Extract from “La Question de l’Alabama et le Droit des Gens,” by M. Pradier-Fodéré, Paris, 1872.

Le texte du traité n’a point distingué entre les réclamations; il les a toutes soumises au tribunal arbitral, pour être réglées. Ni dans le cours des débats de la Haute Commission mixte, qui siégea pendaut deux mois, ni clans aucune des clauses du traité, destiné à fixer la procédure et les attributions du tribunal arbitral, ainsi que les principes qui doivent le guider dans son jugement, l’Angleterre n’a pas élevé la moindre objection sur l’une quelconque cles catégories de réclamations présentées par les États-Unis; elle les a toutes repoussées au même titre, sans faire de distinction, et ce n’est que plus tard, en présence des prétentions des États-Unis, qu’elle a fait ses réserves sur la nature de certaines réclamations déterminées, enne contestant pas la compétence des arbitres pour les autres.

Or, les négociateurs anglais du traité de Washington devaient s’attendre à ce que la prétention relative aux dommages indirects pourrait se produire. lis savaient qu’un premier traité avait déjà été préparée et conclu, il y a quelques années, entre les deux gouvernements, pour le règlement des réclamations, et que le Sénat de l’Union avait rejeté ce traité, précisément parce qu’on ne pouvait y faire entrer les réclamations pour dommages indirects.

Ils étaient clone avertis. Comment expliquer leur silence à cet égard pendant la négociation du second traité? Pourquoi cette mention si générale, si éiastique, de “toutes les plaintes,” de “toutes les réclamations,” lorsqu’ils pouvaient insérer dans le traité une clause spéciale excluant formellement les clommages indirects? Uniquement préoccupés de faire valoir l’idée que l’Angleterre n’avait point violé les devoirs de la neutralité, ils ont négligé de spécifier les réclamations sur lesquelles les arbitres auront à [Page 565] se prononcer. Ils les ont toutes comprises dans la compétence du tribunal arbitral, et maintenant qu’il est possible de pressentir l’éventualité d’une condamnation à une réparation pécuniaire, le gouvernement de la Reine et la nation anglaise viennent dire:

“Nous n’avons entendu déférer aux arbitres que la question des dommages directs!”

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À nos yeux, l’affaire internationale qui préoccupe si vivement aujourd’hui les deux mondes n’est nullement compliquée. pourvu qu’on l’isole de la politique et qu’on la maintienne dans son domaine naturel: le droit des gens.

Il n’y a pas de contestation sur les dommages causés aux États-Unis par les corsaires susdits, dont la fuite bors des ports anglais a été regrettée par saMajesté britannique. Il n’y a guère plus de controverse sur la responsabilité que cette fuite et ces déprédations ont fait peser sur la Grande-Bretague. Les Anglais, du reste, sont disposés à régler le différend des dommages directs.

Que reste-t-il donc?

Un tribunal d’arbitrage institué par un traité conclu dans un esprit amical, et dont la conclusion a été saluée, dans le priucipe, par les applaudissemeuts de la nation anglaise;

“Un exposé des États-Unis demaudeurs, qui est essentiellement une pièce de procedure;

“Un débat ouvert, dans lequel l’Angleterre pourra faire valoir ses moyens de défense, et repousser des conclusions qui seraient manifestement contraires au droit, à la justice et à la raison.

“Les arbitres, enfin, dont on ne pourrait suspecter l’impartialité sans commettre une grave offense contre leur personue et les gouvernements qui les out choisis.

“Il reste quelque chose de plus encore; l’obligation pour les états qui veulent tracer un sillon profond dans le champ de la civilisation, de respecter les traités.

“A propos du conflit anglo-américain, on a parlé de la force primant le droit; mais il y a une iniquité internationale non moins funeste; c’est l’infidélité se jouant de la foi jurée. Pour les états, comme pour les particuliers, tout se tient en fait de moralité. L’oubli de la parole engagée conduit à la violence. Les peuples commencent par éluder leurs engagements et finissent par opprimer les faibles.”