qui ne pourra plus être remis en question: le reste demeure motifs de décision et n’a rien à voir avec la chose jugée.

Cette thèse est inadmissible. Non seulement elle réduirait la chose jugée à des proportions dérisoires, mais elle la ramènerait souvent à des éléments complètement inintelligibles. Soutiendra-t-on, par exemple, dans lecas présent, que le défendeur a été simplement condamné è payer au demandeur telle somme numériquement spécifié, et que la chose jugée interdit seulement à celui-ci de réclamer encore une somme numériquement la même, bien qu’elle soit tout autre dans sa caractéristique individuelle ou par sa cause de débition. Ce serait absurde.

Entendre ainsi la chose jugée non seulement conduirait à l’absurde, mais aboutirait à méconnaître la nature du pouvoir judiciaire en tant en tant que pouvoir chargé de dire le droit, jus dicere. Placé en face du litige qu’il est appelé à résoudre dans l’accomplissement de sa mission, le juge ne le tranche pas, comme on semble le croire, par un ordre pure et simple. Il ne crée pas le droit; il déclare, dans un cas donné, le droit des parties en cause d’une manière obligatoire pour celles-ci. Sans doute, toutes raisons qu’il est amené à formuler dans l’instrumentum judicii en vue d’expliquer sa décision et de mettre sa responsabilité à couvert ne doivent pas être confondues avec le statut judiciaire proprement dit; mais ce statut ne doit pas, d’autre part, être inutilé, artificiellement tronqué, de manière à dénaturer l’œuvre de juge. Pour demeurer ce qu’elle doit être, cette œuvre doit consister essentiellement dans la déclaration du droit des parties, dans ses éléments caractéristiques et essentiels, avec les conséquences pratiques qui en découlent.

Admettre la théorie de nos adversaires, ce ne serait pas seulement, dénaturer la mission du pouvoir judiciare, ce serait aussi dénaturer l’intention réele, commune, constante des parties. Que demandent les parties, dans une instance judiciaire? Que le juge déclare qui a le droit pour lui et tire les conséquences pratiques obligatoires de cette constation. Lorsque les parties se présentment devant le juge, elles ne le sollicitent pas de rendre un ordre exécutoire en blanc, sans plus. Elles lui demandendent de dire leurs droits respectifs d’une manière obligatoire et d’allouer, comme conséquence, les résultats pratiques qui en découlant.

Réduire le statut du juge à la détermination pure et simple de résultats, c’est prendre la partie pour le tout. C’est transformer l’elément consécutir de statut en élément exclusif. C’est donner le plus souvent au jugement une physionomie impénétrable, source d’inextricables embarras.

Il faut donc reconnaître que dans la décision du juge sainement entendue il y a plus que le résultat immédiatement pratique correspondant aux besoins de l’exécution: il y a la reconnaisance du fondement essentiel sur lequel le résultat repose et qui fait corps avec celui-ci dans le statut. La condamnation à payer tant d’années d’intésêts d’une rente déterminée implique l’existence de cette rente.

Examinons à la lumière de ces observations qui me paraissent claires, le cas qui se présente aujourd’hui devant nous.

Et d’abord dissipons une équivoque. Nous ne disons pas que nous réclamons aujourd’hui les intérêts que nous avons déjà réclamés autrefois. Nous ne disons pas que l’on ne puisse soutenir que les [Page 779] intérêts que nous réclamons ne sont pas dus pour telle ou telle cause qui ne porte pas atteinte à la chose antérieurement jugée; par exemple, que l’on à remboursé la rente ou qu’on à payé intégralement les intérêts. Tout cela ne parte pas atteinte au premier jugement.

Mais ce que nous vous demandons, Messieurs les arbitres, c’est de constater que le premier arbitre à déclaré que l’État du Mexique était redevable aux chefs de l’Eglise catholique en Californie d’une rente annuelle, caractérisée dans ses éléments essentiels, à concurrence des annuités échues et non payées. Nous vous demandons de reconnaître qu’il s’agit bien aujourd’hui de la même rente réclamée du même chef entre les mêmes parties. Et nous vous demandons tenir compte de la premiére décision, de nous allouer les intérêts maintenant échus et non payés, en respectant le statut antérieur dans ce qu’il à nécessairement et incontestablement résolu.

Nos adversaires, au contraire, veulent tout remettre en question, jusqu’à l’existence même de la rente dont ils ont été condamnés à payer vingt et une années d’intérêt.

Vainement leur disons-nous qu’en soutenant cette thèse ils se contredisent eux-mêmes: car enfin, d’une part, ils soutiennent que la cause du payement des intérêts ne peut rentrer dans les cléments constitutifs de la chose jugée et, d’autre part, ils indiquent comme élément essentiel des vérifications à établir pour constater la chose jugée, l’identité de cause.

Vainement encore leur faisons-nous remarquer que suivant leur système et dans l’hypothèse où leurs prétentions dans le litige: actuel seraient accueillies, il y aurait en réalité contradiction absolue, complète, saisissante, entre le jugement antérieur et le jugement d’aujourd’hui.

Nous avons beau leur faire observer que leur manière de voir non seulement aboutit à l’effacement de la chose jugée, mais mine fondamentalement l’économie même de son institution et contrecarre les deux fins poursuivies dans cet ordre par la puissance publique: ne pas éterniser les procès et assurer entre parties aux décisions de justice une efficacité permanente. Car la sentence du premier juge dans sa teneur essentielle et inséparable du résultat pratique attaché à ella sera anéantie, et le procès pourra indéfinement recommencer. Il tombe sous le sens, en effet, que dans le cas présent, s’il n’y à pas chose jugée pour le Mexique, il n’y à pas chose jugée pour les Etats-Unis, et qu’à l’échéance de chaque année d’intérêts, le litige pourra recommencer sur nouveaux frais et sur toute la ligne. Ingénieux système sans doute pour assurer toujours de la besogne à la Cour permanente d’arbitrage, mais auquel il est permis, à coup sûr, de préférer d’autres moyens de réaliser le même but!

Pour toute résponse, nos adversaires nous disent: Vous ne réclamez pas le mêmes intérêts qu’autrefois: la demande est différente: vous n’êtes plus dans les conditions d’application de la chose jugée. Mais nul ne soutient que l’indentité de demande ou d’instance soit nécessaire. Les loi parlent de l’indentité de l’object, du point contesté: ce qui n’est pas précisément la même chose. La question n’est done pas où on la place. Il s’agit simplement de savoir si le juge dans son premier statut n’a pas compris et dû comprendre les fondements essentiels de décision—qu’on les appelle motifs objectifs ou qu’on leur donne une autre dénomination, peu importe—et si l’on est autorisé à éliminer de la sentence des éléments dont la séparation ne se conçoit point, [Page 780] pour faire échec à la volonté patente, consciente, indiscutable du premier juge.

Et c’est allors que nos adversaires en viennent à soutenir cette thèse invraisemblable qu’en matière d’existence d’une rente, on ne peut jamais arriver à la chose jugée, et cela parce que l’inexigibilité du capital briserait foncièrement l’unité de l’obligation et que—suivant une vieille théorie qui n’est plus, que nous sachions, déf endue par personne aujourd’hui—nous serions en présence d’une succession d’obligations sans aucun lien entre elles! . . . . .

M. Beernaert. C’est l’opinion défendue par votre partie.

M. Descamps. Elle est vôtre et son application vous revient. Ainsi ce n’est pas le 23 octobre 1842 qu’est née pour le Gouvernement mexicain l’obligation de servir une rente annuelle dont la présentation devient exigible à chaque échéance, mais c’est chaque année qu’il naît une obligation solitaire complètement indépendante des autres! Mais ici nos adversaires se divisent, et c’est M. le Ministre du Mexique qui va faciliter ma tache en donnant la réplique à M. Beernaert, avec une vigueur dont je lui laisse l’honneur et la responsibilité:

On tente de séparer la prestation demandée, c’est-à dire une série d’annuités d’intérêts, de l’obligation générale de les payer, comme si c’était là deux choses différentes et susceptibles d’exister l’une sans l’autre. Quiconque prendra la peine d’examiner froidement la situation le verra: l’obligation de payer un intérêt periodique est une seule; c’est celle que contracte un débiteur en s’en imposant la charge; les échéances de cette obligation sont les différents et les successifs. On ne peut dire raisonnablement qu’il y ait autant d’obligations que d’échéances périodiques des intérêts. Le lien juridique est unique, mais avec cette modalité que les prestations auxquelles s’oblige le débiteur n’ont pas à être accomplies en une seule fois, mais à des époques consécutives. à chacune de ces échéances convenues, on peut exiger l’accomplissement de l’obligation primitive, et c’est la seule exigible.

Au demeurant, M. Beernaert abandonne parfois son opinion pour abonder dans les idées de M. Pardo. C’est ainsi qu’on peut lire à la page 6, ligne 11, des conclusions déposées par lui, à propos de la rente représentative du Fonds des Californies: “Le droit aux intérêts présuppose un droit de créance.” C’est précisément ce que dit M. Pardo, interprétant le droit mexicain.

La distinction entre les éléments additionnels, ajoutés à l’instrumentum judicii comme simples moyens d’exposer ou d’expliquer la statut du juge, et les élements essentiels qui font inséparablement et organiquement partie intégrante de la sentence, et qui ne se réduisent pas aux résultats immédiatement pratiques de celle-ci, est nécessaire, juste, pratique. On peut la mai interpréter, on ne la supprimera pas.

Les plus illustres commentateurs du droit romain l’ont mise en lumière et elle est, peut-on-dire, de jurisprudence mondiale.

En ce qui concerne le droit romain, auquel les interprétes du droit des gens recourent volontiers à titre de ratio scripta, l’autorité de M. de Savigny à fortement embarrassé M. Beernaert. Après avoir rendu un sincère et éloquent hommage au grand romaniste que fut son ancien maître, M. Beernaert l’a néanmoins jeté par-dessus bord en déclarant que son opinion était “isolée.” Que notre illustre contradicteur se détrompe. Dans un ouvrage classique sur le droit romain, le célèbre prof esseur de l’université de Berlin, Dernburg, n’hésite pas à qualifier l’opinion de Savigny d’opinion dominante: “Die herschende Ansichte.” Et cela est important à signaler ici parce que, comme l’a fait observer M. Ralston, l’éminent agent des Etats-Unis, Savigny n’a pas seulement justifié sa doctrine par des raisons lumineuses; il l’a précisément [Page 781] appliquée au cas qui nous occupe dans les termes suivants: “Quand le défendeur à été condamné à payer les intérêts d’un créance ou les arrérages d’une rente, après avoir contesté le droit du demandeur au capital ou à la rente, ce droit se trouve investi de l’autorité de la chose jugée par la condamnation.” Et cette solution est aussi justifiable en raison que fondée sur la réalité des choses. Il n’y à pas de génération spontanée d’intérêts. La débition d’arrérages éch u implique l’existence de la rente. Le juge est tenu, à raison même de la demande de paiement des arréarages, de s’occuper aussi de l’existence de la rente. Il doit examiner cette question complètement, la discuter et la décider. Ce n’est done pas sans raison que la puissance publique attachera à son statut sur ce point l’autorité de la chose jugée pourra, comme Veritas inter partes reconnue par le pouvoir, servir de fondement à des demandes ultérieures.

Pénétrons-nous bien de la réalité des choses et observons d’autre part le point de vue immédiat auquel se place le juge lorsqu’il rédige sa sentence. En rédigeant souvent dans une courte formule le résultat immédiatement pratique de son statut, le juge n’entend pas nécessairement pour cela, réduire ce statut à ce seul point; mais il porte à bon escient son attention spéciale sur les exigences d’exécution qui vont suivre sa sentence. C’est ainsi, qu’il d’éterminera en ce qui concerne une dette dont les intérêts sont réclamés, ce qui est liquide et immédiatement sujet à exécution. Est-ce à dire que l’existence de la dette soit étrangère à son statut? C’est la base substantielle et inséparable de sa décision, ou plutôt c’est la décision essentielle à laquelle s’attache le résultat immédiatement pratique comme corollaire de liquidation et d’exécution.

L’opinion que nous soutenons ici est en harmonie avec les grands courants de la jurisprudence dans les deux mondes. Mes confrères américains ont mis ce point en lumière non seulement pour la sphère anglo-américaine mais encore pour les autres parties du monde juridique.

Il faut bien reconnaître que sous cette dénomination: les motifs, on peut dans la réalité comprendre deux choses très distinctes: de simples éléments d’ordre explicatif et les bases substantielles de la décision. Celles-ci constituent avec les résultats immédiatement pratiques les éléments constutitifs essentiels et véritables du statut, et forment le terrain d’application de la chose jugée.

En tout cas il importe de se rappeler que la question ne se pose pas précisément en droit international comme dans le droit positif de tel ou tel Etat. Sur le terrain où nous discutons présentement, il n’y à pas de formes sacramentelles: la réalité, le bon sens, la bonne foi nous conduissent seuls à déterminer dans tel cas donné le véritable statut du juge, et à dire: à ce statut, l’on ne touchera point par des retours offensifs.

Après avoir essayé de mettre en lumière la consistance juridique de la chose jugée considérée dans éléments naturels, attachons-nous à serrer d’aussi près que possible les faits de la cause: nous y trouverons une éclatante confirmation de la thèse que nous défendons.

Et d’abord examinons la sentence même, rendue par Sir Edward Thornton en 1875.

On à été dur, Messieurs, pour le surarbitre: on à dit qu’il n’était pas jurisconsulte, que sa décision manquait de clarté, qu’elle avait été rendue “sans examen, ou du moins sans grand examen” …

M. Beernaert. Des chiffres!

[Page 782]

M. Descamps. Soit, ils ont ici leur importance. On à dit aussi que la question n’ayent pas été plaidée devant lui comme elle l’est devant la Cour actuelle, il était bon de n’accepter que sous caution cette première sentence. On à été plus loin encore dans la correspondance diplomatique.

Pour moi, je le dis en toute sincérité, j’ai été frappé de la manière dont le surarbitre, en si peu de mots, à si nettement élucidé tant de questions qui se rattachent au présent litige. La sentence du surarbitre occupe à peine quatre pages du Mémorial qui nous à été distribué par les soins des Etats-Unis d’Amérique. Combien lumineuse et substantielle à la fois nous apparaît la décision arbitrale! Et combien consciencieuse l’investigation de l’arbitre!

Il y a, Messieurs, encore aujourd’hui, dans la cité de Londres un homme qui à été investi par son Gouvernement des plus hautes fonctions publiques; il à été nommé ministre d’Angleterre à Washington. Cet homme à été élevé à une dignité plus haute encore à certains égards: celle d’arbitre international, comme le sont les juges que j’ai devant moi. Et cet homme, après avoir tout examiné, tout étudié, s’est recueilli dans sa conscience; puis, au moment de prononcer son statut, avec une modestie qui nous émeut, il s’est exprimé en ces termes:

Dans le cas de Thaddée Amat, évêque de Monterey, et de Joseph S. Alemany, archevêque de San Francisco, contre de Mexique, n°. 493, il ne sera pas possible au surarbitre de discuter ici la variété des arguments qui ont été produits des deux cotés. Il ne pourra qu’établir les conclusions (to state the conclusions) auxquelles il est arrivé après une soigneuse et longue étude de tous les documents qui lui ont été soumis.

Remarquez, Messieurs, les mots: to state the conclusions. En nous tenant strictement à la thèse du Gouvernement mexicain, suivant laquelle la “partie conclusive” de l’œuvre du juge aurait force de chose jugée, nous serions amenés à englober tout l’instrument de Sir Edward Thornton dans son statut proprement dit. Nous n’irons pas jusque-là, et en vérité, cela n’est pas nécessaire.

Le surarbitre continue en déclarant qu’il va “rendre sa décision avec un profond sentiment de l’importance de l’affaire, conformément à ce qu’il considère comme juste et équitable, dans la mesure où il peut faire fond sur son jugement et sur sa conscience.”

Voilà, messieurs, en quels termes s’est exprimé en commençant le surarbitre dont on vous demande de reviser aujourd’hui radicalement la sentence, rendue, dit-on, “sans examen ou du moins sans grand examen.” Sentence vrairaent remarquable de précision et de raison, où sont tranchées comme par leur racine toutes les questions si longuement agitées devant lui, si longuement débattues encore devant vous.

Et voyez! Voici d’abord comment il fixe la nationalité des demandeurs et détermine le moment où l’Eglise catholique de la Haute-Californie est entrée dans l’allégiance des Etats-Unis.

La première question à considérer est la nationalité des demandeurs.

Sur ce point le surarbitre estime que l’Eglise catholique romaine de la Haute-Californie devint une corporation de citoyens des Etats-Unis, le 30 mai 1848, le jour où. fut ratifié le traité de Guadalupe-Hidalgo.

Voici comment le surarbitre tranche la question de sa compétence au point de vue du compromis et du traité de Guadalupe-Hidalgo.

Pour toute réclamation dont le fait déterminates serait antérieur à la date du traité de Guadalupe-Hidalgo, les demandeurs ne seraient pas autorisés à comparaître devant la commission mixte instituée par la Convention du 4 juillet 1868; mais une réclamation dont le fait déterminateur est postérieur à cette date rentre dans la compétence de la Commission.

[Page 783]

La question de la nationalité des demandeurs et celle de la compétence de la Commission étant ainsi tranchées, le surarbitre arrive au coeur du litige: il s’agit de l’intérêt du fonds appelé “Fonds pie des Californie,” de la débition de la rente, du droit des évêques de la Haute Californie comme successeurs de Diego. Et voici comme il établit dans le chef des ayants-droit actuels le titre à exiger le paiement de l’intérêt annuel autrefois payé à Diego:

S’il est vrai que cet intérêt eût été payé au Très Révêrend François-Garcia Diego, évêque de Californie avant la séparation de la Californie de la République du Mexique, il appert au surarbitre qu’une bonne part doit en être payée maintenant et depuis le 30 mai 1848 aux demandeurs qui, selon lui, sont les successeurs directs de cet évêque, en tant qu’il s’agit de la Haute-Californie.

En d’autres termes, si l’obligation de payer la rente à existé en vers Diego, elle doit persister en vers ses successeurs dans la mesure où ils sont en effet ses successeurs.

On à discuté à perte de vue sur le caractère propre du Fonds des Californies, sur le but essentiel, soit religieux, soit national qu’il faut lui attribuer. Le surarbitre traite ce point en ces termes: “Le Fonds pie des Californies à été le réultat de donations faites par plusieurs personnes privées dans le but d’établir, d’aider et de maintenir les missions catholiques romaines en Californie et de convertir à cette religion catholique les pa’iens de cette région.” “L’objectif des donateurs, ajoute-t-il, était sans aucun doute principalement l’avancement de la religion catholique romaine.” “L’on comprend aisément, dit-il encore que le Gouvernement espagnol fût heureux de profiter des sentiments religieux de ses sujets et vit avec grande satisfaction que leurs donations contribueraient beaucoup à la conquête politique des Californies, mais le but des donateurs était seulement la conquète religieuse, bien qu’eux aussi aient ressenti quelque fiertée, sachant qu’ils contribueraient en même temps à l’extension des possessions de l’Espagne.”

La parte à attribuer aux demandeurs dans la rente est ensuite fixée par le surarbitre à la “juste moitié”: c’est la base généralement adoptée dans les partages à défaut d’autre critérium de répartition nettement admissible. Le montant annuel à échoir est alors déterminé en conséquence. Et la somme d’ensemble à payer pour vingt et un ans échus et non payés est additionné pour être ad jugée, sans intérèt des intérêts toutefois.

Tel est le statut arbitral dans l’ensemble des éléments qui le composent et l’édairent. Il fait lumineusement justice de tout ce qui, dans les prétentions des défendeurs, pourrait tendre à l’ébranler, à l’enever ou à le défigurer.

Non, ce n’est pas simplement une somme numérique que le surarbitre à déclare nous être due, c’est bien une rente annuelle, à concurrence de vingt et une années échues et impayées, une rente formant la juste moité des produits du Fonds Californies, capitalisé à 6 pour cent et dont l’arbitre à déterminé le montant suivant de probantes données et conformément à l’équitè. La défense à critiqué ces données avec une extrème vivacité et beaucoup de fantaisie. Car elle est arrivée à con dure que ce que M. Mariscal lui-même à appelé un “don magnifique “était un simple trompe-l’œil, quelque chose comme un bilan vèreux. C’est trop démontrer pour prouver quelque chose, et le procédé de demonstration était d’ailleurs trop élémentaire: biffer ce qui ne convient pas et rompre ainsi la balance de l’actif et du passif. Il y [Page 784] a, Messieurs, une partie du jugement arbitral que je ne vous ai point lue et que ces attaques m’amènent à vous lire. Voici ce que dit l’arbitre en appréciant l’attitude prise par le Mexique concernant la teneur du Fonds des Californies:

Il n’y à pas de doute que le Gouvernement mexicain ne doive avoir en sa possession tous les comtes et documents relatifs à la vente des biens fonciers appartenant an Fond pie et aux produits; cependant, ils n’ont pas été fournis et la seule conclusion que l’on puisse tirer du silence sur ce point est que le montant des produits actuellement reçus par le Trésor n’était, tout au moins, pas inférieur à celui qu’allèguent les demandeurs.

Si le Gouvernement mexicain critique aujourd’hui—de bonne foi, je n’en doute pas, mais sans grand succès de lumière, puisqu’il allègue surtout la destruction accidentelle de documents—le montant du Fonds fixé par le premier arbitre, il faut reconnaître qu’il y à eu faute initiale de son côté et il semble juste dès lors de lui appliquer la maxime usuelle: “Adscribat sibi!

J’ai tenu, Messieurs les Arbitres, à relever dans leur texte, en les accompagnant d’un bref commentaire, les points saillants du jugement arbitral de 1875. Les décisions du surarbitre concernant les demandes en revision de la sentence introduites par le Mexique et spécialement la dernière décision (24 octobre, 1876), rectifiant une erreur d’arithmétique et fixant à nouveau et le total du fonds (1,135,033 dollars), et la moitié de l’intérêt de cette somme à 6 p. c. (43,050.99) et, en conséquence, la somme des intérêts dus pour vingt et un ans (901,070.29), méritent également d’être signalés.

Je crois avoir démontré que le premier arbitre à statué en réalité, et n’aurait pas pu faire autrement que de statuer sur la débition de la rente annuelle, fondement juridique essentiel et inséparable de l’attribution de vingt et une années d’arrérages échus et non payés.

Mais voici l’objection de nos adversaires: dans ce cas, disent-ils, l’arbitre à statué ultra petita, car l’objet de la demande était seulement les arrérages de quelques années. Mais comment soutenir un seul instant, après lecture des mémoires des deux parties devant les commissaires, des opinions formulées par ceux-ci, notamment par le commissaire mexicain, des nouveaux mémoires présentés par les avocats du Mexique au surarbitre après le désaccord des commissaires, que l’existence de la rente n’a pas fait l’objet des débats et des conclusions des parties.

L’existence ou l’inexistence de l’obligation de payer une rente annuelle! Mais les parties n’ont ent quelque sorte, discuté que cela; car le fait du non-payement des arrérages à concurrence de vingt et une années n’était pas contesté.

Les conséquences du statut du juge sur ce point comme norme des décisions de l’avenir! Mais elles ont été nettement saisies et itérativement signalées par les organes autorisés de l’opinion du Gouvernement du Mexique et par le membre mexicain de la Commission mixte.

Ecoutez Avila, le plus advisé défenseur du Mexique:

Il serait curieux de nous voir payer un tribut perpétuel au profit des Etats-Unis et d’une secte religieuse. (Mémorial, p. 551.)

Ecoutez Zamacona, le commissaire mexicain:

Voici que les réclamants veulent changer la situation, et obliger le Mexique à payer le tribut perpétuel d’une rente à certaines corporations américaines. (M., p. 543.)

Les défenseurs du Mexique avaient done la parfaite clairvoyance des conséquences d’un jugement arbitral éventuellement défavorable à leur cause. Et eux-mêmes donnaient de la rente annuelle dont les [Page 785] demandeurs sollicitaient la reconnaissance à leur profit cette définition: “C’est une rente perpétuelle.” En cela ils ne se trompaient point et étaient d’avance d’accord avec les maîtres de la science du droit définissant précisément ainsi les rentes perpétuelles. “Les rentes perpétuelles sont celles dont le service n’est pas limité à une durée déterminée.” Le service des arrérages, disent-ils encore, est l’exécution de l’obligation et non sa cause génératrice. Nous empruntons ces lignes à MM. Aubry et Rau sur Zacbarie.

Je voudrais maintenant signaler un fait sur lequel j’ai le devoir d’appeler l’attention toute spéciale de la Cour parce que je le considère comme décisif contre toute tentative que pourrait faire présentement le Mexique de restreindre la portée de la décision arbitrale de 1875 à un simple statut sur des intérêts sans lien avec la reconnaissance de l’obligation même concernant la rente. Non seulement le Mexique à sollicité de l’arbitre une décision sur ce point, mais il à voulu obtenir à cet égard, en sa faveur, une interprétation authentique du statut arbitral dans des conditions vraiment singulières.

Voici quelques extraits de la correspondance diplomatique qui à eu lieu immédiatement après la decision arbitrale définitive.

Nous lisons dans la note adressée par Avila à M. Mariscal, en date du 21 novembre 1876:

Dans la réunion que les agents et les secrétaires de la Commission ont tenue hier pour publier les dernières décisions de l’arbitre, j’ai présenté par écrit certains exposés dans le but d’obtenir leur insertion dans le registre des délibérations de ce jour, mais je n’obtins point cette insertion, parce que l’agent et le secrétaire des Etats-Unis estimèrent que cela ne devait pas être.

Et voici le point dont Avila demandait l’insertion:

Que la réclamation concernant le Fonds pie fût considérée comme final ement réglée in toto et que toute autre nouvelle réclamation quant au capital du dit fonds ou à ses intirSts accrus ou à accroitre dût être considérée comme inadmissible pour toujours.

C’est-à-dire qu’Avila, conformément aux instructions du Gouvernement mexicain, demandait une interprétation officielle et authentique de la sentence rendue, constatant qu’elle impliquait décision concernant le sort de la rente elle-même et des intérêts à échoir comme des intérêts échus.

Et voici comment répondit M. Hamilton Fish à la communication que lui fit M. Mariscal de la note d’Avila:

Vous apprécierez de suite mon extrème aversion, au moment où l’obligation de chaque Gouvernement de considérer le résultat dans chaque case comme absolument final et concluant devient parfaite, en voyant que le Gouvernement du Mexique à fait ou se propose de faire des démarches qui altéreraient cette obligation.

M. Mariscal se tira d’affaire comme il pouvait en répondant à la date du 3 décembre:

Señor Avila à voulu seulement exprimer l’opinion de son Gouvernement quant à l’impossibilité de réclamer dans l’avenir le capital du Fond pieux dont l’intérêt accumuié sera maintenant payé conformément au jugement. Il s’efforce d’éviter si possible une réclamation future des parties interessées par l’intermédiaire des Etats-Unis, mais il ne prétend pas mettre en doute la présente decision.

Il est inutile d’insister sur la différence entre la première suggestion d’Avila et l’explication ultérieure de ses intentions après la réponse des Etats-Unis. Ce que nous avons tenu à mettre en relief, c’est l’insttruetion donnée par le Gouvernement mexicain à ses agents d’obtenir une interprétation de la sentence arbitrale impliquant statut sur [Page 786] l’existence mème de la rente: ce qui ne lui permet guère, se semble, de soutenir le contraire sans se mettre en fâcheuse posture. Ce qu’il est peut-être bon aussi de constater, c’est l’accori tacite des deux Gouvernements, à la suite de cet incident, pour ne plus soulever de complications entre eux concernant le Fonds Calif ornien avant l’accomplissement complet des obligations contenues dans la sentence. Et ceci n’est pas sans importance: car, d’une part, il explique l’absence de réclamations avant cet accomplissement et, d’autre parte, il met en relief l’impossibilité de transformer ce silence en moyen de prescription pour le Gouvernement mexicain.

Ainsi, en résumé, non seulement le premier arbitre à statué manifestement sur l’existence de la rente annuelle, non seulement les demandeurs et les défendeurs ont débattu à fond ce point et adopté des conclusions opposées, mais le Gouvernement mexicain à sollicité une interprétation authentique du jugement impliquant statut sur le même point essentiel. Comment ce Gouvernement pourrait-il aujourd’ hui avec quelque succès soutenir une thèse différente?

Je voudrais maintenant essayer de montrer à quel point le système défendu par nos adversaires est contraire non seulement à l’esprit, mais aux dispositions formelles d’un Acte que la première Cour d’arbitrage siégeant à La Haye ne reniera certainement pas: la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux.

La Conférence de La Haye s’est occupée à trois reprises de la chose jugée et elle l’a fait dans des conditions que j’ai le devoir de rappeler brièvement ici.

A l’article 18 la Convention,—à laquelle ont souscrit les deux parties aujourd’hui en litige,—elle s’exprime comme suit:

La convention d’arbitrage implique l’engagement de se soumettre de bonne foi à la sentence arbitrale.

Et le commentaire du rapporteur est significatif:

Le trait caractéristique de l’arbitrage est précisément la soumission con venue des Etats à un juge de leur choix, avec l’engagement qui en découle naturellement de se conformer Ioyalement à la sentence.

Oui, se conformer, c’est-à-dire non seulement exécuter, mais tenir d’une manière permanente la sentence pour norme régulatrice des rapports juridiques, en un mot, la considérer comme Veritas inter partes, et tout cela de bonne foi, sans subterfuge ni retour offensif. à coup sûr, toutes les intentions demeurent sauves, mais les faits doivent d’autre part être constatés dans leur teneur objective.

La conférence s’est occupée une seconde fois de la chose jugée à l’article 55, à propos de la question de savoir si et dans quelle mesure il fallait admettre une procédure spéciale en revision. Elle à déclaré que les parties pouvaient se réserver dans le compromis cette faculté et elle à organisé, en vue de cette hypothèse, le système d’une revision, strictement limitée quant à la juridiction appelée à en connaître, quant aux faits qui peuvent la motiver et quant au délai dans lequel elle serait recevable.

Voici le texte de l’article 55:

Les parties peuvent se réserver dans le compromis de demander la revision de la sentence arbitrale.

Dans ce cas et sauf convention contraire, la demande doit etre adressée au tribunal qui à rendu la sentence. Elle ne peut être motivée que par la découverte d’un fait nouveau qui eût été de nature à exercer une influence décisive sur la sentence et qui, lors de la clôture des débats, était ineonnu du tribunal lui-même et de la partie qui à demandé la revision.

[Page 787]

La procédure de revision ne peut être ouverte que par une décision du tribunal constatent expressément l’existence du fait nouveau, lui reconnaissant les caractères prévus par le paragraphe précédent et déclarant à ce titre la demande recevable.

Le compromis détermine le délai dans lequel la demande de revision doit être formée.

On voit combien la Conférence à été pénétrée de la nécessité de terminer définitivement les litiges déférés à la justice arbitrale et de ne pas ébranler l’atorité des sentences rendues par les arbitres. Mais il y à dans la Convention de la Haye un article plus intéressant encore, et qui accuse clairement, avec la volonté de la Conférence de sauvegarder en tout cas l’autorité de la chose jugée, son dessein d’en étendre les effets régulateurs et pacificateurs non seulement à des points de fait, mais à des points de droit servant de bases aux jugements, non seulemente entre les parties immédiatement en cause, mais entre toutes les parties éventuellement intéressées. L’initiative de cette proposition ingénieuse revient à M. Asser. Voici son économie. La chose jugée n’est obligatoire qu’entre parties. Mais en droit international, spécialement dans les conventions appelées unions universelles, il y à de trés nombreuses parties, souvent intéressées également à la solution de tel litige. Par exemple tel Etat à parçu la taxe postale de telle façon; un autre lui conteste cette manière de procéder. Il faut recourir à un arbitre. Mais la décision, quelle qu’elle soit, ne constituera chose jugée qu’entre parties. Cela peut être regrettable. De là l’organisation d’un système de mise en cause de tous les Etats participants à une même convention en vue d’obtenir une décision judiciaire qui les liera tous.

Voici le texte de l’article 56.

La sentence arbitrale n’est obligatoire que pour les parties qui ont conclu le compromis.

Lorsqu’ il s’agit de l’interprétation d’une convention à laquelle ont participè d’autres Puissances que les Parties en litige, celles-ci notifient aux premières le compromis qu’elles ont conclu. Chacune de ces Puissances à le droit d’intervenir au procès. Si une ou plusieurs d’entre elles ont profité de cette faculté, l’interprétation contenue dans la sentence est également obligatoire à leur égard.

Voilà comment la Conférence de La Haye à témoigné de sa volonté de consolider et d’étendre l’autorité de la chose jugée.

Au contraire—et c’est là, à mon sens, une remarque d’importance capitale,—la thèse soutenue par nos adversaires tend à rendre impossible, sauf dans des proportions dérisoires, l’existence même d’une chose jugée et le fonctionnement nécessaire de son autorité dans d’immenses domaines du monde juridique pratique. En effet, pour toutes les obligations dont l’exécution est successive, impossibilité radicale d’arriver à la chose jugée. Vous réclamez les éléments exigibles, les termes échus d’une créeance dont la capital ne peut, pour le moment, être réclamé? Impossibilité radicale d’arriver à la chose jugée en cette matière. Chaque année, bien qu’il ait été établi par le juge que la créance était dueet qu’il n’ait fait que liquider les intérêts exigibles en conséquence, la controverse pourra reprendre à fond et donner lieu à des jugements successivement contradictoires.

Dans le cas présent, où l’on ne conteste nullement—le compromis en contient l’aveu formel—que les arrérages de la rente n’ont pas été payés depuis trente et un ans et où la contestation porte et à toujours porté en réalité sous l’existence ou la non-existence d’un droit à la rente annuelle, c’est précisément sur ce point que la chose jugée devrait être écartée. Si les Etats-Unis ont gain de cause dans [Page 788] le présent litige, le Mexique pourra, dans un an, à la première échéance, recommencer le procès à fond et sur toute la ligne; et si le Mexique triomphe, les Etats-Unis pourront faire de même. Est-ce admissible?

Et en supposant même que cela fût possible dans le droit strict de tel ou tel pays, est-ce admissible en droit international où dominent ces deux grands principes:—le principe de bonne foi qui écarte les solutions de strict droit reposant soit sur un formalisme outre, soit de purs expédients de procédure,—le principe de la nécessité impérieuse de terminer les conflits au lieu perpétuer et de les multiplier.

Et ceci me conduit à présenter à la Cour une observation dont la portée ne lui échappera point. Cette observation n’est pas de moi; elle m’a été faite par un de mes éminents collégues de l’Institut de Droit international, dont je suis autorisé à citer le nom, mais qu’il me parait inutile de mèler à ce débat, la valeur objective de l’observation étant suffisante. Voici done ce qu’il me disait: “Quelque controverse que l’on puisse soulever dans les diverse pays, quelque subtilité que l’on puisse invoquer,la présomption dans les arbitrages internationeaux doit toujours être que les Etats en cause ont engagé la question et que le juge l’a résolue dans des conditions qui permettent d’en finir. Toute autre supposition est inadmissible en mátière de procédure arbitrale internationale.”

On peut ajouter qu’elle est le plus souvent et très expressément contre dite par le libellé même des compromis d’arbitrage, lesquels déclarent vouloir régler d’une manière concluante les différends en question, et non les éterniser et less envenimer par d’incessantes revisions à perspectives contradictoires.

Je viens de citer l’opinion d’un de mes collègues de l’Institut de droit international. Si je Pai fait, c’est surtout pour montrer qu’il ne faut pas toujours concluredu national à l’international, etque certaines questions posées sur le terrain du droit des gens peuvent se colorer de teinte particulière, dont il est juste et nécessaire de tenir compte.

Mais, au fond, dans cette affaire, la question qui se débat est moins une question de haute science qu’une question générale de bon sens et de bonne foi. Que l’on enfasse l’expérience. Que l’on expose au premier venu qu’un différend s’est élevé entre les Etats-Unis et le Mexique concernant le paiement d’une rente de 43,000 dollars environ; que les deux Etats sont convenus en 1868 de recourir à une juridiction arbitrale, que l’arbitre à condamné le Mexique, à payer aux Etats-Unis vingt et une années d’arrérages—vingt et une fois 13,000 dollars,—pour les années échues et de la rente. Si l’on ajoute que le Mexique, depuis la sentence de l’arbitre, à refusé de payer annuellement les 43,000 dollars et allègue aujourd’hui que la rente n’existe pas et n’a jamais existé, l’interlocuteur répondra invariablement:

C’est une chose jugée, cela: le premier juge à manifestement décidé le contraire. Aussi ce que le Mexique à de mieux à faire, ce semble, c’est de payer volontairement les arrérages actuels afin de ne pas être condamné judiciairement, comme précédemment, à payer les arrérages en souffranee.

C’est un peu ce qu’ont répondu les États-Unis au Mexique lorsque celui-ci, après avoir refusé de liquider l’arrière déclarait qu’il n’y avait qu’une seule voie pour terminer le différend: le recours aux tribunaux mexicains interprétant souverainement la sentence du premier arbitre international. Vous ne voyez qu’une voie, ont répondu les Etats-Unis et nous nous en voyons trois autres: payer, transiger, plaider [Page 789] devant une juridiction arbitrale internationale. Celle-ci est l’organe naturellement appelé dans le cas présent à décider si et dans quelle mesure la première sentence arbitrale doit garder l’ineffaçable empreinte de la chose jugée et demeurer la norme régularisatrice de notre différend. C’est ainsi que nous avons été amenés aujourd’hui devant la Cour d’arbitrage de La Haye à discuter à fond la grande question qui donne à cette arbitrage une physionomie distinct entre tous les autres.

Permettez moi, Messieurs, en terminant l’examen de cette question, de rappeler un souvenir qui se rattache à l’époque où le Mexique conquit son indépendance. à cette époque troublée, alors que les passions s’agitaient encore—et la passion est parfois mauvaise conseillière non seulement pour les individus, mais pour les peuples—l’Etat mexicain n’hésita pas à prendre une résolution qui honore aujourd’hui encore son Gouvernement. Cette résolution est consignée dans le Décret du 28 juin 1824, lequel porte ce qui suit:

Le Congrès souverain des Etats-Unis mexicains, voulant donner un témoignage de son respect pour la foi publique et de son observation rigoureuse des principes de justice, ayant en vue l’établissement sur des bases solides du crédit national, décrète:

Sont reconnues les dettes contractées dans la nation mexicaine par le Gouvernement des Vice-Rois.

Parmi les charges du passé, il en est une qui à un caractère que j’appellerai intangible: c’est celle qui se rattache au Fonds des Californies et à sa contre-valeur représentée par la rente annuelle dont nous réclamons la prestation. Les sanctions géminées de la religion et de la législation ont mis cette charge à l’abri des mainmises contraires à sa destination.

De bonne foi, le Gouvernement mexicain à soutenu devant la pre mière juridiction arbitrale qu’il n’était pas obligé à payer cette dette aux ay ants droit. La décision arbitrale de 1875 lui à prouvé qu’il la devait.

De bonne foi, le Gouvernement mexicain, après la première sentence à demandé la revision de la décision arbitrale. Sauf rectification d’une erreur mathématique, cette revision ne lui à pas été accordée.

En toute bonne foi, le Gouvernement mexicain soutient actuellement et de nouveau la même thèse qu’autrefois. Je ne doute pas, quant à moi, que la juridiction arbitrale de 1892, en accord avec celle de 1875, ne prouve à l’État du Mexique qu’il eut bien fait de liquider les termes échus d’une obligation de rente dont l’existence à été constatée par le premier juge.

A quelque chose, toutefois, erreur peut être bonne. J’ai la con fiance que des délibérations actuelles de la Cour sortira une sentence qui, loin d’ébranler ou de défigurer la chose jugée, la consacrera pour l’ordre international dans ses éléments essentiels, dans sa portée véritable, dans des conditions où elle puisse remplir efficacement sa haute mission: terminer les différends internationaux, assurer au contenu des statuts des arbitres une valeur permanente entre les parties et prévenir des retours offensifs qui compromettraient l’inviolabilité souveraine de la justice arbitrale.

Je prie le Tribunal de vouloir bien me permettre de continuer ma pladoirie demain matin, me sentant un peu fatigué.

M. le Président. Est-ce que l’autre conseil des Etats-Unis d’Amérique, M. Penfield, ne pourrait pas parler maintenant?

Mr. Ralston. Mr. Penfield is not here at the present time, because he had anticipated that M. Descamps would require the rest of the [Page 790] afternoon, and he had some final work to do. I could communicate with him, perhaps, but I believe it would be à saving of time not to ask him to break in at this moment.

M. le Président. On pourrait lui téléphones

Mr. Ralston. I can telephone for him immediately, but I think 1 could assure the members of the court, if it would affect their judgment, that Judge Penfield when he commences will not take more than two hours.

Sir Edward Fry. Then he would get through half the speech to-day.

M. Asser. One hour to-day and one hour to-morrow.

Mr. Ralston. That to à degree destroys the continuity of his speech. The judge has been very solicitous that he should have an opportunity of speaking straight ahead, and I feel therefore bound to make that statement to the court. He has mentioned the matter to me heretofore.

M. le Président. Il est désirable d’en finir; à la demande du conseil des Etats-Unis le Tribunal s’ajourne à demain matin 9 h.¾.

(Le Tribunal s’ajourne à mardi le 30 septembre 9¾ heures du matin.)