protocole xi.

Le Tribunal s’est réuni à 4 heures de l’après-midi, à portes closes, tous les Arbitres étant présents.

Les cinq Arbitres ont signé la Sentence définitive du Tribunal en trois exemplaires, dont un sera remis à chacune des Parties, en exécution des dispositions du Traité, et dont le troisième est destiné à être [Page 875] déposé dans les archives du Bureau International de la Cour permanente d’Arbitrage.

A 5 heures, la séance à portes closes a pris fin et a été immédiatement suivie d’une séance publique.

Tous les. Arbitres étaient présents, ainsi que les Agents des Gouvernements des Etats-Unis d’Amérique et des Etats-Unis Mexicains.

Le Président donne la parole à Mr. Ruyssenaers, Secrétaire-Général de la Cour Permanente d’Arbitrage pour lire la sentence arbitrale dont voici la teneur:

Le Tribunal d’Arbitrage, constitué en vertu du Traité conclu à Washington, le 22 mai 1902, entre les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis Mexicains;

Attendu que, par un compromis, rédigé sous forme de Protocole, entre les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis Mexicains, signé à Washington le 22 mai 1902, il a été convenu et regle que le différend, qui a surgi entre les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis Mexicains au sujet du “Ponds Pieux des Californies” dont les annuités étaient réclamées par les Etats-Unis d’Amerique, au profit de l’Archevêque de San Francisco et de l’Evêque de Monterey, au Gouvernement de la République Mexicaine, serait soumis à un Tribunal d’Arbitrage, constitue sur les bases de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux, signée à La Haye le 29 juillet 1899, qui serait composé de la manière suivante, savoir:

Le Président des Etats-Unis d’Amérique désignerait deux Arbitres non-nationaux et le Président des Etats-Unis Mexicains également deux Arbitres non-nationaux Ce quatre Arbitres devraient se réunir le 1 septembre 1902 à La Haye afin de nommer le Surarbitre qui, en même temps, serait de droit le Président du Tribunal d’Arbitrage.

Attendu que le Président des Etats-Unis d’Amérique a nommé comme Arbitres:

Le très honorable Sir Edward Fry, Docteur en droit, autrefois siégeant à la Cour d’Appel, Membre du Conseil Privé de Sa Majesté Britannique, Membre de la Cour Permanente d’Arbitrage et

Son Excellence Monsieur de Martens, Docteur en Droit, Conseiller Privé, Membre du Conseil du Ministère Impérial des affaires Etrangères de Russie, Membre de l’Institut de France, Membre de la Cour Permanente d’Arbitrage;

Attendu que le Président des Etats-Unis Mexicains a nommé comme Arbitres:

Monsieur T. M. C. Asser, Docteur en Droit, Membre du Conseil d’Etat des Pays-Bas, ancien Professeur à l’Université d’Amsterdam, Membre de la Cour Permanente d’Arbitrage et

Monsieur le Jonkheer A. F. de Savornin Lohman, Docteur en Droit, ancien Ministre de l’Intérieur des Pays-Bas, ancien Professeur à l’Université libre d’Amsterdam, Membre de la Seconde Chambre des Etats-Généraux, Membre de la Cour Permanente d’Arbitrage;

Lesquels Arbitres, dans leur réunion du 1 septembre 1902, ont élu, conformément aux Articles XXXII—XXXIV de la Convention de La Haye du 29 Juillet 1899, comme Surarbitre, et Président de droit du Tribunal d’Arbitrage:

Monsieur Henning. Matzen, Docteur en Droit, Professeur à l’Université de Copenhague, Conseiller extraordinaire à la Cour Suprême, Président du Landsthing, Membre de la Cour Permanente d’Arbitrage.

[Page 876]

Et attendu, qu’en vertu du Protocole de Washington du 22 mai 1902, les susnommés Arbitres, réunis en Tribunal d’Arbitrage, devraient décider.

1°.
Si la dite réclamation des Etats-Unis d’Amérique au profit de l’Archevêque de San Francisco et de l’Evêque de Monterey est régle par le principe de la res judicata, en vertu de la sentence arbitrale du 11 novembre 1875, prononcée par Sir Edward Thornton, en qualité de Surarbitre;
2°.
Si non, si la dite réclamation est juste, avec pouvoir de rendre tel jugement qui leur semblera juste et équitable;

Attendu que les susnommés Arbitres, ayant examiné avec impartialité et soin tous les documents et actes, présentés au Tribunal d’Arbitrage par les Agents des Etats-Unis d’Amérique et des Etats Unis Mexicains, et ayant entendu avec la plus grande attentiou les plaidoiries orales, présentées devant le Tribunal par les Agents et les Conseils des deux Parties en litige;

Considérant que le litige, soumis à la décision du Tribunal d’Arbitrage, consiste dans un conflit entre les Etats-Unis d’Amérique et les Etats-Unis Mexicains qui ne saurait être règié que sur la base des traités internationaux et des principes du droit international;

Considérant que les Traités internationaux, conclus depuis l’année 1848 jusqu’au compromis du 22 mai 1902, entre les deux Puissances en litige, constatent le caractère éminemment international de ce conflit;

Considérant que toutes les parties d’un jugement ou d’un arrêt concernant les points débattus au litige s’édairent et ce complètent mutuellement et qu’elles servent toutes à préciser le sens et la portée du dispositif, à déterminer les points sur lesquels il y a chose jugée et qui partant ne peuvent être remis en question;

Considérant que cette règle ne s’applique pas seulement aux jugements des tribunaux institués par l’Etat, mais également aux sentences arbitrales, rendues dans les limites de la compétence fixées par le compromis;

Considérant que ce même principe doit à plus forte raison, etre appliqué aux arbitrages internationaux;

Considérant que la Convention du 4 juillet 1868, conclue entre les deux Etats en litige, avait accordé aux Commissions Mixtes, nominées par ces Etats, ainsi qu’au Surarbitre à désigner éventuellement, le droit de statuer sur leur propre compétence;

Considérant que dans le litige, soumis à la décision du Tribunal d’Arbitrage, en vertu du compromis du 22 mai 1902, il y a, non seulement identité des parties en litige, mais également identité de la matière, jugée par la sentence arbitrale de Sir Edward Thornton comme Surarbitre en 1875 et amendée par lui le 24 octobre 1876;

Considérant que le Gouvernement des Etats-Unis Mexicains a consciencieusement exécuté la sentence arbitrale de 1875 et 1876, en payant les annuités adjugées par le Surarbitre;

Considérant que, depuis 1869, trente trois annuités n’ont pas été payées par le Gouvernement des Etats-Unis Mexicains au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique et que les règles de la prescription, étant exclusivement du domaine du droit civil, ne sauraient être appliquées au présent conflit entre les deux Etats en litige;

Considérant, en ce qui concerne la monnaie, dans laquelle le paiement de la rente annuelle doit avoir lieu, que le dollar d’argent, ayant eours légal au Mexique, le paiement en or ne peut être exigé qu’en vertu d’une stipulation expresse;

[Page 877]

Que, dans l’espèce, telle stipulation n’existant pas, la Partie défenderesse a le droit de se libérer en argent;

Que, par rapport à ce point, la sentence de Sir Edward Thornton n’a pas autrement force de chose jugée que pour les vingt et une annuités à l’égard desquelles le surarbitre a décidé que le paiement devait avoir lieu en dollars d’or Mexicains, puisque la question du mode de paiement ne concerne pas le fond du droit en litige mais seulement l’exécution de la sentence;

Considérant, que d’aprés l’Article X du Protocole de Washington du 22 mai 1902, le présent Tribunal d’Arbitrage aura à statuer, en cas de condamnation de la République du Mexique, dans quelle monnaie le paiement devra avoir lieu;

Par ces motifs le Tribunals d’Arbitrage décide et prononce à l’unanimité ce qui suit:

1°. Que la dite réclamation des Etats-Unis d’Amérique au profit de l’Archevêque de San Francisco et de l’Evêque de Monterey est régle par le principe de la res judicata, en vertu de la sentence arbitrale de Sir Edward Thornton du 11 novembre 1875 amendée par lui le 24 octobre 1876;

2°. Que, conformént à cette Sentence arbitrale, le Gouvernement de la République des Etats-Unis Mexicains devra payer au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique la somme d’un million quatre cent vingt mille six cent quatre-vingt-deux Dollars du Mexique et soixante-sept cents (l,420,68267/100 Dollars du Mexique) en monnaie ayant cours légal au Mexique, dans le déiai fixé par l’Article X du Protocole de Washington du 22 mai 1902.

Cette somme d’un million quatre cent vingt mille six cent quatre vingt deux Dollars et soixante sept cents (1,420,68267/100 Dollars) constituera le versement total des annuités échues et non payées par le Gouvernement de la République Mexicaine, savoir de la rente annuele de quarante trois mille cinquante Dollars du Mexique et quatre-vingtdix-neuf cents (43,05099/100 Dollars du Mexique) depuis le 2 février 1869 jusqu’au 2 février 1902;

3°. Le Gouvernement de la République des Etats-Unis Mexicains paiera au Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique le 2 février 1903, et chaque année suivante à cette même date du février, à perpétuité, la rente annuelle de quarante trois mille cinquante Dollars du Mexique et quatre-vingt-dix-neuf cents (43,050399/100 Dollars du Mexique) en monnaie ayant cours légal au Mexique.

Fait à La Haye, dans l’Hôtel de la Cour Permanente d’Arbitrage, en triple original, le 14 octobre 1902.

Henning Matzen.

Edw. Fry.

Martens.

T. M. C. Asser.

A. F. de Savornin Lohman.

Le Président prononce ensuite l’allocution suivante:

Messieurs, le Tribunal d’Arbitrage a tenu sa première séance le 15 septembre, et la cloture des débats a été prononcée le ler octobre; aujourd’hui, 14 octobre, nous avons rendu la sentence que M. le Secrétaire-Général vient de lire, et dont un exemplaire sera donné à chaque Agent des Puissances en litige, en exécution des dispositions du Traité, et dont le troisième est destiné à être déposé dans les archives du Bureau International de la Cour Permanente d’Arbitrage.

[Page 878]

Le Tribunal d’Arbitrage est done arrivé à la fin de sa tâche, à moins que les parties, usant de la faculté que leur donne l’article 13 du protocole de Washington, conformément à l’article 55 de la Convention de La Haye, demandent la revision de la sentence arbitral. Cette revision ne peut être motivée que par la découverte d’un fait nouveau qui eût été de nature à exercer une influence décisive sur la sentence et qui lors de la clôture des débats était inconnu du Tribunal lui-même et de la partie qui demande la révision. La procédure de révision ne peut être ouverte que par une décision du Tribunal constatant expressément l’existence du fait nouveau, lui reconnaissant le caractère prévu par le paragraphe précédent et déclarant à ce titre la demande recevable. Mais dès maintenant, et jusqu’à ce qu’une telle demande soit adressée au Tribunal et déclarée recevable, les Hautes Parties ont cessé d’être en litige et la mission qui lui a été confiee est regardée comme remplie.

Je tiens, Messieurs, à vous adresser encore quelques mots.

S’il n’est donné à aucun Tribunal humain de savoir ses sentences infaillibles, nous emporterons du moins d’ici la ferme conviction d’avoir recherché la vérité de toutes nos forces, consciencieusement et impartialement; et il me sera permis d’ajouter que l’unanimité avec laquelle tous les Membres du Tribunal appartenant à différents pays réunis ici à La Haye sont arrivés, chacun pour soi et tous ensemble, aux mêmes conclusions, me semble constituer une garantie de plus que dans notre recherché empressée de la vérité nous n’avons pas fait fausse route.

En repassant par mémoire le cours de nos travaux, c’est à Messieurs les Agents, les intermédiaires entre les Parties et le Tribunal, que celui-ci doit en premier lieu ses remerciements sincères. Messieurs, marquées au sceau de votre haute distinction, les relations avec le Tribunal, établies et maintenues par vous, ont été des plus excellentes et des plus cordiales du premier jusqu’au dernier jour.

Nous remercions aussi chaleureusement Messieurs les Conseils des deux Parties, qui nous ont secondés et que ont revêtu les débats des formes les plus courtoises et d’une bonne grâce incessante.

Une parfaite urbanité dans les rapports mutuels a rendu la tâche du Président aussi facile qu’agréable. Lors de notre première réunion j’ai dit que les Conseils établiraient des bases pour les délibérations du Tribunal; ils ont réalisé et bien au-delà cette prédiction, ils ont guidé le Tribunal en faisant jaillir sur tous les points en litige la lumière de leur haute érudition et du travail le plus approfondi.

Nous vous remercions, Monsieur le Secrétaire-Général, dont l’infatigable assistance nous a prêté un précieux appui, ainsi que Messieurs les Secrétaires pour le soin avec lequel ils se sont acquittés de leur tâche.

Le tribut de notre reconnaissance est dû aussi aux Membres du Conseil Administratif de la Cour Permanente, qui ont mis à notre disposition le confort et l’élégance des belles salles dans lesquelles nous avons tenu nos réunions.

Sous l’impression de l’accueil si hospitalier qui lui a été fait dans ce pays si riche en souvenirs de grands faits et de bienfaits dans l’histoire du Droit et de l’Humanité, le Tribunal, siégeant sous les auspices de Sa Majesté la Reine des Pays-Bas, dépose aux pieds de la Gracieuse Souveraine l’hommage respectueux de sa profonde gratitude, et ses meilleurs voeux pour son bonheur et pour la prospérité de son Peuple.

[Page 879]

Mr. Ralston, Agent des Etats-Unis d’Amérique demande la parole et s’exprime en ces termes:

Mr. President and honorable arbitrators: Now that the hour of adjournment approaches, it seems fitting that some acknowledgment should be made on the part of the United States and their representatives for courtesies extended, as well as for those expressed in the speech just concluded.

We came strangers, and have met with only the most friendly treatment from all. To you, Mr. President, and to all other members of the Court, we owe most hearty thanks for the kind and patient hearing constantly afforded us. You have recognized the fact that satisfaction to all litigants, whether successful or rejected, was only to be given when all could feel that their arguments, sound or otherwise, concise or repeated, had received all possible attention.

My duty at this point would be incomplete were I to overlook acknowledgment of the unfailing courtesy and friendliness to the parties litigant displayed by the officers of the Court. Without their constant assistance, our proceedings must have been much less rapid and effective.

I desire to recognize the good faith and good temper at all times displayed by our friends upon the other side of this dispute. While they have ever loyally and ably maintained the cause of Mexico and energetically sought to further her interests, never have any difficulties of a personal character or controversies calculated to leave unpleasant memories arisen between us. I also join with you, Mr. President, in expressing the thanks of my country to the Permanent Administrative Council for providing us with such pleasant quarters in which to meet and adjust our difficulties.

We exchange the compliments appropriate to the time and circumstances, yet were there nothing more to be said, our words might well be counted as “sounding brass and tinkling cymbal,” and our meeting here as having only ephemeral value.

There has just been determined at The Hague a controversy over money,—a thing which we are told has been “slave to thousands,” and the love of which is described as “the root of all evil.” If a judgment now meant nothing more than the transfer or non-transfer of money from one party or the other, however interesting this might be to those concerned, the world at large could look on with indifference.

We believe, however, that a first step has been taken that will count largely for the good of future generations; that following this primal recognition of the existence of a Court competent to settle disputes between nations, will come general reference to it, not alone of differences similar to the present, but of other controversies involving larger questions of individual rights and national privileges. We may hope that precisely as questions formerly believed to involve individual honor have in many countries entirely ceased and in others are ceasing to be settled by formal exercise of force, the same revolution may gradually be effected in the affairs of nations. The Permanent Court of Arbitration, assisting this end, must tend to bring about that “peace on earth, good will toward men,” for which Christians hope.

Mr. President and Honorable Arbitrators, for good or for ill our task is accomplished. While we may be pardoned for indulging in the expression of hope that, irrespective of the immediate effect of [Page 880] your decision, good is to be anticipated from the labors of all of us, yet whatever the future holds, we must accept it. We have all done, according to our several lights and abilities, the best we knew, and quietly and philosophically, without exultation or depression, we accept the results.

I may therefore recall to you in closing the promise of the old “Niebelungen Lied”:

“Wilt thou do the deed and regret it?
Thou hadst better never been born.

Wilt thou do the deed and proclaim it?
Then thy fame shall be outworn.

Thou shalt do the deed and abide it,
And from thy throne on high,

Look on to-day and to-morrow as those that never die.”

Mr. Pardo Agent des Etats-Unis Mexicains prononce ensuite les paroles suivantes:

Messieurs: Quand j’ai eu Phonneur d’adresser la parole pour la première fois à la Cour, le jour où elle s’est installée, j’ai commencé par exprimer au nom de mon Gouvernement sa détermination de se soumettre fidèlement et loyalement à la décision de cette Cour. Je suis absolument sûr que lorsque mon Gouvernement connaîtra le jugement que la Cour vient de rendre il l’acceptera comme l’expression du jugement et de la sagesse de cinq jurisconsultes distingués, de cinq honnêtes hommes. Mais naturellement je dois réserver à mon Gouvernement le droit de faire valoir tous les recours que le protocole du 22 mai dernier accorde au Parties.

Je ne veux pas abuser de la patience ni de l’attention du Tribunal. Je réitère la manifestation de gratitude que j’ai faite le jour de l’installation de la Cour pour le bon vouloir avec lequel Messieurs les Arbitres ont eu la bonté d’assumer une tâche lourde et pénible qui a été remplie avec une si grande bonne volonté et avec un esprit d’impartialité que je me plais à reconnaître.

Je profite de cette occasion pour adhérer de tout mon coeur àla manifestation qui vient d’être faite par M. l’Agent des Etats-Unis et aux remerciements qu’il a adressés aux Membres du Conseil administratif de la Cour Permanente d’Arbitrage pour leur bienveillante hospitalité. Il ne me reste plus qu’a vous dire encore une fois merci pour votre travail, pour votre bon vouloir, pour votre sagesse et pour votre impartialité.

Le Président remercie Messieurs les Agents de leurs paroles courtoises et annonce que le Tribunal a terminé ses traveaux.

La séance esfr levée à 5½ heures.


  • Le Président: H. Matzen.
  • L’Agent des Etats-Unis d’Amérique: Jackson H. Ralston.
  • L’Agent des Etats-Unis Mexicains: E. Pardo.
  • Le Secrétaire-Général: L. H. Ruyssenaers.