treizième séance.

L’audience est ouverte à 2 h. 1/2, sous la prtsidence de M. Matzen. M. le President. La parole est au conseil des Etats-Unis Mexicains, M. Beernaert.

M. Beernaert. Messieurs, je crois avoir eu ce matin Phonneur de demontrer que la chose jugée ne porte que sur Pordre de juge, ordre qui ne peut jamais exceder la demande, et qu’à ce seul point de vue elle ne peut nous être opposee. Je crois avoir dtmontre du même coup, et sans qu’il faille y insister davantage, que dans Pespece Pune des autres conditions essentielles de la chose jugée vient à manquer aussi: c’est qu’entre les deux demandes il n’y à pas identite d’objet. La premiere portait sur 21 annuites bien determinees, de 1848 à 1870, et il s’agit maintenant de 32 autres annuites, tgalement determinees, et qui portent sur les anntes 1870 à 1902. Entre les deux demandes, Pidentitt d’objet ne pourrait se concevoir que si l’on avait pretendu et si l’on prttendait encore à un droit perpetuel, puisqu’alors on pourrait dire [Page 730] que toutes ces annuites ne constituent que des parties d’un rneme tout; mais, vous savez que ce n’est point ce qu’on à reclame naguere, que ce n’est pas ce qu’on reclame aujourd’hui, et vous savez aussi pourquoi on ne pourrait pas le reclamer;—je n’ai done plus à y insister.

Et j’aborde le troisieme ordre d’idees qui doit, à mon avis, faire ecarter la chose jugée.

Etant donné que d’apres les demandeurs il s’agit d’actions multiples naissant d’annSe en anne, s’ouvrant par le non paiement, etant donné dis-je qu’il s’agit d’actions ainsi independantes les unes des autres, il ne peut pas y avoir entre ces demandes successives et multiples cette absolue identite de cause que la chose jugée comporte necessairement; certaines annuites pourraient être ref usees alors que d’autres auraient été adjugées, sans qu’il y eut entre le jugement qui admet et le jugement qui rejette aucune contrariete. Cette observation slelle seule me parait decisive:

On à represents à vingt reprises ce litige comme s’il s’agissait d’un capital du et produetif d’intérêts dont une partie à determiner reviendrait aux eveques de la Haute Californie, ou si l’on aime mieux, d’une rente perpetuelle.

Et partant de ces premisses on dit: comment serait-il possible qu’apres avoir une premiere fois allouS des intérêts pour quelques annees on n’en allouerait pas pour les annees suivantes?

Mais c’est la une confusion qu’il importe de dissiper. Il ne s’agit pas ici d’un capital. Mon collegue, M. Delacroix vous a, je pense, demontre que dans ce procès il n’est en aucune fa$on question d’un contrat civil, qu’à l’origine et à la base de la reclamation il n’y à ni depot, ni pret, ni vente, ni rien de semblable; il s’agit d’un fonds constitue naguere dans un intérêt public et affecte à des intérêts publics; c’est à une part de ce fonds que l’on pretend droit.

Or, même en faisant abstraction de tout ce que j’ai plaidS ce matin, demandons-nous quelle est des lors la situacion. Vous pretendez avoir droit à une proportion donnee, 85 pet. d’apres vous, du revenu du capital formant aujourd’hui, dites-vous, le Fonds Pie de Californie. Eh bien, pour que vous puissiez être admis à reussir dans cette pretention-la, il y à trois conditions qu’il faut que vous remplissiez et que vous devez remplir successivement chaque annee à propos de chaque demande: Vous avez d’abord à Stablir votre qualite, et votre qualite doit resulter et de l’existence d’une Eglise catholique en Californie et du maintien de la legislation américaine actuelle qui donné à cette Eglise la personification civile. Je veux esperer que la legislation américaine continuera, en matiere religieuse à s’inspirer des considerations larges et genSreuses qui ont determine ce grand pays à appliquer la même règle si eminemment libSrale à toutes les confessions religieuses; mais c’est la une esperance et non une certitude, elle peut être contredite par les faits; en politique tout change et d’ autres idees peuvent presider à la gestion des affaires publiques, comme cela s’est vu et se voit en Europe. Or, de la personification civile de l’Eglise depend la qualite sans laquelle elle ne peut avoir aucun droit. Des lors, rien qu’si ce point de vue, comment pretendre à une allocation perpetuelle?

Voyez, messieurs, ce qui s’est passe en France lors de la Revolution en ce qui concerne les droits f eodaux. Il y avait la une série de choses jugées et de droits qui semblaient bien acquis. Mais avec la legislation [Page 731] nouvelle toutes ces vtrites juridiques, tous ces droites, toutes ces constitutions de rentes, de créances, que sais-je? sont venus à disparaitre. Il en serait de même ici.

Il faut en second lieu, pour que vous puissiez avoir droit à une part du Fonds Pie, que l’Eglise catholique de la Haute Californie soit à même dans les circonstances du moment de realiser les intentions des donateurs, puisque c’est la surtout ce dont elle se prevaut. Je laisse de cote, pour n’y pas revenir, ce que l’on vous à dit, et fort bien dit, du but patriotique, du but national autant que religieux qu’avaient ces donateurs: supposons, par une hypothese bien gratuite, que leur pensee ait été exclusivement religieuse, qu’ils n’aient eu en vue que les Missions, que la conversion des Indiens; eh bien, pour que l’Eglise de la Haute Californie puisse reclamer une part du Fonds, il faut qu’elle soit à même de remplir ces intentions des donateurs. Le peut-elle? Y a-t-il encore des Indiens à convertir en Californie? On nous dit que oui, et on produit un document qui chiffre la population Indienne à la date, si je ne me trompe, du traite de Guadalupe Hidalgo. Quelle estla situation actuelle? En reste-t-il, et s’il en reste aujourd’hui, en restera-t-il demain? Chacun sait que la politique des Etats-Unis relativement aux Indiens differe de ce qu’etaient les habitudes mexicaines, de ce qu’elles sont en general dans l’Amerique espanole, au Bresil et ailleurs. Dans ces vastes contrees il reste beaucoup d’Indiens, ils se civilisent dans une certaine mesure, il se produit même entre les blancs et eux quelques mariages. Mais aux Etats-Unis, qu’on le veuille ou non, que ce soit une politique suivie ou le resultat de la puissance d’absorption de la race, l’Indien disparait. S’il en reste en Californie, je le demande encore, combien en restera-t-il demain?

Et puis, il ne suffirait pas qu’il y eut des Indiens, ni même des Indiens à convertir, on devrait encore etablir que c’est à cet objet que peuvent et doivent servir les sommes que l’on reclame.

Il faudrait done nous dire quelles sont les Missions qui restent, sous quelle forme elles existent, ou. elles sont etablies, et puis aussi comment la legislation des Etats-Unis en matiere religieuse comporterait encore l’oeuvre des Missions dans l’ordre d’idees ou les donateurs l’avaient instituee.

Done seconde condition à remplir. Et remplie aujourd’hui elle ne pourrait plus l’etre demain: s’ily n’y à plus d’Indiens, s’ils sont tous convertis, ou si l’oeuvre ne peut plus être accomplie, out serait votre titre? Les Jesuites seuls d’apres les actes de donation auraient pu donner au Fonds une autre destination, c’est la un droit tout personnel, et vous seriez done dans l’impossibilite de remplir la condition à laquelle votre droit serait subordonne; à ce second point de vue autant qu’au premier on ne comprendrait done pas une condamnation ad futurum avec des effets perpetuels.

Mais ce n’est pas tout. Vous reconnaissez qu’à propos de ce Fonds Pie il y à un partage à faire: Il faudrait repartir les fonds entre la Basse et la Haute Californie, le Mexique d’un cote, les Etats-Unis de l’autre. Pour cette repartition il n’y à aucune base. C’est contrairement aux pretentions de NN. SS. les eveques que l’on à admis dans la premiere sentence un partage par moitie. Sir Thornton à trouvé semblable repartition Equitable; il ne serait point juste, dit-il, de tenir compte de ce que la population de la Haute Californe est beaucoup plus considérable que celle de la Basse Californie, ce qu’il faut voir [Page 732] surtout c’est Poeuvre religieuse à accomplir, et d’apres lui on peut la considerer comme d’egale importance dans les deux parties de Pancienne Californie.

Ce serait 1st en tout cas la verite d’hier, resultant de considerations du moment; et les circonstances ici sont essentiellement variables et mobiles. Tenez, vous-mêmes, vous ne voulez plus de la solution de Sir Thornton, et vous pretentions sont beaucoup plus vastes: vous voudriez obtenir 85 pet. du total. Vous vous f ondez sur une base qui est à notre avis absolument inadmissible, celle de la population. Mais supposons-la equitable, n’est-elle pas fort sujette à changement? Aujourd’hui, vous prStendez que la proportion de la population de la Haute Californie est à celle de la Basse comme 85 est à 15; mais demain la proportion pourrait être de 90 ou de 95.

Bien plus variable encore serait Pappreciation des conditions respectives des deux conferees, quant aux Indiens, à laquelle il f audrait, selon nous, se livrer.

Il ne peut done y avoir de chose jugée, puisqu’elle serait invariable, à propos de choses qui doivent necessairement changer.

Un autre fait, messieurs, marque quelle est Pimportance de Pobservation que je viens de presenter. On vous à montre hier combien est in justifiable la pretention de faire payer par le Mexique en or ce qu’il devrait. Lorsque cela à été ainsi admis par Sir Thornton, c’était sans discussion de la part du Mexique, et il n’y en à pas eu parce que à cette epoque cela n’avait pas d’intérêt; Pancienne proportion etablie par Punion latine comme reprSsentant la valeur relative des deux metaux était encore conforme à la verite ou peu s’en fallait, et des lors que pouvait-il importer au Mexique de payer dans Pune ou l’autre monnaie? Mais voici qu’aujourd’hui les circonstances ont change à ce point que la dette du Mexique serait beaucoup plus que doublee si elle devait être payee en or, et que cette circonstance indifferente naguere deviendrait ainsi de la plus haute importance.

Et c’est dans ces conditions que l’on allegue la chose jugSe; Sir Thornton aurait decide d’avance qu’un demi-siecle plus tard on paierait en or, quoi qu’il arrivat. Il en serait ainsi même si la difference de valeur entre les deux metaux venait à s’accentuer encore.

Autre observation. Toutes les legislations comportent certaines prescriptions en matiere d’arrerages, de tout ce qui se paie d’annee en annee, et il semble evident que dans Pespece ces prescriptions-la du moins sont encourues. Je vous rappelais ce matin ces vingt annees passees sans que le pretendu creancier eut dit un mot à son prStendu debiteur! Mais je n’ai pas à y insister puisque cela vous à été dit. Mais comment pourrait-il y avoir ici aussi chose jugée, puisque pour chacune de ces annuites la question pouvait se presenter dans des conditions de fait differentes, et que les unes seraient prescrites alors que les autres ne le seraient point?

Combien tout cela démontre que c’est avec raison que les auteurs et la jurisprudence n’admettent pas que le juge statue pour l’avenir, mais seulement quant à des faits posés, avant produit leurs effets juridiques et par conséquent pouvant être appréciés tout entiers?

Donc, messieurs, je crois avoir démontré qu’il n’y à pas chose jugée, et cela à de multiples points de vue—pas de dictum, pas d’identité de demande, pas d’identite d’objet, pas d’identité de cause.

Une autre considération encore me paraît confirmer ma thèse: Tout droit donne une action, tout jugement emporte avec lui un ordre d’exécution; [Page 733] lorsque le jugement est rendu, on n’a plus rien à demander au juge; il a parlé, il a ordonné, la puissance publique doit assurer l’exécution de ce qu’l a décidé.

Eh bien, messieurs, supposons que dans l’occurence NN. SS. les évêques, au lieu d’avoir en face d’eux un Etat, se trouvent devant un particulier; comment auraient-ils pu s’y prendre pour faire valoir le droit dont ils se pretendent investis? Ils auraient remis leur titre, c’est-à-dire la sentence de Sir Thornton, à un huissier pour en exiger l’exécution. Mais l’huissier aurait dit: Je vois bien que 21 annuités doivent être payées, or elles le sont, je ne puis pas les réclamer á nouveau, et comment moi qui ne suis qu’un agent d’exécution trouverais-je dans ce titre un moyen de contrainte pour amener le débiteur à payer ce dont il n’est pas dit un mot?

C’est là, messieurs, une considération de plus. Elle confirme qu’il n’y a pas chose jugée, car la chose jugée comporte un mandement de justice, c’est-à-dire un ordre d’exécution, et ici il n’y a rien de pareil.

En réalité, messieurs, ce n’est pas vraiment la chose jugée que l’on invoque; c’est une sorte de préjugé, c’est-à-dire de chose jugée implicite, et l’on dit: C’est une action analogue, et les motifs qui l’ont fait admettre un première fois doivent la faire admettre encore.

Je reconnais volontiers que la sentence de Sir Thornton constitue aux mains de nos adversaires un argument qu’ils ont le droit d’invoquer; c’est une autorité dont je respecte la valeur, elle nous oblige à démontrer et à démontrer de très près que la sentence n’est pas juridique—nous nous sommes chargés de cette tâche et croyons l’avoir accomplie. Mais ce qu’il m’est impossible d’admettre, et ce que vous n’admettrez pas, je pense, c’est que cette sentence constitue par elle-mene cette chose jugée qui n’admet plus ni examen ni discussion. Ce serait tout au plus un préjugé, et je crois avoir démontré que le préjugé, même dans le dispositif, ne lie pas le juge, même quand il émane de lui-même.

Chose jugée implicite, dit-on, et l’on invoque surtout le livre de M. de Savigny. Je vous ai montré déjà qu’à un double point de vue, l’autorité de Savigny peut au contraire être invoquée par nous — chose future et impossibilité pour le juge d’excéder la demande. Mais, même au fond et sur cette thèse de la chose jugée implicite, nous pouvons encore invoquer son sentiment, et voici ce qui me permet de l’affirmer.

Il est une question de droit spéciale souvent traitée et en droit romain et en droit moderne; cette question la voici. Après avoir demandé en justice un objet et avoir échoué dans cette prétention, peut-on introduire une nouvelle demande plus ample et qui comprend la prétention déjà repoussée? Savigny cite le cas que voici:

Un grand domaine comprend plusieurs terres, A. B. C.; je réclame, soit comme propriétaire et par revendication, soit comme héritier et d’après Faction héréditaire, la propriété de la terre A et j’échoue; on décide que ma revendication ou mon action héréditaire n’est point fondée; la demande est ainsi repoussée — c’est chose jugée. Mais quant à la terre B qui est à côté, je puis, dès le lendemain, reprendre exactement le même procès contre les mêmes adversaires, armé des mèrnes pièces. La question est la même, parties et qualites sent les mêmes, titres et arguments sont les mêmes. Peu importe: Faction est recevable. Cela ne fait de doute pour personne. C’est ce que dit Savigny.

Mais il y a une autre question sur laquelle l’accord n’est plus complet, [Page 734] et la controverse date des romanistes: Puis-je, après avoir revendiqué sans succès la terre A revendiquer le domaine tout entier, e’est-à-dire les terres A. B. C.? M. de Savigny estime que non parce que, dit-il, la demande ainsi présentée comprendrait celle déjà adjugée quant à A et que par conséquent il pourrait y avoir contradiction entre la décision qui m’accorderait le domaine entier et celle qui déjà m’aurait éconduit quant a la terre A.—Identité de demande, d’objet, de cause, de parties, de qualités.

Beaucoup d’auteurs, et parmi les plus illustres, ne partagent pas l’opinion de Savigny à cet égard, et prétendent qu’après avoir ainsi échoué dans la terre A, rien n’empêche de demander par voie d’action nouvelle la propriété de A. B. C.; et ils se fondent sur ce que, si la partie est comprise dans le tout, le tout n’est pas compris dans la partie, et qu’ainsi la seoonde action est différente de la première, quoiqu’elle comprenne celle-ci. C’est l’enseignement de Larombiére, de Toulier, de Xachariae d’Arndz, de bien d’autres encore.

Dans cette controverse, qui n’est pas la nôtre, je ne veux pas examiner si c’est Savigny ou si ce sont ses contradicteurs qui ont raison; il me suffit que tout le monde soit unanime à reconnaître que l’on peut soulever une seconde fois un même débat, identiquement le même, s’il porte sur un objet matériellement différent. Et peu importe qu’il s’agisse du domaine B. après le domaine A, ou de certains intérêts, après d’autres intérêts, ou d’autres loyers. Le débat est toujours le même, mais il porte sur un objet matériellement différent.

Et il n’y aurait rien de plus extraordinaire à ce qu’en fait il y eût ainsi deux choses jugées contradictoires, que si Mgr de Grass Valley, qui n’est pas au débat—nous ne savons pas encore pourquoi—reprenant pour lui-même le procès actuel, cette nouvelle instance aboutissait à une solution opposée. Là, la question serait évidemment entière et il pourrait échouer là où Mgr. de San Francisco aurait réussi, ou réciproquement.

C’est la conséquence de cette nature spéciale de la vérité de la chose jugée et de la préemption qui en résulte, sur laquelle j’insistais au début de ma plaidoirie.

Ici encore, on a invoqué l’autorité de Griollet, et j’y reviens une dernière fois. Il serait véritablement surprenant que M. Griolet, qui combat si énergiquement la doctrine de Savigny quant à la confusion que celui-ci voudrait établir entre le dispositif d’une sentence judiciare et ses motifs objectifs, ne fût pas de notre avis. Ce matin, j’ai cité déjà certains passages de son livre en disant qu’il y en a d’autres. M. Descamps a demandé à cet égard des indications plus complètes; c’est une lacune que je répare. A la page 114 Griolet approuve la Cour de Cassation de France d’avoir décidé qu’une décision qui tranche un différend quant à la compétence en alléguant la qualité de commerçant, ne fait pas chose jugée quant à cette qualité.

Il y avait eu déclaration de faillite, et la faillite suppose nécessairement que l’on soit commerçant. Mais il n’y avait pas à cet égard chose jugée. On plaide qu’elle était implicite. Non, dit la Cour de Cassation, c’est un motif cella, rien de plus, done pas de chose jugée.

Veuillez écouter, messieurs, ce que dit encore Griolet à la page 114 de son livre, en résumant ce qui précède:

Le fait juridique qui a donné naissance au droit jugé ne peut être affirmé par le juge que comme cause de ce droit et comme motif de la décision: ainsi il n’y a pas de jugement sur la cause elle-même; la déclaration du jugement ne s’étendra done pas aux [Page 735] droits nés de cette cause qui n’auraient pas eux-mêmes été l’objet d’un jugement rendu.

C’est toute ma plaidoirie; elle est encore résumée dans quatre lignes que je trouve à la page 117:

Les jugements qui déclarent la faillite, qui prononcent l’interdiction, la séparation de corps, la séparation de biens, affirm ent ou nient les faits qui donnent naissance à la faillite, qui autorisent l’interdiction, la séparation de corps et la séparation de biens, mais il n’y a chose jugée sur aucun de ces faits.

Et page 123:

Il est bien certain que le juge a prononcé sur l’existence d’un droit lorsqu’il a sanctionné ou refusé de sanctionner ce droit; en connaîtra toujours et d’une manière sûr les déclarations rendues par le juge en interprétant la sanction ou le refus de sanction, la condamnation ou l’absolution, c’est-à-dire en recherchantles déclarations de droit qui dans chaque espèce sont appliquées par la décision du dispositif.

Je crois avoir ainsi donné satisfaction à mon honorable contradicteur, il voudra bien m’excuser de ne pas l’avoir fait dès ce matin.

Il est si vrai que d’après Griolet il ne peut y avoir chose jugée que sur ce qui a été demandé, par quelque conclusion formelle, qu’appuyé du reste de nombreuses autorités il enseigne qu’il n’est pas permis au juge de donner raison au demandeur qui fait défaut. Le juge peut trouver la preuve de son droit dans le dossier de la partie adverse, il peut y avoir quelque titre irrécusable et la conviction du juge est donc faite, il est en mesure de dire droit, eh bien, il ne le peut pas, et pourquoi? Parce que, comme le dit Griolet, il doit avoir été conclu et plaidé.

Le juge est saisi du droit que le demandeur met lui-même en cause (pages 127 et 136).

L’on voit que l’enseignement de Griolet ne diffère guère de celui de Laurent, dont l’autorité avait été plus spécialement invoquée par le Gouvernement mexicain dans la correspondance diplomatique et que nos honorables contradicteurs ont mai lu, qu’ils me permettent de le leur dire. Laurent est formel, et nous n’avons guère fait que répéter en d’autres termes son opinion. Il faut lire notamment son N° 32 tout entier:

Le dispositif d’un jugement a-t-il l’autorité de la chose jugée à l’égard de tout ce qui s’y trouve énoncé? Non; si le dispositif fait chose jugée c’est parce qu’il décide une contestation. Tel est le principe qui domine la matiére. Tout ce qui est étranger à la décision est aussi étranger à l’autorité que la loi attribue à la chose jugée. Ainsi, les simples énonciations n’ont jamais l’autorité de la chose jugée. Cela est fondé en raison; la loi attache une présomption de vérité aux décisions judiciaires parce qu’elle suppose que le juge les a mûrement délibérées et qu’il a pesé tous les termes de sa sentence. Cette raison ne s’applique pas aux simples énonciations; c’est une opinion que le juge émet sans en avoir fait l’objet d’une délibération. Un jugement accorde à une personne des aliments en qualité d’enfant; a-t-il l’autorité de la chose jugée sur la question de filiation? Si la question a été debattue entre les parties, l’affirmative n’est pas douteuse.

Et plus loin:

On objecte que le demandeur a réclamé les aliments en qualité d’enfant et qu’il ne pouvait les obtenir qu’à ce titre. Sans doute le juge n’a accordé les aliments qu’en supposant qu’il était enfant du défendeur, mais supposer n’est pas juger. La raison est d’accord avec la subtilité du droit; l’état d’enfant légitime est la base de l’ordre civil, etc.

En note, Laurent renvoie à l’autorité de Toullier et ajoute: “Toullier Tome 5, et tous les auteurs;” puis il passe à un second exemple:

Le créancier demande contre son débiteur les intérêts d’un capital…

[Page 736]

J’ai montré que, dans notre cas, il ne s’agit pas d’un capital, mais supposons-le:

Le créancier demande contre son débiteur les intérêts d’un capital; le juge condamne le débiteur à les payer; y a-t-il chose jugée quant au capital? On suppose que le dispositif énonce le montant du capital. Il a été juge que la décision n’avait pas l’autorité de la chose jugée quant au capital. On peut objecter que le juge en allouant les intérêts décide implicitement que le capital est dû, puisqu’il ne peut y avoir d’intérêts sans capital. Sans doute, mais la question est de savoir s’il y a chose jugée, et le juge n’a rien décidé quant au capital.

Il passe encore à un autre cas, qui mérite également votre attention:

Une instance s’engage sur une adjudication; l’adjudicataire allègue certains créanciers, le juge fixe le chiffre de ces créances et énonce le chiffre qui constitue le prix; postérieurement, l’adjudicataire soutient qu’une remise lui avait été consentie, on lui oppose la chose jugée. La Cour a décidé qu’il n’y avait pas de chose jugée quant au prix d’adjudication, car le prix n’avait été l’objet d’aucune conclusion devant le juge.

Voilà ce que dit Laurent, vous voyez qu’il est aussi net que possible.

Dans ce même ordre d’idées, messieurs, il me reste à vous citer deux autorités puissantes. C’est d’abord un arrêt de la Cour de Cassation de France du 6 février 1883, rapporté dans le Recueil Périodique de Dalloz, 1883–1–451. Il décide qu’après une demande en paiement de loyers, le litige peut se reproduire entre les mêmes parties quant à des loyers échus à d’autres dates, sans que la chose jugée puisse être opposée.

Voici la seconde espèce, et elle est toute récente: il s’agit d’un arrêt de la Cour de Cassation de Belgique en date du 5 avril 1900 (Pasicrisie Beige 1700–1–201). C’était un vieux débat remontant à l’ancien régime; des rentes étaient réclamées à charge de la commune de Jupille lez Liège par le bureau de bienfaisance de Liège; or, un premier arrêt avait condamné la commune de Jupille pour une moitié du capital, mais l’autre moitié n’avait pas été l’objet d’une décision formelle; il n’y avait que condamnation implicite. Cet arrêt rendu, le Bureau de bienfaisance de Liège décrouvrit de nouveaux documents qui modifiaient la situation et lui donnaient l’espoir de réussir là où il avait d’abord échoué. Le débat est repris et naturellement on oppose la chose jugée La Cour de Liège l’admet. Mais la Cour de Cassation l’a rappelée aux véritables règles du droit en cassant sa décision, et voici ce que je lis dans l’arrêt:

Considérant qu’aux termes de l’article 1351 du Code Civil l’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’a l’egard de ce qui a fait l’objet du jugement:

Considérant que ce principe s’applique aussi bien quand la chose sur laquelle il a été statué est un objet déterminé dans son intégralité que quand elle n’en est qu’une partie indivise; qu’en constatant l’indivision de la dette, l’arrêt attaqué n’en constate nullement l’indivisibilité, et que les parties indivises d’un tout sont susceptibles d’affectations juridiques très diverses;

Considérant qu’en décidant que ce qui avait été statué in terminis pour la moitié indivise de la dette l’avait été implicitement, mais nécessairement, pour l’autre moitié, l’arrêt attaqué a étendu l’autorité de la chose jugée a une partie de la dette qui n’avait pas fait l’objet de l’instance antérieure et a ainsi contrevenu au dit article 1351.

La Cour aurait pu en juger autrement s’il s’était agi d’une chose indivisible, mais pour une chose indivise pas de chose jugée.

Il y a, messieurs, d’autres autorités encore sur les quelles je voudrais appeler votre attention, et notamnent celles citées par M. Azpiroz et dans la correspondance par M. le Ministre des affaires étrangères du Mexique, Mariscal, avec les Etats-Unis. Mais il faut se boraer et jerie la Cour de se reporter aux documents que je viens de citer.

[Page 737]

Il y a par contre certaines autorités citées par la partie adverse que j’avoue ne pas connaître malgré une longue pratique du droit, par exemple: le Dictionnaire général de Bertheau. M. Descamps est peutêtre plus heureux que moi.

Je viens de dire qu’il n’y a pas à tenir compte d’un simple préjugé. Cela est plus particulièrement vrai quand il s’agit de sentences arbitrates. Je ne veux pas méconnaître, messieurs, que les sentences arbitrates ont force de chose jugée; je sais que des auteurs recommandables ont soutenu le contraire, et M. Ralston a cité notamment l’autorité de M. Rivier qui était assurément un jurisconsulte important, et celle de M. Bonfils; mais tel n’est point mon avis; je crois que les sentences arbitrales ont la même autorité, la même, la même force de chose jugée que les décisions des juges ordinaires; et le Mexique a si peu songé à le contester qu’il a exécuté la sentence de Sir Thornton. Mais s’il est vrai, messieurs, qu’il y a ici chose jugée, nous disons, comme nous l’avons toujours dit, que la Commission mixte n’a pu juger que ce qu’on lui a demandé, et que s’agissant de quasi-arbitres l’autorité de la chose jugée doit être ici plus strictement comprise.

La juridiction arbitrale, messieurs, n’emane pas de la puissance publique, elle n’en est pas une délégation; l’arbitre n’est pas chargé comme le juge de dire le droit, ce n’est point sa fonction. Il est seulement chargé de dire droit dans un cas déterminé, et parce qu’il est appelé à cet honneur par le consentement privé et libre des parties qui l’en ont chargé; sa fonction procède done non de la loi mais du consentement des parties, et du mandat privé qu’elles ont donné. Et c’est à raison de ce fait que les sentences arbitrales rendues en pays etranger ont au dehors la même autorité que dans le pays même. L’autorité du juge s’arrête à la frontière, parce que la s’arrête la puissance publique. Mais un collège arbitral a un autre caractère: Mandataire des parties, il agit et juge en vertu de leur consentement: ce consentement ne comporte pas de frontières, et par conséquent la chose jugée vaut au-delà ce qu’elle valait endeçà.

Larombière dit avec raison que l’arbitrage considéré comme convention appartient au droit des gens et établit entre les contractants un lien de droit. Done ici, messieurs, c’est à la convention qu’il s’en faut rapporter, et vous savez si l’on peut voir dans les correspondances échangées naguère quelque plein pouvoir donné aux membres de la commission mixte et qui leur aurait permis d’excéder même les bornes de la demande; donc, messieurs, ici, impossibilité d’admettre un préjugé quelconque. Les pouvoirs des arbitres sont strictement et rigoureusement circonscrits dans les bornes de la demande; ils jugent ils ne peuvent préjuger.

Je conclus, messieurs. Aux divers points de vue que je viens successivement d’examiner, j’estime que le terrain juridique du débat actuel est absolument libre d’obstacles. Sans aucun doute il y a pour la partie adverse des arguments, et la sentence Thornton en est un, mais ce n’est pas une barrière, ce n’est pas la chose jugée, et c’est, messieurs, à la très haute juridiction devant laquelle je plaide en ce moment—ce que je tiens pour l’un des grands honneurs de ma vie judiciaire—c’est, dis-je, à la Cour, a la Cour seule à dire le droit.

M. le Président. La parole est à M. l’agent des Etats-Unis mexicains.

M. Emilio Pardo. Messieurs, pour couper court à toute espèce de difficulté, je me décide à imposer au Tribunal la corvée d’entendre une [Page 738] lecture qui doit être très pénible pour Messieurs les arbitres, et aussi pour moi. Nos contradicteurs ont eu l’avantage de parler leur langue, tandis que je suis obligé de parler une langue qui ne m’estpas du tout familière. Voilà pourquoi, pour fatiguer le moins possible l’attention de la Cour, je me décide à lire le plaidoyer que j’ai l’honneur de soumettre à sa considération; je suis du reste dans les prévisions du protocole du 22 mai dernier, puisqu’il autorise les plaidoyers oraux et les plaidoyers par écrit.

Mais, avant d’entrer en matière, je demande au Tribunal la permission de lui présenter quelques explications au sujet d’un reproche que j’ai entendu plusieurs fois dans la bouche de nos contradicteurs, et un peu aussi dans la bouche de nos avocats. C’est à cause de certaines données indiquées par les Etats-Unis et qui ont été démandées à mon pays. On a demandé des éclaircissements, des documents au sujet de tel ou tel incident du procès; mon pays n’a pas été en mesure de répondre à ces requêtes. On en a fait un reproche à mon Gouvernement, et même il y a eu un des avocats de la partie adverse qui a considéré ce défaut de présentation de certains documents comme la base d’une présomption contre le Mexique. Or, vous pouvez savoir, messieurs, par la lecture du dossier, que tous les documents que les Etats-Unis ont demandés à mon pays et qui ont été signalés d’une façon précise, ont été présentérs. Le Gouvernement des Etats-Unis et leur agent ont eu toutes les facilités désirables pour se renseignen sur les actécédents de cette affaire, ils ont pu s’adresser à toutes les archives, ils ont même trouvé des avocats mexicains pour les aider dans leurs recherehes. Ainsi done, mon Gouvernement a fait tout son possible pour éclairer la religion de la Cour: il a fourni tous les moyens et tous les documents qui étaient à sa disposition.

Il est bien vrai que les archives ne sont pas tout à fait complètes, mais cela s’explique du reste parfaitement bien. Vous savez, parce que malheureusement le fait est très connu, que mon pays a traversé des epoques très agitées, il a été la proie de révolutions qui heureusement paraissent définitivement finies; pendant ces révolutions, ces agitations, les archives ont été exposées à tous les accidents de la guerre civile. Le Mexique à eu a soutenir dernièrement deux guerres, non seulement civiles mais étrangères; le Gouvernement a été obligé, pour sauver ses archives, de les transporter avec lui pendant ses pérégrinations à travers le territoire; il n’y a done rien de surprenent si ces archives laissent quelque chose à désirer, si tous les documents que le Gouvernement des Etats-Unis a voulu avoir n’ont pas pu être mis à sa disposition.

Une fois cette explication donnée, je commence ma lecture, demandant d’abord pardon à messieurs les arbitres de l’ennui et de la fatigue que je suis obligé de leur imposer.

Quelques remarques sur la réplique de l’Agent des Etats-Unis à la réponse de M. J. Mariscal à la réclamation présentée au nom de MM. les Evêques de la Haute Californie.

1.
La réclamation présentée dans la demande des Etats-Unis se fonde sur le décret du Gouvernement du Mexique en date du 24 octobre 1842, qui incorpora au Trésor les biens du Fonds Pie, ordonna leur vente pour le capital représenté par leur intérêt annuel à 6 pct. et disposa que le Trésor affectât le revenu à 6 pct. du produit total des aliénations aux intentions des donateurs.
2.
Que le décret du 24 octobre soit le titre invoqué par les réclamants [Page 739] à l’appui de l’action qu’ils exercent, ne peut être douteux, étant donné que la demande porte précisément sur le paiement de ces intérêts pendant un certain nombre d’années et non sur la valeur des biens, ni sur la remise de ceux qui n’auraient pas été aliénés.
3.
Raisonnant sur ces bases, M. Mariscal dit que les réclamants invoquent en vain les dispositions de la loi du 19 septembre 1836, qui ordonna de mettre à la disposition de l’évêque de Californie les biens appartenant au Fonds Pie, afin qu’il les administrât et les appliquât à leurs buts ou à d’autres analogues, parce que ce décret fut modifié par celui du 8 février 1842, et que personne n’a mis jusqu’à présent en doute la faculté souveraine du Gouvernement mexicain de modifier ses propres disposition législatives.
4.
Quant au décret du 3 avril 1845 ordonnant la dévolution à l’évêque de Californie de tous les biens du Fonds Pie qui n’étaient pas vendus à cette époque, il ne semble pas invoqué dans la demande comme titre de Paction qui y est exercée, et ne pourrait d’aucune manière servir aux intentions des réclamants attendu qu’ils ne réclament pas la dévolution des biens visés par la loi da 3 avril 1845, mais le paiement des intérêts à 6 pct. sur le montant qu’ils attribuent arbitrairement à tous les biens, valeurs et crédits qui, à leur fantaisie, formaient le capital du fonds susdit. Cette prétention est entièrement arbitraire, ou se fonde sur un titre. Il faut évidemment accepter le second terme du dilemme et l’admettant comme le seul possible, on est forcé d’admettre que ce titre est le décret si souvent invoqué du 24 octobre 1842. Les réclamants se sont lassés de répéter qu’ils ne demandent aucune remise des biens, qu’ils reconnaissent le droit souverain par lequel le Mexique conserve en son pouvoir ce qui pourrait actuellement revenir au Fonds Pie, et qu’ils réduisent leurs prétentions aux intérêts, à 6 pct. sur la valeur qu’il leur plaît d’attribuer au capital dudit Fonds.
5.
M. Mariscal a done pu dire, que la réclamation devant être jugée à la lumière de la législation mexicaine, les demandeurs n’ont aucun titre à réclamer quelque chose au Gouvernement Mexicain. Le raisonnement conduisant à cette conclusion est d’une extraordinaire simplicité. Le décret du 24 octobre 1842 ordonna la constitution d’un “censo consignativo” avec le produit de la vente des biens qui formaient le Fonds Pie, afin que les revenus à 6 pour cent de ce censo fussent appliqués aux buts de la fondation primitive. Je me demande alors: Cette loi conéda-t elle á l’évêque de Californie ou à ses successeurs, la faculté de recevoir ces intérêts et de les appliquer à leurs fins? Non, certainement. Le décret du 24 octobre 1842 ne créa aucun titre efficace en faveur de ce prélat et de ses successeurs. Le Gouvernement Mexicain chargé du maniement et de l’administration du Fonds—les réclamants n’osent pas le nier—demeura par lá même investi de la faculté de continuer à l’administrer, et d’employer, au moyen des fonctionnaires qu’il lui plaisait de nommer à cet effet, les produits que l’on en recueillait. Il est done d’une vérité évidente que le décret du 24 octobre 1842 ne donne aucun titre aux évêques actuels de Californie.
6.
Qu’opposent les réclamants à une argumentation si décisive? D’abord, que l’évêque de Californie, et pour tant ses successeurs, avaient des droits légaux et d’équité indépendamment de tout décret du Gouvernement Mexicain, à administrer ce fonds, et que même, une fois promulgué le décret du 24 octobre 1842, le Gouvernement ordonna qu’on leur fît plusieurs paiements à compte du Fonds Pie. Quant au premier point, on voit sans peine qu’il n’est qu’une affirmation gratuite, [Page 740] parce que rien ne le prouve. Comment! Les réclamants admettent sans hésiter qu’ils ne peuvent attaquer la validité ni l’efficacité des lois mexicaines successivement édictées à propos du Fonds Pie, ils les invoquent à l’appui de leurs prétentions, proclamant sans réserve qu’ils ne peuvent méconnaître la faculté souveraine du Gouvernement qui les expédia, mais perdant de vue que toutes ces lois ètablissent, changent, modifient, altèrent l’administration du Fonds, la confient à différents fonctionnaires ou employés, la confient et la retirent à l’évêque de Californie, ils invoquent encore des droits légaux de celui-ci à avoir la charge de cette administration. Une si grande inconséquence est inexplicable.
7.
Quant aux différents ordres de paiement édictés par le Gouvernement Mexican, après la promulgation du décret du 24 octobre 1842, que démontrent-ils? Simplement que le Gouvernement Mexicain, usant de son droit, jugea convenable de donner certaine affectation aux produits du Fonds. Et loin que l’on en puisse inférer qu’il reconnut le droit des évêques de Californie à l’administrer, ce qui résulte des faits allégués est, comme nous venons de le dire, que le Gouvernement du Mexique fit usage, chaque fois qu’il le jugea convenable, de sa faculté souveraine de gérer le Fonds et de disposer de l’emploi de ses produits.
8.
M. Mariscal fait remarquer très justement que, quoiquele décret du 3 avril 1845 servît de prétexte au surarbitre de la Commission Mixte pour affirmer que l’obligation y était reconnue de remettre à l’évêque les produits du Fonds, les réclamants en cette occasion se sont abstenus de le produire à l’appui de leur demande actuelle, pour des raisons qu’il est bon d’examiner avec soin. Mais dès maintenant il sera impossible de méconnaître cette vérité: La loi du 24 octobre 1842 ne donne aucun titre efficace aux réclamants pour prétendre qu’ils aient droit à administrer et à recevoir les intérêts à 6 pct. de la valeur qu’il leur plaît d’attribuer aux biens du Fonds Pie. S’il pouvait y avoir quelque doute à cet égard, la réponse de l’agent des Etats-Unis et de leur éminent avocat à M. Mariscal, le dissiperait entièrement. Dans ce document on parle de droits légaux et d’équité dont la source n’est point précisée; on n’explique pas par qui lis furent conférés ni quel est eur titre, et de la loi du 3 avril 1845, que les réclamants se décident enfin à alléguer comme base de leur réclamation. Etudions-la donc.
9.
La loi disposa que les crédits et les autres biens du Fonds Pie de Californie, qui existaient invendus, seraient immédiatement rendus à l’Evêque et à ses successeurs, aux fins dont parle l’art. 6 de la loi du 29 sept. 1836 et sans préjudice de ce que déciderait le Congres touchant les biens aliénés.
Que résulte-t-il irrésistiblement de cette disposition législative sur la validité de laquelle aucune contestation n’est soulevée? Que le Gouvernement Mexicain continua à faire usage de sa faculté souveraine de disposer de l’administration du Fonds et de l’emploi de ses produits — Cela est indiscutable. — En second lieu, que les biens qui n’étaient pas vendus devraient être remis à l’évêque de Californie et à ses successeurs, et troisièment que le Congrès se réservait de disposer quant aux biens alors aliénés.
10.
Il faut done étudier successivement chacun de ces trois points, les seuls du décret dont il s’agit. Mais il y a quelque chose à aj outer à ce qui est déjà exposé, par rapport au premier. Une fois de plus, le Gouvernement Mexicain dispose selon qu’il l’estime convenable, de l’administration du Fonds et de son emploi, et comme les réclamants [Page 741] n’attaquent et ne peuvent attaquer la faculté souveraine exercée par la promulgation de la loi dont je m’occupe, parce qu’ils se mettraient alors en contradiction ouverte avec euxmêmes, il est évident que ce point ne peut donner matière à discussion.
11.
La seconde disposition du décret ordonne que les biens qui, à cette époque, n’auraient pas été aliénés fussent immédiatement rendus à l’évêque de Californie et à ses successeurs pour les fins de l’art. 6 du décret du 29 sept. 1836. Cette disposition constituet-elle un titre en faveur des réclamants? La réponse s’impose. Non simplement, parce que si c’était un titre il pourrait servir à motiver la prétention que le Gouvernement Mexicain délivra aux évêques actuels de la Haute Californie une partie des biens invendus, et je dis une partie, parce qu’une part devrait revenir à l’évêque de la Basse Californie, puis que les réclamants mêmes ont la bonté d’admettre que le 15 pct. du total ravient à l’église catholique de la péninsule californienne. Les réclamants demandent-ils qu’on leur remette quelque bien, quelque valeur, quelque chose de ce qui a formé le Fonds? Non. Ils demandent qu’on leur paie les intérêts du capital qu’ils supposent, et seulement ces intérêts. Done la réclamation ne porte pas sur des biens existant invendus du Fonds Pie.
En conséquence, sous ce point de vue, la loi du 3 avril 1845, n’est pas le titre de l’action déduite dans la demande. Les réclamants sont d’accord avec nous sur ce point et ils ont dit en maintes occasions qu’ils reconnaissent le droit du Gouvernement du Mexique à retenir indéfiniment la propriété du Fonds; done leur réclamation ne porte que sur les intérêts a 6 pct. d’un capital dont ils supputent le montant du mieux qu’il leur semble.
12.
Le décret vise enfin les biens déjà vendus, et s’abstenant d’en disposer, il réserve au Congrés la détermination ultérieure sur les biens aliénés. Est-il possible de tirer un titre légal quelconque d’un ajournement qui n’ordonne rien? Tout considéré, ce qui dérive naturellement de la dernière partie du décret que j’analyse, est une nouvelle confirmation de la faculté que le Gouvernement Mexicain avait et qu’il exerçait, de disposer comme il le jugeait convenable de l’administration et de l’emploi du Fonds Pie. Mais quoi qu’il en soit, il est certain que le Congrès Mexicain ne prit aucune mesure au sujet des biens déjà aliénés, jusqu’au moment de l’annexion de la Haute Californie aux Etats-Unis. Du néant rien ne peut résulter. La réserve faite par le décret du 3 avril 1845 au sujet des biens déjà aliénés, n’est pas et ne peut être un titre pour personne ni pour rien. Et l’abstention du Congres Mexicain de déterminer sur l’emploi des biens déjà aliénés, ne constitue et ne peut constituer ce titre, en dépit de tous les efforts deialectique et d’habileté de nos adversaires.
13.
Je déduis des observations antérieures qu’aucum des décrets expédiés par le Gouvernement Mexicain au sujet des biens du Fonds Pie, ne peut servir de base à la réclamation présentée au nom des Evêques de l’Eglise Catholique de la Haute Californie. — Cependant, par l’intermédiaire de l’agent des Etats-Unis et d’un de leurs avocats les plus distingués, ils prétendent que, quoique le Congrès Mexicain n’ait rien déterminé sur l’emploi des biens déjà aliénés le 3 avril 1845, les demandeurs sont en possession d’une qualité pour réclamer ce qu’ils ont demandé, parce qu’une interprétation pratique embrassant les matières réservées par la loi citee avait été donnée à la loi d’octobre 1842, et que par là même, toute action ultérieure du [Page 742] Congrès était inutile, aussi arriva-t-il à ne rien décréter. — J’avoue ingénument qui si la remarque n’est pas un concept purement verbal qui ne signifie rien, je ne puis me rendre compte de ce que l’on a voulu dire. Je suppose que l’idée de nos adversaires est celle-ci: La loi du 24 octobre 1842, qui ordonna la constitution d’un censo consignativo avec le produit de la vente des biens du Fonds Pie, et la reconnaissance d’un intérêt de 6 pet. annuel, étant promulguée, le Gouvernement ordonna à diverses reprises comme le supposent les réclamants — et c’est peut-être ici une bonne occasion de faire remarquer avec quelle fréquence ils se livrent à des suppositions sur lesquelles ils basent de longs raisonnements — que des paiements divers fussent faits à l’évêque de Calfornie au compte du Fonds Pie. Il est done reconnu que l’évêque mentionné avait un droit à recevoir les revenus promis. Voilà le titre qu’invoquent ses successeurs, et il est inutile d’alléguer qu’aucune disposition ne s’édicta sur les biens invendus en 1845, parce que cette disposition était déjà prise: payer les revenus en vertu de la loi du 24 octobre 1842 à l’évêque de Californie et à ses successeurs. Comme on le voit, le raisonnement pour arriver à cette conclusion est véritablement laborieux. Un titre légal est bien obscur s’il ne resulte que d’une argumentation, si pénible et vicieuse d’ailleurs sous tous les points de vue.
15.
Quel est le sens de ce concept de la loi du 3 avril 1845, “sans préjudice de ce que le Congrès décide au sujet des biens aliénés”? Il est évident qu’ayant été vendus et que se trouvant légitimement aux mains des acheteurs, le Congrès ne pouvait pas en disposer. Ils avaient été incorporés légitimement au domaine de la Nation et en vertu d’une loi régulièrement promulguée, ils avaient été aehetés par des particuliers. Les réclamants n’attaquent pas la validité de ces aliénations, et loin de l’attaquer, la reconnaissent expressément en exigeant qu’on leur paie les intérêts produits par un capital qui n’est que le prix de ces biens. Il est done certain que par rapport aux biens mêmes déjà vendus, aucune résolution ulterieure ne pouvait être prise par le Congrès Mexicain; et comme malgré tout, la loi du 3 avril 1845 lui réserva la faculté de disposer quant à ces biens, il est évident, aucune autre interprétation n’étant possible, qu’il visa les intérêts du capital du censo que la loi du 24 octobre 1842 fit constituer sur la Rente du tabac. Ces intérêts étaient tout ce qui restait de disponible, pour ainsi dire, et ils étaient la seule matière sur laquelle le Congrès pût prendre une résolution. Eh bien! Une loi antérieure avait disposé (24 octobre 1842) que les revenus du censo consignativo formé du capital produit de la vente des biens du Fonds Pie, fussent applicables a l’objet de la fondation primitive. La loi de 1845 ordonnant que le Congrés devait disposer à l’avenir quant au capital même du cens et quant à ses intérêts, il semble évident que le décret du 24 octobre 1812 demeura modifié en substance sur ce point, puisque la loi du 3 avril 1845 confia au Congrés le soin de prendre des measures sur ce qui devait être fait des biens déjà aliénés â l’époque. Si done les réclamants et les défendeurs admettent qu’aucune autre loi ne f ut adoptée après celle de 1845, nous pouvons affirmer en toute sécurité que, comme ni la loi du 24 octobre 1842, ni celle du 5 avril 1845 ne peuvent servir de titre à la réclamation dont il est question, il n’y a plus que “ces droits légaux et équitables” auxquels se réfère la réplique de l’agent des Etats-Unis … c’est-à-dire quelque chose de vague, d’indéterminé et d’équivoque. Un concept verbal, pas un titre.
II. 16.
Les réclamants comprennent bien l’irrémédiable faiblesse de leur cause pour ce motif, et admettant, par voie de supposition, que l’église catholique de la Haute Californie pourrait manquer d’un droit à administrer le Fonds Pie de Californie ou à réclamer un intérêt perpétuel, ils soutiennent qu’un tribunal d’équité, appliquant au cas de targes principes de droit—broad principles of right—devrait reconnaître à la dite Eglise qualité suffisante pour recevoir les intérêts dudit Fonds. Discutons la thèse. On a dit, en effet, que ce tribunal est un tribunal d’équité, ou, ce qui revient au même, si je ne me trompe, que pour se prononcer sur la question qui lui a été soumise, il n’y a pas besoin de recourir à des dispositions légales, ni de tenir compte de ce que, par un euphémisme véritablement curieux, on a appelé technicalities et que sans s’en tenir aux rigueurs du droit, il doit juger ex equo et bono. Je résiste à cette pretention avec toute l’energie dont je suis capable. Elle est dépourvue de tout fondement. Si les parties en cause avaient voulu chercher une solution d’équité au différend survenu entre elles, elles l’auraient stipulé ainsi; et c’est en vain que l’on chercherait dans le protocole du 22 mai, un pacte qui permette de dire que l’intention des Hautes Parties contractantes fut de libérer les juges choisis pour régler le conflit, du devoir d’avoir recours au droit, aux lois applicables au cas, pour trouver le criterium de décision indispensable. Chaque fois qu’une question d’ordre juridique survient—et nul ne pourra nier que la question à l’ordre du jour n’appartienne à cette catégorie—et que les intéressés ont recours à des juges constitues ou nommés par eux pour la décider, il va de soi que c’est au droit qu’ils doivent recourir si l’on n’a pris soin de stipuler autrement. Le protocole du 22 mai créa-t-il une cour d’équité? Institua-t-il un tribunal n’ayant pas à appliquer des lois mais des considérations d’équité? Que signifie alors le fait d’avoir choisi pour juges des jurisconsultes d’une réputation mondiale? Que signifie alors cet imposant appareil d’avocats qui ont défilé devant la Cour, chacun plus éloquent que l’autre, discutant la question sous tous ses aspects de droit.
17.
Mais il a été dit qu’en plus de la question sur l’eflicacité de l’arrêt de la Commission Mixte de Washington, la Cour devra se prononcer, si elle nie l’existence de la res judicata, sur la justice ou l’injustice de la réclamation de l’Eglise Catholique de Californie, et que cette question ne doit pas être examinée au point de vue de la science du droit ni avec le criterium de quelques lois positives, mais par des considérations d’équité. Pour juger de la hardiesse de cette thèse il suffit de fixer l’attention sur ce que juste veut dire ce qui est conf orme à la justice, idem sonat jure et rite (Vocabularium juris utriusque Scott et Heineccius, verb, justitia). Lorsque le Protocole confie à ce Tribunal la mission de décider si la réclamation qui lui est soumise est juste, il lui impose le devoir de se prononcer sur ce qui peut être conforme à la justice et la justice d’une réclamation au point de vue juridique ne peut être appréciée que juridiquement.
18.
On doit done fermer l’oreille aux appels de nos adversaires à l’équité, et il est nécessaire de leur rappeller que nous ne sommes pas aux Etats-Unis, afin qu’ils ne perdent pas leur temps à invoquer des précédents de la jurisprudence de ce pays sur les causes dont la connaissance incombe aux Cours d’équité ni sur le criterium que ces Cours doivent appliquer à la décision des questions qui leur sont soumises.
19.
Sans envahir le terrain réservé aux distingués avocats du [Page 744] Mexique devant ce tribunal, je me permettrai de faire constater que, comme la réclamation de l’Eglise Catholique de la Haute Californie aurait dû être soumise aux tribunaux mexicains, les seuls compétents pour décider sur des réclamations de citoyens étrangers contre le Gouvernement National, la bonne volonté de mon pays à se départir du droit indiscutable qu’il avait d’exiger cette soumission à ces juges d’une demande formulée contre la République, n’implique pas et ne peut impliquer la renonciation au droit d’exiger que la question soit jugée selon les lois mexicaines, les seules applicables au cas. Les lois mexicaines, comme le démontreront bientôt les avocats du Mexique, sont celles que cette Haute Cour devra consulter, et on ne peut admettre l’existence de quelque renonciation à ce sujet, s’il est vrai que les renonciations ne se présument pas mais doivent être expressément constatées.
20.
Si j’ai justement compris les observations de la réplique de l’agent des Etat-Unis à la réponse de M. Mariscal, on lui fait un reproche plus ou moins voilé qu’en citant l’acte de donation considéré comme l’instrument constitutif du Fonds Pie, il n’a copié que les passages propres à son but. Le reproche est injuste. La Cour est en condition de connaître le document dont il s’agit, autrement que par les paragraphes reproduits par M. Mariscal, Le Ministre des Affaires Etrangères de mon pays savait bien que l’acte auquel je me réfère faisait partie du dossier soumis à la Commission Mixte, et par là même son texte intégral était à la disposition de nos juges. Recherchant la briéveté, il copia ce qu’il jugea le plus convenable au but poursuivi, c’est-à-dire pour démontrer que ce document ne pouvait pas être la base de la réclamation américaine. La teneur des extraits fidèlement copiés ne permet pas de douter que le fait même de la discussion de ce cas devant la Cour soit une infraction manifeste de la volonté des donateurs, parce qu’ils exprimaient explicitement leur volonté qu’en aucum temps le juge ecclésiastique ou séculier ne s’entremette — ce mot a en espagnol une signification d’une énergie peu commune— à savoir si s’exécute ou non la condition de cette donation, notre volonté est qu’elle ne donne lieu à aucune prétention, et que la Sacrée Compagnie l’accomplisse ou non en vue des missions “elle n’aura à en rendre compte qu’à Dieu notre Seigneur.” Si cette volonté des premiers donateurs est une loi, nous pourrons dire qu’en ce moment même on l’enfreint, et que le Mexique seul prétend qu’elle soit respectée, tandis que les représentants de l’église Catholique de Californie essaient de la faire oublier.
21.
L’affirmation est fondée; car les réclamants et nous, nous sommes d’accord pour admettre qu’aux jésuites—à qui personne n’aurait en le droit de demander compte de l’emploi du Fonds Pie—se substitua le Gouvernement espagnol et au Gouvernement espagnol se substitua celui du Mexique.
III. 22.
Ce serait le moment de discuter le point de savoir si l’arrêt de la Commission Mixte a ou non force de chose jugée; mais comme cette question doit être amplement traitée par les avocats de mon pays, je m’abstiens de l’aborder, non sans faire constater que nos adversaires ont fait un effort considérable pour justifier une thèse que nul ne combat: toute sentence sans appel, prononcée par un juge compétent, a force de chose jugée et parmi les sentences ayant cette force se trouvent les jugements des tribunaux d’arbitrages, internationaux ou non. Nul n’a fait opposition au principe que je viens de formuler, qui est, [Page 745] certainement, de jurisprudence universelle; mais dans l’espèce, la question est de fait plutôt que de droit. Les conditions indispensables pour qu’une sentence produise la chose jugée, furent-elles réalisées en cette occasion? Tel estle problème dont le développement est réservé aux avocats du Mexique. Je me contenterai de faire remarquer seulement qu’étant évident et indéniable que l’arrêt de la Commission Mixte ne contient aucune déclaration expresse dans sa partie résolutive ni sur le montant du capital’ni beaucoup moins sur l’obligation future et perpétuelle de payer des intérêts pour ce capital, si ces déclarations ne sont pas exprimées on ne peut les supposer contenues qu’implicitement dans la décisions. Or la Commission Mixte n’ayant pas pu faire ces déclarations explicitement, elle ne pouvait non plus les faire implicitement.
23.
L’art. Il de la Convention du 4 juillet 1868, qui créa la Commission Mixte, exclut expressément des réclamations dont cette Commission pourrait connaître tout ce qui émanerait de faits antérieurs au 2 février 1848. “Il est convenue qu’aucune réclamation émanant de faits antérieurs au 2 février 1848 ne sera admise d’après cette convention.” Eh bien, l’incorporation au Trésor National des biens du Fonds Pie, la constitution du censo consignativo du produit de cette vente, avec hypothèque de la Rente du tabac, la charge donnée a l’evêque de Californie de l’administration du Fonds, l’acte qui enlevait cette administration à ce préiat, la dévolution de l’administration des biens qui n’auraient pas été vendus, tout cela émane d’événements antérieurs au 2 février 1848; done les exigences irrésistibles de la logique imposent la conclusion qu’aucune réclamation émanée de ces événements ne put être soumise à la Commission Mixte, et ne put être résolue par elle, implicitement. D’une façon expresse, aucune résolution sur les points indiques n’est consignee dans la décision du tiers M. Thornton. Indirectement ou implicitement aucun d’eux ne put être l’objet de se décision, Comment done peut-on invoquer la théorie de la chose jugée et nous parle-t-on de l’efficacité de décisions implicites?
24.
En ce qui regarde des prestations futures, c’est-à-dire l’obligation que l’on suppose avoir été imposée implicitement au Gouvernement Mexicain de payer non seulement les sommes qui lui furent demandées devant la Commission Mixte, mais les intérêts successifs, perpétuellement et indéfiniment, elle ne fut certainement pas comprise dans la demande, ni ne fut la matiéere de la défense, ni l’objet du contrat judiciare et ne fut pas expressément résolue par la Commission. Leseraitelle implicitement? Impossible, car le moins que l’on puisse dire à cet égard est que la sentence ne peut aller au-delà de ce qui est demandé, que les arrêts ultra petita sont nuls de plein droit.
25.
Où est done parmi les chapitres de la demande des évêques de la Haute Californie la pétition que le Mexique soit déclaré dans l’obligation de payer perpétuellement les intéréts dont on parle? Si une telle déclaration ne fut et ne put être la matiêre du litige, elle ne put être faite explicitement ni implicitement par la Commission Mixte.
26.
Les pouvoirs mêmes des arbitres nommés en vertu de la Convention de 1868, c’est-à-dire, les termes mêmes du compromis, étaient un obstacle insurmontable à toute tentative de prétendre à des prestations futures. Le texte de l’art. I de la Convention susvisée dissiperait tous les doutes s’il pouvait y en avoir à cet égard. Toutes les réclamations faites par des corporations, compagnies ou particuliers, eitoyens de la République Mexicaine, provenant de dommages soufferts dans leurs personnes ou dans leurs propriétés par des autorites des [Page 746] Etats-Unis qui aient été presentées à l’un des deux Gouvernements en lui demandant son interposition pres de l’autre postérieurement à la célébration du traité de Gaudalupe Hidalgo, seront référés à deux commissaires. Il est évident en conséquence que la Commission Mixte ne devait s’occuper que des réclamations pour dom mages soufferts, ou ce qui est la même chose, qu’il n’était pas dans ses facultés de connaître sur d’autres demandes relatives à des prestations futures, quelles qu’elles fussent, ni à rien résoudre sur les obligations d’un accomplissement futur.
27.
D’une part done, les réclamants ne demandèrent pas qu’il fût déclaré que le Mexique fût obligé à payer des intérêts dans l’avenir, d’une autre, si même cette demande eût été présentée à la Commission Mixte, celle-ci aurait eu à s’abstenir de prononcer sur elle, faute de compétence; et enfin l’arrêt de cette Commission ne contient aucune déclaration sur ce point. Comment done ose-t-on invoquer des résolutions implicites sur des obligations futures à la charge de la République mexicaine?
28.
Grâce à un subterfuge ingénieux, les évêques de Californie obtinrent que la Commission Mixte accueillît une réclamation fixe, précise, ponctualisée, réduite à un chiffre. Le jugement de la Commission Mixte porta sur cette réclamation. Le Mexique fut injustement condamné à payer la somme établie par la sentence. Le Mexique paya; la sentence fut exécutée dans toutes ses parties et tant pour ces motifs que pour les stipulations de la convention de 1868, contenues aux art. II, paragraphe II et V, l’arrêt de la Commission doit être regardé comme l’arrangement complet, parfait et final de toute réclamation contre l’un des Gouvernements, procédant d’événements d’une date antérieure à l’échange des ratifications de la convention. Les Hautes parties contractantes s’engagent aussi à ce que toute réclamation présentée ou non à la Commission fut regardée et traitée, finalement réglée, annulée et pour toujours inadmissible une fois clos les travaux de la dite Commission.
29.
Un mot encore avant de passer à une autre question. Bien que, entre la présentation de la réclamation des évêques de la Haute Californie, et l’arrêt du surarbitre de la Commission Mixte, il s’écoulât une période de cinq années durant lesquelles, si la thèse soutenue par les avocats de la partie adverse est vraie, les intérêts continuèrent à courir sur le capital constituant le Fonds Pie, le jugement du surarbitre, n’osant pas faire de déclarations pour l’avenir, s’abstint de faire payer d’autres intérêts que ceux qu’il regarda échus dans les vingt et un ans écoulés depuis le 2 février 1848, jusqu’à la date de la réclamation. Pourquoi l’arbitre s’abstint-il de faire quelque déclaration sur les intérêts échus durant les cinq ans employés à plaider l’affaire? Pourquoi ne fit-il aucune indication sur la liquidation à établir pour que les réclamants perçussent une somme qui se serait élevée à plus de deux cent mille piastres?
30.
Assurément, parce qu’il considéra comme l’avait considéré le commissaire américain, que cette déclaration était hors de sa compétence, qui se bornait à connaître des dommages soufferts jusqu’au moment de l’échange des ratifications de la convention de 1868, et parce qu’en un mot, il lui était interdit de décvéter ultra petita.
31.
L’obligation de payer une rente perpétuelle et indéfinie à l’église Catholique de Californie ne fut, d’après ce qu’on a vu, ni demandée, ni lébattue, ni déclarée expréssement ni implicitement et par là môme, [Page 747] la chose jugée par l’arrêt de la Commission Mixte demeura épuisée, c’est le mot, lorsque la République Mexicaine eut payé la somme à laquelle elle avait été condamnée.
32.
Il me semble que j’ai fait ressortir l’importance de se rapporter non seulement aux enseignements des auteurs sur l’extension de la res judicata, et aux principes de la théorie juridique sur cette matière, mais aussi, puisqu’il est question d’une sentence arbitrale, aux termes du compromis et à la volonté des octroyants sur les effets, et sur l’extension du jugement, parce que sur tous ces points la volonté des parties est loi et prévaut sur le droit positif, sur les théories scientifiques et sur les doctrines des jurisconsultes.
IV. 33.
La réponse du Gouvernement Mexicain oppose à la demande l’exception péremptoire qui se déduit justement et naturellement des Art. XIV et XV du Traité de Guadalupe Hidalgo. Selon le premier de ces articles: “Les Etats-Unis exonèrent aussi la République Mexicaine de toutes les réclamations de eitoyens des Etats-Unis non résolues encore contre le Gouvernement Mexicain et qui peuvent avoir une origine antérieure à la date du présent traité: cette exonération est définitive et perpétuelle, soit que lesdites réclamations soient admises, soit qu’elles soient rejetées par le tribunal de commissaires dont parle l’article suivant et quel que puisse être le montant de celles qui restent admises.” L’art. V ajoute: “Les Etats-Unis exonérant le Mexique de toute responsabilité pour les réclamations de leurs citoyens, mentionnées à l’article précédent et les considérant complètement annulées pour toujours, quel qu’en soit le montant, prennent à leur charge de les satisfaire jusqu’à un chiffre n’excédant pas trois millions deux cent cinquante mille dollars.” Comment l’exception alléguée par le Mexique résulte-t-elle de cet article? Si nous en jugeons par la réplique des réclamants à la réponse de M. Mariscal ils n’ont pas compris la portée de la défense dont je m’occupe. Le texte anglais de l’art. IV, qui est celui que l’on doit avoir présent à l’esprit parce qu’il est à supposer que la partie contractante, auteur de la renonciation contenue dans ledit article, mesura la signification exacte des concepts employés pour l’énoncer, dit que la libération octroyée au Mexique se réfere à toute espèce de réclamations ou crédits—claims—avant une origine antérieure à la signature de Guadalupe. Est-il ou non certain, que la réclamation relative au Fonds Pie est d’une créance—claim—que l’on suppose existant avant cet événement? Il serait impossible de nier que tous les élements de ce crédit supposé consistent en faits, en actes ou en dispositions du Gouvernement Mexicain antérieurs à 1848, et s’il en est ainsi, à moins de fermer les yeux devant l’évidence, ou devra convenir que cette réclamation—claim—selon l’autorité linguistique la plus acceptée en anglais—eut son origine, naquit, surgit, avant la signature du traité de Guadalupe. Ce concept est compris dans la libération ample, absolue, illimitée, accordée au Mexique à l’art. IV dudit traité. Ainsi le comprirent les négociateurs mexicains du traité de Paix de 1848, et la meilleure preuve en est ce qu’ils consignèrent dans le rapport présenté à leur Gouvernement pour lui rendre compte de leur mission. Je copie les passages relatifs de ce rapport, qui fut présenté à la Cour comme une des annexes de la réponse de mon Gouvernement à la réclamation des Etats-Unis. Page 245. “Les quinze millions convenus à l’art. 12 et les stipulations des art. 13 et 14, sont l’indemnisation la plus claire que nous puissions obtenir comme compensation des dommages soufferts par la République. [Page 748] Celle-ci diminuée par l’accroissement de territoire acquis par sa voisine, les mêmes obligations qu’elle avait aupara.vant vont peser sur un pays moins grand, et sont par conséquent plus onéreuses. Ainsi notre dette intérieure et extérieure devra être satisfaite en entierpar la partie du peuple mexicain qui conserve ce nom, tandis que sans la cession elle s’etendrait sur toute la République telle qu’elle était auparavant. Ce sont des dommages de cette nature qui dans la mesure du possible sont réparés par l’indemnisation.” Page 247. “La véritable utilité des arrangements contenus dans les trois articles—13, 14 et 15—ne consiste pas précisément en ce que la République soit exonérée du paiement des sommes auxquelles ils se refèrent quelqu’en soit le montant, petit ou élevé, mais dans le réglement de tous ses comptes avec la nation voisine, et à ee que rien ne reste pendcmt susceptible d’altérer la bonne intelligence entre les deux Gouvernements, et de donner lieu à des contestations embrouillées et dangereuses. Cela est un bien d’une importance capitale.”
34.
C’est ainsi que les commissaires Mexicains comprirent la portée et la signification des art. 13, 14 et 15 du traité, et il est certain que la thèse du Gonvernement du Mexique que relativement aux réclamations ou crédits pour faits antérieurs au 3 février 1848, la République resta absolument libre et exonérée, n’est que le résultat de l’interprétation que dès alors on considéra qu’il convenait de donner aux articles cités.
35.
Mais les réclamants prétendent se soustraire à la rigueur inflexible des déductions qui dérivent des textes ivoqués et allèguent que le 2 février 1848, aucun citoyen américain ne pouvait formuler de réclamation au Gouvernement du Mexique pour des causes ou motifs plus ou moins relatifs au Fonds Pie. La libération consentie au Mexique ne pouvait done comprendre la demande actuelle, comme elle ne put non plus être appliqée à la demande soumise à la Commission Mixte. Cet argument, malgré son énergie apparente est notoirement spécieux.
36.
En effet, acceptant le point de vue de nos adversaires, nous pouvons dire avec eux qu’en 1848, aucun citoyen des Etats-Unis n’avait à proposer de réclamation sur les biens du Fonds Pie. Comment, dans la suite des temps, quelques citoyens des Etats-Unis purent-ils acquérir un intérêt dans ce Fonds Pie? C’est ce que jamais n’ont pu expliquer d’une façon satisfaisante les réclamants, qui ayant commencé par s’intituler les maîtres de tout ce qui devrait appartenir à ce Fonds, (Voir la lettre de l’Evêque Alemany au Dt. d’Etat des Etats-Unis en 1859) au moment de spécifier leur demande devant la Commission Mixte, abandonnent cette prétention et la réduisent aux intérêts qu’ils supposent produits par le capital que, selon leur caprice, ils calculent comme résultant du Fonds, postérieurement à la date du traité de paix.
37.
Pour donner une apparence d’efficacité au subterfuge imaginé pour éluder les stipulations dudit traité; on dit que comme les intérêts demandés furent causés et non payés après février 1848, le dommage souffert pour cette raison, le préjudice dont ils demandent réparation, survinrent après cette date et à des citoyens Américains. Pour arriver à cette conclusion qui fait plus honneur à l’habileté de ceux qui la soutiennent qu’à leur justification, on tente de séparer la prestation demandée, c’est-à-dire une série d’annuités d’intérêts, de l’obligation générale de les payer, comme si c’était là deux choses différentes et [Page 749] susceptibles d’exister l’une sans l’autre. Quiconque prendra la peine d’examiner froidement la situation aura cette persuasion: l’obligation de payer un intérêt périodique est une seule; c’est celle que contracte un débiteur en s’en inposant la charge; les échéances de cette obligation sont les différents et les successifs. On ne peut dire raisonnablement qu’il y ait autant d’obligations que d’échéanees périodiques des intérêts. Le lien juridique est unique mais avec cette modalité, que les prestations auxquelles s’oblige le débiteur n’ont pas à être accomplies en une seule fois, mais à des époques consécutives. A chacune de ces échéances convenues, ou peut demander l’accomplissement de Pobligation primitive qui est la seule exigible.
38.
Si ces observations sont vraies—et je doute beaucoup que l’on puisse les discuter de bonne foi—nous arrivons nécessairement à cette conclusion: l’obligation dont les réclamants exigèrent l’accomplissement devant la Commission Mixte, et celle dont on exige aujourd’hui Paccomplissement du Mexique, qui est la même, est celle que la République s’imposa, selon le criterium des représentants de l’Eglise Catholique de Californie, lorsqu’elle édicta le décret du 24 octobre 1842, ou quand le 3 avril 1845, elle ordonna la dévolution à l’Evêque de Californie des biens invendus du Fonds Pie. Or, cette obligation quelle qu’elle fût, resta absolument éteinte par les clauses XIV et XV du traité de Guadalupe. Elle n’a pu renaître seulement par le fait que l’Eglise Catholique de Californie eut acquis la qualité de corporation nord-américaine en 1854. Nous pouvons done affirmer que les réclamants actuels ne peuvent soutenir leurs prétentions en présence d’un traite, qui, comme le dit M. Mariscal dans sa réponse, est le plus solemnel de tous ceux qui unissent le Mexique et les Etats-Unis, et grâce auquel, selon que Pentendirent les négociateurs mexicains, depuis 1848, tous nos comptes avec cette nation demeurent soldés et rien ne resta debout qui pût donner l’occasion dans l’avenir à des controverses compliquées et dangereuses.
39.
Il a été dit que, grâce à la découverte d’un subterfuge plus ingénieux que juridique, les évêques de la Haute Californie parvinrent à faire encadrer leurs réclamations dans les prévisions de la Convention de 1868 et je crois qu’il faut bien revenir sur ce point. Le sophisme du raisonnement employé à l’effet repose sur une confusion délibérée entre ce qui constitue l’origine—techniquement la cause—d’une obligation avec les faits qui peuvent déterminer son échéance. Causa, dit la loi romaine (II D. de verb. sig), primum enim negotium significat, et quamlibet obligationum originem, Causa, pro titulo (leg II. parr. 4 D. de except, rei. jud. Scott et Heineccius Vocab, juris Utriusque Verb. Causa). L’échéance d’une obligation quand elle est à terme, ou consiste en des préstations periodiques, n’est pas l’origine, ni la cause, ni le principe de l’obligation mais seulement l’occasion de la rendre effective, cum dies credit; en d’autres termes, l’échéance n’est pas l’évènement d’où procède l’obligation, mais le fait qui détermine l’occasion d’en exiger l’accomplissement.
40.
Insister sur ce point devant un tribunal composé de juristes éminents, serait abuser de son attention. En appliquant done au cas concret les remarques antérieures, on sera forcé de reconnaître que les différents actes des Gouvernements espagnol et mexicain dont l’histoire a été amplement exposée dans ces audiences, tous antérieurs aux années 1848 et 1868, étant l’origine, la cause, le principe de l’obligation dont on exige l’accomplissement, et ces faits étant ceux dont procède [Page 750] la réclamation, celle-ci est en tous points inadmissible parce qu’en face d’ellese dresse l’insurmontable obstacle de deuxpactes internationaux, également respectables et obligatoires.
V. 41.
Dans la prévision que, contrairement à ce que l’on doit espérer, la Cour décide que l’exception péremptoire déduite des stipulations du traité de Guadalupe n’est pas efficace, M. Mariscal propose une autre du même caractère, fondée sur diverses lois mexicaines dont les textes sont à la disposition du tribunal, ayant été déposées en même temps que la réponse de mon Gouvernement, et tout en réservant aux distingués avocats du Mexique le développement des questions juridiques posées en même temps que l’exception dont je m’occupe, je me permettrai quelques explications que je crois indispensables.
42.
La somme réclamée est un revenu de 6 pet. garantie par l’hypothèque de la rente du tabac, et la garantie promise et constitutée etant une hypothèque qui ne peut porter que sur des immeubles ou droits réels, il est manifeste que le droit constitué si il est un droit, ce qui est bien contestable, serait une valeur immobilière.
43.
L’art. 684 du Code civil mexicain dit que “les biens immeubles sont fract. IX. Les autres droits réels sur des immeubles. L’art. 1823 du même Code est ainsi conçu: “L’hypothèque est un droit réel constitué sur des biens immeubles ou sur les droits réels pour garantir l’exécution d’une obligation ou sa préférence pour le paiement.” En conséquence, tant à cause de la nature même de l’opération que à cause de sa garantie par une hypothèque, l’obligation attribuée au Gouvernement du Mexique, constitue juridiquement un bien immeuble car il est supposé avoir donné naissance a un droit réel, et les droits réels sont des immeubles selon la législation Mexicaine.
44.
Quelle est la loi applicable à ce droit réel? Indiscutablement la loi Mexicaine, parce qu’a l’époque où ce droit commença d’exister, les personnes, les choses, le lieu du contrat supposé et celui où était situé l’objet de ce contrat, étaient mexicains.
45.
Eh bien, selon les principes du droit international privé, le statut réel, c’est-à-dire l’ensemble des lois applicables aux liens immeubles, est le seul applicable dans les cas de différends, parce qu’il a été reconnu à l’unanimité que chaque Etat souverain a le droit de légiférer sur les immeubles situés dans son territoire. En vertu de ce principe élémentaire, l’art. 13 du Code civil du District Fédéral du Mexique dispose que: “Sur ce qui concerne les biens immeubles situés dans le District Fédéral ou à la basse Californie, les lois Mexicaines seront obligatoires quoi qu’ils soient possédés par des étrangers.” Et malgré ma crainte des propositions absolues, j’oserai affirmer que ce principe appartient à la jurisprudence universelle.
46.
Sans admettre bien entendu, que l’Eglise Catholique de Californie fût propriétaire du censo constitué par le Gouvernement Mexicain sur la rente du tabac et avec l’hypothèque de cette même rente, je prétends que les lois mexicaines sont les seules applicables. A leur défaut, quelles autres lois pourraient l’être?
47.
Des dispositions du Congrès Mexicain obligent à considérer comme éteints par la prescription négative les droits que prétendent exercer les réclamants. A cette prescription ils opposent uniquement que jamais encore on n’a soutenu devant un tribunal international qu’une réclamation put etre rejetée pour cause de prescription.
48.
Une affirmation aussi absolue est téméraire; parce qu’il faudrait pouvoir alléguer et prouver que des précédents de jurisprudence internationale [Page 751] ont établi pour règle que l’exception de prescription est inadmissible contre des réclamations soumises à des tribunaux internationaux; et c’est ce que nos adversaires ne pourraient démontrer. Quelle relation y a-t-il entre la nature ou l’espece de juridiction à laquelle est soumise une action, et la valeur de tel ou tel système de défense? Cependant les réclamants posent en dogme que les lois relatives à la prescription négative, manquent d’autorité devant les tribunaux internationaux, mais jusqu’aujourd’hui on s’est borné à fournir sur ce point des affirmations. Nous devrions done attendre les preuves. Mais il n’est pas inutile pour bien poser la question, de rappeler que le tribunal constitué par le protocole du 22 mai s’est substitué, du consentement des parties intéressées, au tribunal préétabli qui en l’absence de cette stipulation aurait dû connaître de la question. Nous affirmons que ce tribunal aurait dû être mexicain et invoquant l’art. 97 de la Constitution Féderale Mexicaine, présentée parmi les annexes de la réponse de la République, nous soutenons que c’est devant ce tribunal que les réclamants auraient dû demander l’accomplissement de l’obligation attribuée au Gouvernement du Mexique. Si la demande avait été présentée devant semblable tribunal, le défendeur n’aurait-il done pu invoquer la prescription? Il serait impossible de le nier. Et pourquoi cette défense régulière devant un tribunal préétabli, ne serait-elle opposable devant un tribunal spécialement institué pour connaître de la question au moyen d’un compromis arbitral? Parce que, disent nos adversaires, en premier lieu, l’objet de la prescription n’est pas d’éteindre le droit mais d’empêcher l’action. Nous ignorons si aux Etats-Unis ce principe est juridique, mais suivant la tradition romaine et d’après les législations civiles du Code Napoléon, la prescription négative est précisément un moyen légal d’extinction d’obligations, ou ce qui revient au même, produit une exception péremptoire qui détruit l’action, et non une défense dilatoire qui en empêche l’exercice. En second lieu, ajoutent les réclamants, quiconque est sous l’obligation d’une prestation, peut à son choix recourir ou non à la prescription, mais du seul fait de son consentement à ce que la réclamation soit soumise à l’arbitrage il se désiste de la défense fondée sur la prescription. Pourquoi? Nous l’ignorons. Mais la théorie de nos adversaires, formulée in terminis, pourrait servir aussi bien à exclure tous moyens de défense. Par le fait d’avoir consenti à ce que la réclamation présentée fût soumise à l’arbitrage, le Mexique se serait déclaré vaincu d’avance, et aurait signé la sentence le condamnant à payer tout ce qu’on lui réclame? Non! Une prétention aussi absurde ne peut être nulle part accueillie car elle revient à dire que dans la célébration d’un compromis arbitral le défendeur, du seul fait d’y souscrire reconnaît ne pouvoir lui opposer aucune exception.
49.
A ce sujet, nous retrouvons une allégation qui a déja été étudiée. Elle consiste dans la supposition que d’apres les stipulations du Protocole du 22 mai, la Cour à la juridiction de laquelle se soumettaient les Hautes parties contractantes, ayant la faculté pour décider sur la justice de la réclamation, iau cas où elle ne serait pas régle par le principe de “res judicata” tout systeme de défense appuyé sur le temps écouié, est inadmissible. L’injustice—dit-on—ne peut sous l’action du temps de venir la justice, sans une faute de la part du créancier ou par les actes du débiteur déclarant la réclamation prescrite.
50.
Il serait oiseux de démontrer que dans la langue juridique juste signifie ce qui est conforme à la justice, et que dans une question de [Page 752] l’ordre juridique comme celle-ci, justice signifie Droit. Or, la loi positive autorise la prescription, comme un moyen juridique légitime c’està-dire juste, d’éteindre les obligations, de sorte que si le débiteur veut l’invoquer et il en fait la preuve, le juge qui connaît du procès devra la déclarer et nul ne pourra qualifier d’injuste la sentence rejetant l’action intentée.
51.
Le cours du temps peut avoir pour résultat que l’injustice se convertisse en justice; et le phénomène se réalise tous les jours du fait de la prescription positive et négative, sanctionnée par toutes les législations comme institution d’ordre public et nommée paries juriseonsultes romains, la patronne du genre humain.
52.
La partie adverse ihsinue que le créancier n’a aucune faute à se reprocher, si le temps nécessaire à la prescription s’est écoulé. Mais on oublie, en formulant cette allégation, que la loi à cet égard ne reproche au créancier d’autre faute que d’avoir laissé son action tomber sous le coup de la prescription.

M. Emilio Pardo. Je demande à la Cour la permission de continuer ma plaidoirie à l’audience prochaine, car je me sens très oppressé.

M. Descamps. Est-ce qu’on ne pourrait pas autoriser Son Excellence à. déposer son imprimé, et le considérer comme lu?

M. Beernaert. En effet, on pourrait considérer la lecture comme terminée.

M. Descamps. De cette façon, les débats pourraient continuer sans interruption jusqu’à la fin.

M. le Président. Absolument. M. l’agent des Etats-Unis s’oppose-t-il à ce que le reste du mémoire ne soit pas lu, et à ce que celui-ci soit déposé?

M. Ralston. I suppose M. Pardo finds himself fatigued and not entirely prepared to continue, but simply desires an adjournment until Monday. We are perfectly willing to agree to that.

M. Asser. He perhaps does not understand that it is proposed to consider the oral argument as finished, and to file the printed argument Monday. Has the agent of the United States any objection?

M. Ralston. No.

Sir Edward Fry. Then we gain so much time.

M. Ralston. If I can have it in print Monday I shall not object.

M. de Martens. We shall begin Monday.

M. Ralston. With M. Penfield’s remarks.

M. le Président. Maintenant, la première partie des débats est close, avec la réserve pour M. l’agent du Mexique de déposer lundi sa plaidoirie imprimée. Alors commencent les répliques. Pour les répliques, d’après les règles de procédure établies par le Tribunal, chacune des parties a le droit de faire parler un conseil.

M. Descamps. Je demande la parole.

M. le Président. M. le Chevalier Descamps a la parole.

M. Descamps. Je voudrais faire observer à la Cour que j’ai été victime d’un cas de force majeure qui m’a empêché de parler au jour qui m’était indiqué; je demande la permission de prendre maintenant la parole, car ensuite il me serait impossible de le faire, M. Penfield, juge aux Etats-Unis, ayant évidemment un droit de priorité sur moi; de sorte que la conséquence serait de me rendre victime d’un cas de force majeure absolue, puisque le jour où mon tour de parole est venu était précisément celui de l’inhumation de ma vénérée souveraine. J’espère que la Cour ne voudra pas me tenir rigueur et qu’elle [Page 753] prendra en considération la situation spéciale dans laquelle je me trouve.

M. le Président. Le Tribunal, vu le cas invoqué à l’appui de votre demande, vous accorde celle-ci, sous la réserve du droit pour la partie adverse de faire aussi répliquer par deux conseils.

M. Beernaert. Je pense que nous rentrerions dans les vues de la Cour d’abréger autant que cela se peut les débats en faisant pour les répliques ce que nous venons de faire pour les plaidoiries, de maniére à éviter les répétitions. Il y a deux grandes questions: La réclamation est-elle juste? Y a-t-il chose jugée? Nous nous sommes distribué la tâche; peut-être nos honorables contradicteurs pourraient-ils faire de même, et nous reprendrions la même étude.

M. Descamps. Oui, sauf le droit de faire valoir d’autres considérations, en ce qui me concerne je tâcherai de le faire; nous devons conserver une certaine liberté d’action.

M. Beernaert. Bien entendu.

M. Ralston. Simply with the understanding that when the session opens Monday, M. Descamps will open and will be followed by Judge Penfield, who will close for the United States.

M. Emilio Pardo. Il reste entendu que j’ai le droit de déposer lundi le mémoire qui contient mon plaidoyer?

M. le Président. Certainement.

M. Descamps. Nous n’aurons pas le temps de le lire!

M. de Martens. Il s’agit seulement de la fin, M. Pardo avait presque fini.

M. Descamps. S’il y avait une chose que nous n’aurions pas pu connaitre nous demandons à en avoir communication.

M. de Martens. Il faut que M. Pardo communique directement la fin de son plaidoyer à la partie adverse.

(La séance est levée à 4½ heures et le Tribunal s’ajourne à lundi le 29 septembre à 10 heures du matin.)