[490] No. 4.— Rapport du conseil federal a l’assemblée fédérale sur les mesures prises dans l’interét de la neutralité, (du 1er juillet 1859.)

[Extrait.]

La’rticle 6 de l’arrêté que vous avez pris le 5 mai dernier, concernant la position neutre de la Suisse, porte que le conseil fédéral aura à rendre compte à la prochaine réunion de l’assemblée fédérate de l’usage qu’il aura fait des pleins pouvoirs à lui confiés en vertu du dit arrêté.

Nous avons l’honneur de nous acqnitter de ce mandat en y joignant un exposé des événements qui, se rattachant à la situation politique de la Suisse, ont fourni matière a des négociations et à des correspondances. [Page 105] Heureusement que les conjonetures n’ont pas été de nature à rendre nécessaire une convocation extraordinaire de l’asseinblée fédérale.—La France dam ses rapports avec les états neutres.

[491] Immédiatement après l’ajournement des conseils législatifs, la légation deFranee nous fit, au nom de son gouvernement, une communication spéciale sur la ligne de conduite que la France, preuant pour base les principes du *congrès de Paris d’avril 1858, se proposait de suivre à l’égard des états neutres pendant la guerre actuelle. Il résulte de ces ouvertures que les commandants des forces cle terre et de mer out reçu pour instruction de respecter rigoureusement les droits des territoires et du commerce des états neutres; on exprimait en même temps l’attente que, par une juste réciproeité, la Suisse observerait exactement pendant la duree de la guerre les devoirs d’une stricte neutralité. Cette déclaration pouvait être considérée com me une nouvelle confirmation de ce que la Suisse avait constamment désiré visa-à-vis de ses voisins, savoir, l’observation d’une stricte neutralité, devant diriger toute sa conduite, ainsi qu’il est exposé en détail dans la circulaire du 14 mars.

[492] Dans le canton du Tessin, la surveillance des nombreux réfugiés venant d’Italie devait réclamer à un haut degré l’attention des autorités. Il était pareillement indispensable d’aviser à des mesures sur la circulation d’armes et de munitions. Les dispositions que nous avons jugé devoir ordonner successivement se trouveht résumées dans la publication qui a paru le 20 mai. On y interdisait la sortie d’armes, de poudre, *de munitions par la frontière suisse-italienne, ainsi que tout rassemblement d’objets de cette nature à proximité de la frontière, sous peine de confiscation en cas de contravention.

Les armes et les munitions qui seraient apportées d’Italie sur territoire suisse, soit par des réfugiés et des déserteurs ou de toute autre manière, devaieut aussi être saisies. Étaient exceptées de cette mesure les armes de voyageurs munis de papiers réguliers ou de réfugiés qui se rendraient immédiatement dans l’intérieur de la Suisse.

L’achat et en général la prise de possession d’armes, munitions et objets d’équipemeut qui seraient apportées en deçà de la frontière furent interdits et ordre était donné de séquestrer de tels objets.

[493] Le passage fut interdit aux individus aptes au port d’armes qui voudraient emprunter le territoire Suisse pour se rendre du territoire d’une des puissances belligérantes sur celui de l’autre. Ces gens devaient être cousignés dans l’intérieur de la Suisse, à moius qu’ils ne préférassent retourner là d’où ils venaient. Ces dispositions sont absolument conformes au principe de la neutralité proclamé et n’ont pas besoin d’autre justification. La défense mise surle transport d’armes et de munitions *est fondée sur le droit des gens, et il ètait pareillement indispensable de tenir les réfugiés sous une stricte surveillance et de ne pas permettre qu’ils abusassent de l’asile qui leur était libéralement accordé, pour menacer les parties belligérantes ou rendre plus difficile la surveillance des frontières par nos propres troupes. Notre commandant de division, que, dans l’intérêt de l’unité d’action, nous avions chargé du maintien de la police des réfugiés, reçut pour instruction de procéder avec humanité et d’avoir égard aux circonstances particulières, et nous pouvons certifier qu’à cet égard il a été fait tout ce que l’on pouvait raissonablement demander dans des coujonctures aussi difficiles; naturellement on n’a pu éviter que certaines mesures fussent trouvées trop rigoureuses par la population intéressée, qui n’était pas à même d’apprécier impartialement la position de la Suisse dans ses rapports internationaux. Pour prouver à quel point il a été tenu compte [Page 106] des circonstances particulières,il suffit du fait qu’aucun réfugié de la classe civile n’a été consigné dans l’intérieur de la Suisse, et qu’ils ont tous pu rester dans le canton du Tessin, en se tenant, comme il s’entend de soi-même, à une distance convenable de l’extrême frontière.

[494] Dansnotre office nous rappelions que la *Suisse avait souffert vivement des capitulations militaires pendant une longue série d’années, et qu’après bien des luttes on était parvenu dans ces derniers temps à les supprimer, puisque aussi bien les constitutions cantonales que la constitution fédérale posent le principe qu’aucune capitulation militaire ne peut plus dorénavant être conclue. La legislation fédérale a fait un pas de plus. Les 20 juin 1849, er 24 juillet 1855, elle a déclaré la continuation de l’existence des capitulations militaires incompatibles avec les bases politiques de l’organisation républicaine-démocratique de la Suisse, et en conséquence interdit sur tout le territoire de la confédération tous enrôlements pour le service militaire étranger. Elle a de plus, dans le code pénal fédéral, réprimé par l’emprisonnement et l’amende le recrutement d’habitants de la Suisse pour le service militaire étranger, prohibé et étendu cette commination aux employés des bureaux d’enrôlement établis bors de la Suisse, afin d’éluder la prohibition du recrutement sur territoire Suisse.

[495] Toutes ces dispositions ont été appliquées d’une manière aussi conséquente que possible; preuve en soit une série de jugements rendus contre des embaucheurs. Si partout les infractions n’ont pas été atteintes par le bras de la justice pénale, si la législation en vigueur n’a pu couper complétement court à l’abus des enrôlements, cela est dû à d’autres circonstances indépendantes des autorités fédérales. Tandisque la Susse et surtout les autorites fédérales font tout ce qu’elles *peuvent pour empêcher les enrôlements sur le territoire de la confédération, quelques états voisins tolèrant sans aucune pudeur des bureaux derecrutement qui font en Suisse des enrôlements secrets. Toutes les fois qu’on a pu attendre quelque succès l’on a lié des négociations avec les états voisins, afin d’obtenir la suppression des bureaux d’enrêlement toléré. Ces efforts ont atteint leur but au moins en partie.

Nous saisissons cette occasion de vous réiterer Tit., l’assurance de notre parfaite considération.

Berne, le ler juillet 1859.

Au nom du conseil federal Suisse.

  • Le Président de la Confédération, STÆMPFLI.
  • Le Chancelier de la Confédération, SCHIESS.